Nouveaux Contes à Ninon. Emile Zola
vraiment choquante. Au fond, sur le sable, elle apercevait ses pieds nus. Il faut dire que cette diablesse de lune se baignait, elle aussi, se roulait dans l'eau, l'emplissait des frétillements d'anguilles de ses rayons. C'était un bain d'or liquide et transparent. Peut-être le comte voyait-il les pieds nus sur le sable, et s'il voyait les pieds et la tête… Adeline se couvrit, sous l'eau, d'une ceinture de nénufars. Doucement, elle attira de larges feuilles rondes qui nageaient, et s'en fit une grande collerette. Ainsi habillée, elle se sentit plus tranquille.
Cependant, le comte avait fini par prendre la chose stoïquement. N'ayant pas trouvé une racine pour s'asseoir, il s'était résigné à se tenir à genoux. Et pour ne pas avoir l'air tout à fait ridicule, avec de l'eau au menton, comme un homme perdu dans un plat à barbe colossal, il avait lié conversation avec la comtesse, évitant tout ce qui pouvait rappeler le désagrément de leur position respective.
– Il a fait bien chaud aujourd'hui, madame.
– Oui, monsieur, une chaleur accablante. Heureusement que ces ombrages donnent quelque fraîcheur.
– Oh! certainement… Cette brave tante est une digne personne, n'est-ce pas?
– Une digne personne, en effet.
Puis, ils parlèrent des dernières courses et des bals qu'on annonce déjà pour l'hiver prochain. Adeline, qui commençait à avoir froid, réfléchissait que le comte devait l'avoir vue pendant qu'elle s'attardait sur la rive. Cela était tout simplement horrible. Seulement, elle avait des doutes sur la gravité de l'accident. Il faisait noir sous les arbres, la lune n'était pas encore là; puis, elle se rappelait, maintenant, qu'elle se tenait derrière le tronc d'un gros chêne. Ce tronc avait dû la protéger. Mois, en vérité, ce comte était un homme abominable. Elle le haïssait, elle aurait voulu que le pied lui glissât, qu'il se noyât. Certes, ce n'est pas elle qui lui aurait tendu la main. Pourquoi, quand il l'avait vue venir, ne lui avait-il pas crié qu'il était là, qu'il prenait un bain? La question se formula si nettement en elle, qu'elle ne put la retenir sur ses lèvres. Elle interrompit le comte, qui parlait de la nouvelle forme des chapeaux.
– Mais je ne savais pas, répondit-il; je vous assure que j'ai eu très-peur. Vous étiez toute blanche, j'ai cru que c'était la Belle-au-Bois-dormant qui revenait, vous savez, cette fille qui a été enfermée ici… J'avais si peur, que je n'ai pas pu crier.
Au bout d'une demi-heure, ils étaient bons amis, Adeline s'était dit qu'elle se décolletait bien dans les bals, et qu'en somme elle pouvait montrer ses épaules. Elle était sortie un peu de l'eau, elle avait échancré la robe montante qui la serrait au cou. Puis, elle avait risqué les bras. Elle ressemblait à une fille des sources, la gorge nue, les bras libres, vêtue de toute cette nappe verte qui s'étalait et s'en allait derrière elle comme une large traîne de satin.
Le comte s'attendrissait. Il avait obtenu de faire quelques pas pour se rapprocher d'une racine. Ses dents claquaient un peu. Il regardait la lune avec un intérêt très-vif.
– Hein! elle marche lentement? demanda Adeline.
– Eh! non, elle a des ailes, répondit-il avec un soupir.
Elle se mit à rire, en ajoutant:
– Nous en avons encore pour un gros quart d'heure.
Alors, il profita lâchement de la situation: il lui fit une déclaration. Il lui expliqua qu'il l'aimait depuis deux ans, et que s'il la taquinait, c'était qu'il avait trouvé cela plus drôle que de lui dire des fadeurs. Adeline, prise d'inquiétude, remonta sa robe verte jusqu'au cou, fourra les bras dans les manches. Elle ne passait plus que le bout de son nez rose sous les nénufars; et, comme elle recevait en plein la lune dans les yeux, elle était tout étourdie, tout éblouie. Elle ne voyait plus le comte, quand elle entendit un grand barbottement et qu'elle sentit l'eau s'agiter et lui monter aux lèvres.
– Voulez-vous bien ne pas remuer! cria-t-elle; voulez-vous bien ne pas marcher comme cela dans l'eau!
– Mais je n'ai pas marché, dit le comte, j'ai glissé… Je vous aime!
– Taisez-vous, ne remuez plus, nous parlerons de tout cela, quand il fera noir… Attendons que la lune soit derrière l'arbre…
La lune se cacha derrière l'arbre. L'Amour de plâtre éclata de rire.
LES FRAISES
Un matin de juin, en ouvrant la fenêtre, je reçus au visage un souffle d'air frais. Il avait fait pendant la nuit un violent orage. Le ciel paraissait comme neuf, d'un bleu tendre, lavé par l'averse jusque dans ses plus petits coins. Les toits, les arbres dont j'apercevais les hautes branches entre les cheminées, étaient encore trempés de pluie, et ce bout d'horizon riait sous le soleil jaune. Il montait des jardins voisins une bonne odeur de terre mouillée.
– Allons, Ninette, criai-je gaiement, mets ton chapeau, ma fille…
Nous partons pour la campagne.
Elle battit des mains. Elle eut terminé sa toilette en dix minutes, ce qui est très-méritoire pour une coquette de vingt ans.
A neuf heures, nous étions dans les bois de Verrières.
Quels bois discrets, et que d'amoureux y ont promené leurs amours! Pendant la semaine, les taillis sont déserts, on peut marcher côte à côte, les bras à la taille, les lèvres se cherchant, sans autre danger que d'être vus par les fauvettes des buissons. Les allées s'allongent, hautes et larges, à travers les grandes futaies; le sol est couvert d'un tapis d'herbe fine, sur lequel le soleil, trouant les feuillages, jette des palets d'or. Et il y a des chemins creux, des sentiers étroits, très-sombres, où l'on est obligé de se serrer l'un contre l'autre. Et il y a encore des fourrés impénétrables, où l'on peut se perdre, si les baisers chantent trop haut.
Ninon quittait mon bras, courait comme un jeune chien, heureuse de sentir les herbes frôler ses chevilles. Puis elle revenait et se pendait à mon épaule, lasse, caressante. Toujours le bois s'étendait, mer sans fin aux vagues de verdure. Le silence frissonnant, l'ombre vivante qui tombait des grands arbres nous montaient à la tête, nous grisaient de toute la sève ardente du printemps. On redevient enfant, dans le mystère des taillis.
– Oh! des fraises, des fraises! cria Ninon en sautant un fossé comme une chèvre échappée, et en fouillant les broussailles.
Des fraises, hélas! non, mais des fraisiers, toute une nappe de fraisiers qui s'étalait sous les ronces.
Ninon ne songeait plus aux bêtes dont elle avait une peur horrible. Elle promenait gaillardement les mains au milieu des herbes, soulevant chaque feuille, désespérée de ne pas rencontrer le moindre fruit.
– On nous a devancés, dit-elle avec une moue de dépit… Oh! dis, cherchons bien, il y en a sans doute encore.
Et nous nous mîmes à chercher avec une conscience exemplaire. Le corps plié, le cou tendu, les yeux fixés à terre, nous avancions à petits pas prudents, sans risquer une parole, de peur de faire envoler les fraises. Nous avions oublié la forêt, le silence et l'ombre, les larges allées et les sentiers étroits. Les fraises, rien que les fraises. A chaque touffe que nous rencontrions, nous nous baissions, et nos mains frémissantes se touchaient sous les herbes.
Nous fîmes ainsi plus d'une lieue, courbés, errant à droite, à gauche. Pas la plus petite fraise. Des fraisiers superbes, avec de belles feuilles d'un vert sombre. Je voyais les lèvres de Ninon se pincer et ses yeux devenir humides.
Nous étions arrivés en face d'un large talus, sur lequel le soleil tombait droit, avec des chaleurs lourdes. Ninon s'approcha de ce talus, décidée à ne plus chercher ensuite. Brusquement, elle poussa un cri aigu. J'accourus, effrayé, croyant qu'elle s'était blessée. Je la trouvai accroupie; l'émotion l'avait assise par terre, et elle me montrait du doigt une petite fraise, à peine grosse comme un pois, mûre d'un côté seulement.
– Cueille-la, toi, me dit-elle d'une voix basse et caressante.
Je m'étais assis près d'elle, au bas du talus.
– Non,