Le livre de Jade. Gautier Judith
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Le livre de Jade
LES AMOUREUX
La jeune femme qui rêve accoudée à sa fenêtre, je ne l'aime pas à cause de la maison somptueuse qu'elle possède au bord du Fleuve Jaune;
Mais je l'aime parce qu'elle a laissé tomber à l'eau une petite feuille de saule.
Je n'aime pas la brise de l'est parce qu'elle m'apporte le parfum des pêchers en fleurs qui blanchissent la Montagne Orientale;
Mais je l'aime parce qu'elle a poussé du côté de mon bateau la petite feuille de saule.
Et la petite feuille de saule, je ne l'aime pas parce qu'elle me rappelle le tendre printemps qui vient de refleurir;
Mais je l'aime parce que la jeune femme a écrit un nom dessus avec la pointe de son aiguille à broder, et que ce nom, c'est le mien.
La jeune fille qui travaille tout le jour dans sa chambre solitaire est doucement émue si elle entend tout à coup le son d'une flûte de jade;
Et elle s'imagine qu'elle entend la voix d'un jeune garçon.
A travers le papier des fenêtres, l'ombre des feuilles d'oranger vient s'asseoir sur ses genoux;
Et elle s'imagine que quelqu'un a déchiré sa robe de soie.
Des jeunes filles se sont approchées de la rivière; elles s'enfoncent dans les touffes de nénuphars.
On ne les voit pas, mais on les entend rire, et le vent se parfume en traversant leurs vêtements.
Un jeune homme à cheval passe au bord de la rivière, tout près des jeunes filles.
L'une d'elles a senti son cœur battre et son visage a changé de couleur.
Mais les touffes de nénuphars l'enveloppent.
Tu m'offres deux perles brillantes; bien que je détourne la tête, mon cœur pâlit et s'émeut malgré moi.
Un instant je les pose sur ma robe, ces deux perles claires; la soie rouge leur donne des reflets rosés.
Que ne t'ai-je connu avant d'être mariée! Mais éloigne-toi de moi, car j'appartiens à un époux.
Au bord de mes cils, voici deux larmes tremblantes; ce sont tes perles que je te rends.
J'ai cueilli une petite fleur de pêcher et je l'ai apportée à la jeune femme qui a les lèvres plus roses que les petites fleurs.
J'ai pris une hirondelle noire et je l'ai donnée à la jeune femme dont les sourcils ressemblent aux deux ailes d'une hirondelle noire.
Le lendemain la fleur était fanée, et l'oiseau s'était échappé par la fenêtre du côté de la Montagne Bleue où habite le Génie des fleurs de pêcher;
Mais les lèvres de la jeune femme étaient toujours aussi roses, et les ailes noires de ses yeux ne s'étaient pas envolées.
Sur un trône d'or neuf, le Fils du Ciel, éblouissant de pierreries, est assis au milieu des Mandarins; il semble un soleil environné d'étoiles.
Les Mandarins parlent gravement de graves choses; mais la pensée de l'Empereur s'est enfuie par la fenêtre ouverte.
Dans son pavillon de porcelaine, comme une fleur éclatante entourée de feuillage, l'Impératrice est assise au milieu de ses femmes.
Elle songe que son bien-aimé demeure trop longtemps au conseil, et, avec ennui, elle agite son éventail.
Une bouffée de parfums caresse le visage de l'Empereur.
«Ma bien-aimée d'un coup de son éventail m'envoie le parfum de sa bouche;» et l'Empereur, tout rayonnant de pierreries, marche vers le pavillon de porcelaine, laissant se regarder en silence les Mandarins étonnés.
La terre a bu la neige et voici que l'on revoit les fleurs de prunier.
Les feuilles de saule ressemblent à de l'or neuf et le lac est pareil à un lac d'argent.
C'est le moment où les papillons poudrés de soufre appuient leurs têtes veloutées sur le cœur des fleurs.
Le pêcheur, de son bateau immobile, jette ses filets qui brisent la surface de l'eau.
Il pense à celle qui reste à la maison comme l'hirondelle dans son nid, à celle qu'il va bientôt aller revoir en lui portant la nourriture, comme le mâle de l'hirondelle.
Au milieu du vent frais les oiseaux chantent gaiement sur les branches transversales.
Derrière les treillages de sa fenêtre, une jeune femme qui brode des fleurs brillantes sur une étoffe de soie écoute les oiseaux s'appeler joyeusement dans les arbres.
Elle relève sa tête et laisse tomber ses bras; sa pensée est partie vers celui qui est loin depuis longtemps.
«Les oiseaux savent se retrouver dans le feuillage; mais les larmes qui tombent des yeux des jeunes femmes comme la pluie d'orage ne rappellent pas les absents.»
Elle relève ses bras et laisse tomber sa tête sur son ouvrage.
«Je vais broder une pièce de vers parmi les fleurs de la robe que je lui destine, et peut-être les caractères lui diront-ils de revenir.»
J'ai vu passer la première épouse du grand Mandarin Lo-Wang-Li; elle se promenait à cheval près du lac, dans l'allée où la lune blanchit les feuilles de saule.
En se promenant elle a laissé tomber de son cou quelques perles de jade; un homme qui se trouvait là les a ramassées et s'est enfui très-joyeux.
Mais moi, je n'ai pas ramassé de perles, parce que je regardais seulement le beau visage de la jeune femme, plus blanc que la lune dans les feuilles de saule, et je m'en suis allé en pleurant.
Le vent a décroché une feuille de saule; elle est tombée légèrement dans le lac et s'est éloignée, balancée par les vagues.
Le temps a effacé de mon cœur un souvenir, un souvenir qui s'est lentement effacé.
Étendu au bord de l'eau, je regarde tristement la feuille de saule qui voyage loin de l'arbre penché.
Car depuis que j'ai oublié celle que j'aimais, je rêve tout le jour, tristement étendu au bord de l'eau.
Et mes yeux suivent toujours la feuille de saule, et maintenant elle est revenue sous l'arbre, et je pense que dans mon cœur le souvenir ne s'est jamais effacé.
Mon bateau glisse rapidement sur le fleuve, et je regarde dans l'eau.
Au-dessus est le grand ciel, où se promènent les nuages.
Le ciel est aussi dans le fleuve; quand un nuage passe sur la lune, je le vois passer dans l'eau;
Et je crois que mon bateau glisse sur le ciel.
Alors je songe que ma bien-aimée se reflète ainsi dans mon cœur.
J'ai vu un chemin doucement obscurci par les grands arbres, un chemin bordé de buissons en fleurs.
Mes yeux ont pénétré sous l'ombre verte et se sont promenés longuement dans le chemin.
Mais à quoi bon prendre cette route? Elle ne conduit pas à la demeure de celle que j'aime.
Quand