Le crime de Lord Arthur Savile. Wilde Oscar
tête-à-tête5.
Lord Arthur Savile, cependant, qui ne savait, rien de la malheureuse histoire de lady Fermor, et qui avait suivi M. Podgers avec un très grand intérêt, avait une vive curiosité de le voir lire dans sa main.
Comme il éprouvait quelque pudeur à se mettre en avant, il traversa la pièce et s'approcha de l'endroit où lady Windermere était assise et, avec une rougeur, qui était un charme, lui demanda si elle pensait que M. Podgers voudrait bien s'occuper de lui.
– Certes oui, il s'occupera de vous, fit lady Windermere. C'est pour cela qu'il est ici. Tous mes lions, lord Arthur, sont des lions en représentation. Ils sautent dans des cerceaux, quand je le leur demande. Mais il faut auparavant que je vous prévienne que je dirai tout à Sybil. Elle vient luncher avec moi demain pour causer chapeaux, et si M. Podgers trouve que vous avez un mauvais caractère ou une tendance à la goutte, ou une femme qui vit à Bayswater6, certainement je ne le lui laisserai pas ignorer.
Lord Arthur sourit et hocha la tête.
– Je ne suis pas effrayé, répondit-il. Sybil me connaît aussi bien que je la connais.
– Ah! je suis un peu contrariée de vous entendre dire cela. La meilleure assise du mariage, c'est un malentendu mutuel… non, je ne suis pas du tout cynique. J'ai seulement de l'expérience, ce qui, cependant, est très souvent la même chose… M. Podgers, lord Arthur Savile meurt d'envie que vous lisiez dans sa main. Ne lui dites pas qu'il est fiancé à l'une des plus jolies filles de Londres: il y a un mois que le Morning Post en a publié la nouvelle.
– Chère lady Windermere, s'écria la marquise de Jedburgh, ayez l'obligeance de laisser M. Podgers s'arrêter ici une minute de plus. Il est en train de me dire que je monterai sur les planches et cela m'intéresse au plus au point.
– S'il vous a dit cela, lady Jedburgh, je ne vais pas hésiter à vous l'enlever. Venez immédiatement, M. Podgers, et lisez dans la main de lord Arthur.
– Bon! dit lady Jedburgh faisant une petite moue, comme elle se levait du canapé, s'il ne m'est pas permis de monter sur les planches, il me sera au moins permis d'assister au spectacle, j'espère.
– Naturellement. Nous allons tous assister à la séance, répliqua lady Windermere. Et maintenant, M. Podgers, reprenez-nous et dites-nous quelque chose de joli, lord Arthur est un de mes plus chers favoris.
Mais quand M. Podgers vit la main de lord Arthur, il devint étrangement pâle et ne souffla mot.
Un frisson sembla passer sur lui. Ses grands sourcils broussailleux furent saisis d'un tremblement convulsif du tic bizarre, irritant, qui le dominait, quand il était embarrassé.
Alors, quelques grosses gouttes de sueur perlèrent sur son front jaune, comme une rosée empoisonnée et ses doigts gras devinrent froids et visqueux.
Lord Arthur ne manqua pas de remarquer ces étranges signes d'agitation et, pour la première fois de sa vie, il éprouva de la peur. Son mouvement naturel fut de se sauver du salon, mais il se contint.
Il valait mieux connaître le pire, quel qu'il fût, que de demeurer dans cette affreuse incertitude.
– J'attends, M. Podgers, dit-il.
– Nous attendons tous, cria lady Windermere de son ton vif, impatient.
Mais le chiromancien ne répondit pas.
– Je crois qu'Arthur va monter sur les planches, dit lady Jedburgh, et qu'après votre sortie M. Podgers a peur de le lui dire.
Soudain M. Podgers laissa tomber la main droite de lord Arthur et empoigna fortement la gauche, se courbant si bas pour l'examiner que la monture d'or de ses lunettes sembla presque effleurer la paume.
Un moment, son visage devint un masque blanc d'horreur, mais il recouvra bientôt son sang-froid7 et, regardant lady Windermere, lui dit avec un sourire forcé:
– C'est la main d'un charmant jeune Homme.
– Certes oui, répondit lady Windermere, mais sera-t-il un mari charmant? Voilà ce que j'ai besoin de savoir.
– Tous les jeunes gens charmants sont des maris charmants, reprit M. Podgers.
– Je ne crois pas qu'un mari doive être trop séduisant, murmura lady Jedburgh, d'un air pensif. C'est si dangereux.
– Ma chère enfant, ils ne sont jamais trop séduisants; s'écria lady Windermere. Mais ce qu'il me faut ce sont des détails. Il n'y a que les détails qui intéressent. Que doit-il arriver à lord Arthur?
– Eh bien! Dans quelques jours lord Arthur doit faire un voyage.
– Oui, sa lune de miel naturellement.
– Et il perdra un parent.
– Pas sa soeur, j'espère, dit lady Jedburgh d'un ton apitoyé.
– Certes non, pas sa soeur, répondit M. Podgers avec un geste de dépréciation de la main, un simple parent éloigné.
– Bon! je suis cruellement désappointée, fit lady Windermere. Je n'ai absolument rien à dire à Sybil demain. Qui se préoccupe aujourd'hui de parents éloignés? Voilà des années que ce n'est plus la mode. Cependant, je suppose qu'elle fera bien d'acheter une robe de soie noire: cela sert toujours pour l'église, voyez-vous. Et, maintenant, allons souper. On a sûrement tout mangé là-bas, mais nous pourrons encore trouver du bouillon chaud. François faisait autrefois du bouillon excellent, mais maintenant il est si agité par la politique que je ne suis jamais certaine de rien avec lui. Je voudrais bien que le général Boulanger se tînt tranquille… Duchesse, je suis sûre que vous êtes fatiguée!
– Pas du tout, ma chère Gladys, répondit la duchesse en marchant vers la porte, je me suis beaucoup amusée et le chiropodist; je veux dire le chiromancien, est très amusant. Flora, où peut être mon éventail d'écaille de tortue?.. Oh! merci, sir Thomas, merci beaucoup!.. Et mon châle de dentelle?.. Oh merci, sir Thomas, trop aimable vraiment!
Et la digne créature finit par descendre les escaliers sans avoir laissé plus de deux fois tomber son flacon d'odeur.
Tout ce temps-là, lord Arthur Savile était demeuré debout près de la cheminée avec le même sentiment de frayeur qui pesait sur lui, la même maladive préoccupation d'un avenir mauvais.
Il sourit tristement à sa soeur comme elle glissa près de lui au bras de lord Plymdale, fort jolie dans son brocard rose garni de perles, et il entendit à peine lady Windermere, quand elle l'invita à la suivre. Il pensa à Sybil Merton et l'idée que quelque chose pourrait se placer entre eux remplit ses yeux de larmes.
Quelqu'un qui l'aurait regardé eût dit que Némésis avait dérobé le bouclier de Pallas et lui avait montré la tête de la Gorgone. Il paraissait pétrifié et son visage avait l'aspect d'un marbre dans sa mélancolie.
Il avait vécu la vie délicate et luxueuse d'un jeune homme bien né et riche, une vie exquise affranchie de tous soucis avilissants, une vie d'une belle insouciance8 d'enfant, et maintenant, pour la première fois, il eut conscience du terrible mystère de la destinée, de l'effrayante idée du sort.
Que tout cela lui semblait fou et monstrueux!
Se pouvait-il que ce qui était écrit dans sa main, en caractères qu'il ne pouvait lire mais qu'un autre pouvait déchiffrer, fût quelque terrible secret de faute, quelque sanglant signe de crime!
N'y avait-il nulle échappatoire?
Ne sommes-nous que des pions d'échiquier que met en jeu une puissance invisible, que des vases que le potier modèle à sa guise pour l'honneur ou la honte?
Sa raison se révolta contre cette pensée et pourtant il sentait que quelque tragédie était suspendue sur sa tête et qu'il avait été tout d'un coup appelé à porter un fardeau intolérable.
Les acteurs sont vraiment des
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En français dans le texte.
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Quartier avoisinant au nord Kensington Park, habité par les femmes entretenues par l'aristocratie de Londres (
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En français dans le texte.
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En français dans le texte.