La coucaratcha. II. Эжен Сю
un grade supérieur, ne put s'empêcher de regretter son patron qu'il supposait avoir été dévoré par un requin, ou pris par une crampe avant d'avoir pu gagner mon bord. —
«Quel dommage, me dit-il, – si le malheureux avait réussi à vous porter mes ordres, – nous n'aurions pas à regretter la perte de tant de braves gens… Mais aussi ajouta-t-il par forme de compensation, – nous n'aurions pas à vous féliciter d'un si glorieux combat, capitaine Wolf.
«Deux mois après, le grade de capitaine de frégate, vint me récompenser de ma belle action comme dit le ministre dans sa lettre. —
«Voilà mon histoire, mon cher… avouez donc après cela que je puis parler de dévouement en matière d'amour, – me dit Wolf d'un air tristement moqueur, – puis il ajouta: – Mais voilà nos convives qui montent, où en sont-ils de leur discussion?»
Les convives n'y pensaient ma foi plus. – On convint de se rendre à terre, – comme je me trouvais séparé de Wolf par un groupe, – je fus forcé de me placer dans une embarcation où il n'était pas. – Descendu au débarcadère, ne le rencontrant pas non plus, je supposai qu'il était resté à bord, – enfin pour chasser les idées un peu sombres que m'avait laissées la confidence de mon ami Wolf; j'allai passer la nuit chez une danseuse portugaise appelée Loretta, que j'entretenais assez magnifiquement depuis notre station à Malte.
§ IV.
ÉPISODE
Le lendemain matin j'étais couché et je m'amusais à tresser les cheveux de Loretta, qu'elle avait fort longs et fort beaux; – lorsque sa camériste vint me prévenir que mon valet de chambre qui savait où me trouver – voulait absolument me parler. – Je me levai, – et il me remit un billet ainsi conçu.
– Je vous attends sur le rempart, en face le palais des Grands-Maîtres, il faut absolument que je vous parle, soyez assez bon pour y venir,
– Qui t'a remis cela, – demandai-je à mon laquais?
– Capitaine, c'est un officier anglais, – un beau, grand jeune homme brun. —
– C'est bien, va m'attendre à bord.
J'embrassai Loretta, et je gagnai le rempart. – Mon ami Wolf s'y trouvait déjà. – Il était un peu pâle, mais il souriait; et sa figure avait même une expression de douceur que je n'avais pas remarqué la veille. —
Il vint à moi, et, me tendant la main: – J'étais sûr de vous voir, me dit-il… tant je comptais sur votre obligeance et sur les effets d'une sympathie que je n'avais ressentie pour personne, je vous jure…
Je lui secouai cordialement la main, et lui demandai à quoi je pouvais lui être utile.
– Mon cher ami, – puisque vous me permettez de vous donner ce nom, – répondit-il, – j'ai d'abord mille excuses à vous faire d'avoir abusé hier de vos moments, pour vous raconter une bien misérable histoire.
– Ma foi, – lui dis-je (et c'était vrai) – que le diable m'emporte si j'y pensais… mais bah… le Madère et le Xérès vous auront poussé au roman, mon cher Wolf… et vous vous serez vanté, – ne parlons plus de cela… encore une fois je l'avais oublié.
– Oh non, ajouta-t-il avec un sourire triste, je ne me suis pas vanté; – tout cela s'est passé comme je vous l'ai dit, – et vous êtes le seul, – ajouta-t-il en attachant sur moi ses grands yeux bleus mélancoliques, – vous êtes le seul qui sachiez cette aventure fatale.
– Et vous pouvez compter sur ma discrétion, répondis-je. – Fausse ou vraie, cette histoire est à jamais perdue dans le plus profond oubli.
– Cela ne peut pas être ainsi, répéta-t-il toujours avec sa voix douce et sonore. – Vous savez qu'hier je vous avais prévenu; désormais ce secret ne peut être possédé que par vous – ou par moi, – par tous deux c'est impossible.
– Mon cher Wolf, est-ce bien sérieusement que vous me dites cela?
– Très sérieusement…
– C'est une plaisanterie.
– Non, mon ami…
– Mais c'est absurde…
– Non ce n'est pas absurde; vous avez un secret qui, divulgué, peut me faire passer pour ce que je suis: —Un meurtrier, – ajouta Wolf péniblement, – puisque je n'ai pu le garder, moi, qu'il intéresse au point que vous devez croire… pourriez-vous le garder, vous, à qui il est indifférent;… ce doute serait trop affreux, or il faut en finir, et il en sera ainsi.
– Voilà qui est fort… – il en sera ainsi parce que vous le voulez, Wolf.
– Sans doute; – puis, me pressant les deux mains, il dit avec tendresse: Ne me refusez pas cela, – ne me forcez pas, je vous en supplie, à un éclat qui vous obligerait bien à m'accorder ce que je vous demande; vous me l'accorderiez pour un autre motif, il est vrai, mais cela serait toujours, n'est-ce pas.
– Allons, il faut nous brûler la cervelle, – parce qu'il vous a plu de me gratifier de votre diable d'aventure… J'y consens, mais c'est désagréable, vous l'avouerez au moins… – dis-je avec humeur, sans pouvoir pourtant me fâcher tout-à-fait.
– Je le conçois, mais c'est comme cela… Pardonnez-moi… mon ami, dit Wolf.
– Pardieu, non; ce sera bien assez de vous pardonner si vous me cassez la tête… car, pour que la plaisanterie soit complète, c'est toujours à cinq pas, et à pair ou non, – j'imagine.
– Toujours… – répéta le damné Wolf, avec sa voix de jeune fille.
– Vos témoins, lui demandai-je…
– Votre voisin de gauche d'hier, me dit-il.
– Aurez-vous vos armes… Wolf?
– Oui, j'aurai les miennes; – ainsi n'apportez pas les vôtres, c'est inutile… à moins pourtant que vous vous défiez…
– Capitaine… lui dis-je très-sérieusement cette fois…
– Pardon, mon ami; mais dites bien à votre témoin que c'est une affaire à mort, inarrangeable, qu'il y a eu des voies de fait.
– Il le faut pardieu bien, m'écriai-je… et à quand cette belle équipée?.. car en vérité, mon ami Wolf, il faut l'avouer, nous sommes aussi fous, tranchons le mot, aussi bêtes que deux aspirants sortant de l'école de marine; mais enfin, à quand?
– Mais, mon Dieu, dans une heure… trouvons-nous aux ruines du vieux port…
– Va pour les ruines du vieux port.
– Votre main, me dit Wolf.
– La voici.
– Vous ne m'en voulez pas au moins, me demanda-t-il encore.
– Parbleu si, je vous en veux, et beaucoup.
Il sourit, me salua de la tête, et nous nous séparâmes.
§ V.
MON AMI WOLF
J'étais revenu à bord pour faire quelques préparatifs, écrire quelques lettres, car en vérité je croyais rêver. – Un capitaine de frégate de mes amis consentit avec peine à me servir de témoin quand il sut quelles étaient les conditions de ce duel meurtrier. – A cinq pas, un pistolet chargé et l'autre non. —
Ce qui me désespérait surtout, c'étaient les véhémentes sorties de mon digne témoin sur ce qu'il appelait ma crânerie. – Vous aurez cherché l'affaire, me disait-il, – comme cette fois à la Martinique. – Vous avez aussi la main trop légère, mon cher ami… il vous arrivera malheur… Quel dommage, un jeune officier d'une si belle espérance… et tutti quanti.
– J'avais beau dire