Faust. Johann Wolfgang von Goethe

Faust - Johann Wolfgang von Goethe


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ng von Goethe

      Faust

      PREFACE

      Il est certains poèmes qui ont eu de tout temps le privilège, pour ainsi dire exclusif, d'éveiller l'imagination des peintres; tels sont, entre autres et par excellence, l'Iliade et l'Odyssée d'Homère, le Paradis perdu de Milton, le Roland furieux du divin Arioste; on ferait un volume avec la simple énumération des tableaux ou dessins remarquables qu'ils ont inspirés depuis leur apparition jusqu'à nos jours. Parmi les compositions poétiques tout-à-fait modernes, qui, sous ce rapport, méritent de lutter avec celles que nous venons de nommer, le Faust de M. de Goethe doit être mis au premier rang. Ce grand homme a su donner tant de vie aux personnages fantastiques qui abondent dans cette tragédie, qu'on est obligé d'y croire comme à des personnages réels, et de leur prêter une figure, un geste, un accent particulier; on les voit agir, on les entend parler; pour chaque scène nouvelle, le lecteur, involontairement, compose en idée un nouveau tableau. Aussi plusieurs artistes habiles se sont-ils déjà essayés à reproduire les plus saillantes d'entre elles, et jusqu'à présent M. Retsch est celui d'entre eux qui a le mieux réussi dans cette tentative; ses dessins, gravés d'abord en Allemagne, où ils obtinrent le plus grand succès, furent bientôt contrefaits en Angleterre et en France, où l'on se plut également à reconnaître l'esprit, la finesse et la grâce avec lesquels leur auteur a su rendre la plupart des scènes de Faust. Mais malheureusement ce sont de simples croquis au trait, en général un peu froids, et qui même ne sont pas toujours exempts de la roideur tant reprochée aux dessins semblables, que naguère Flaxman exécuta pour Eschyle, Homère, Hésiode et le Dante.

      Ceux que nous publions aujourd'hui n'essuieront pas, à coup sûr, un pareil reproche. On pourra leur en adresser d'autres, parce que nulle production de l'art n'est à l'abri de la critique; mais, s'il nous est permis d'anticiper sur le jugement du public, nous ne doutons pas que chacun n'y admire la hardiesse avec laquelle le dessinateur s'est élancé, sur les pas de M. de Goethe, hors des chemins battus; toute la verve créatrice du poète, quelque chose même de ce que les esprits exacts se plaisent à appeler son dévergondage d'imagination, nous pensons que chacun l'y retrouvera du premier coup-d'œil. Ainsi, pour les personnes qui n'avaient pu faire connaissance avec Faust que par l'intermédiaire de notre faible traduction1, cet ouvrage va, grâce à M. Delacroix, reprendre la physionomie franche et originale qui lui appartient, et dont nous l'avions dépouillé à leurs yeux.

      Il est à propos d'avertir ces personnes-là que la tragédie de Faust, écrite en vers d'un bout à l'autre et en vers rimés, ce qui n'est pas, comme on sait, une condition indispensable de la versification allemande, se divise néanmoins en deux parties fort distinctes, dont l'une est toute dramatique, l'autre toute lyrique.

      Dans la partie dramatique, le style varie selon les situations et selon les personnages: tantôt comique et tantôt sérieux, il passe tour-à-tour, et souvent sans aucune transition, du dernier degré du burlesque au pathétique le plus déchirant, de l'expression de ce qu'il y a de plus abject dans la nature humaine à celle des plus hautes pensées, des sentiments les plus exaltés et les plus purs, qui puissent traverser le cœur ou l'esprit de l'homme. Mais comme, au milieu de ces disparates de détail, il ne perd pourtant jamais son caractère distinctif, qui est celui d'une extrême simplicité; comme le ton du dialogue reste toujours celui de la conversation ordinaire, il ne nous a point paru impossible de traduire en prose toute cette partie de l'ouvrage de M. de Goethe2: nous avons cru même pouvoir le faire sans trop altérer, ni la couleur de l'ensemble, ni les teintes diverses, si multipliées et parfois si tranchées, qui la nuancent. Au moins aurions-nous éprouvé des difficultés beaucoup plus grandes à humilier le vers français jusqu'au ton vulgaire de certains passages, que nous n'en avons eu d'élever la prose au ton inspiré de certains autres.

      Il n'en va pas ainsi de la partie lyrique, qui occupe dans Faust une assez grande place. On y rencontre ça et là des chansons, des romances, des chants d'esprits célestes et d'esprits infernaux, des chœurs de sorciers et de sorcières, des formules magiques; tous morceaux d'une poésie cadencée, dont le principal charme consiste, pour la plupart, soit dans le choix du rythme et l'arrangement des vers, soit même uniquement dans la désinence des rimes. Ici nous n'eussions pu nous permettre la prose sans manquer au premier devoir d'un traducteur, à l'exactitude; et, il faut le dire, nous avons senti dans ce cas particulier d'autant moins de répugnance à le remplir, que, de chercher à nous y soustraire, c'eût été courir au-devant d'obligations plus dures encore: car il aurait fallu suppléer au défaut de rythme par des tours de force, que nous avouons au-dessus de notre portée, et qui nous semblent même à-peu-près impossibles.

      Ainsi donc, tout ce qui se chante et en somme tous les morceaux du poème, au mérite desquels le mécanisme de la versification concourt pour une forte part, nous avons employé une versification analogue pour les rendre; et, a l'égard de la portion de l'ouvrage, à laquelle notre prose a enlevé sa forme poétique, nous avons fait ce qui dépendait de nous pour y conserver, aux tournures quelque chose de leur vivacité, au dialogue un peu de son nerf et de sa vérité, au style en général une ombre de sa souplesse et de son mouvement. Annoncer qu'on s'est proposé un tel but, nous le sentons, c'est avouer qu'on ne l'a pas atteint; aussi ne parlons nous que de nos efforts, le lecteur jugera de ce qu'ils ont produit.

      Deux mots maintenant du sujet de ce poème extraordinaire. Ce fût, à ce qu'on croit, au commencement du seizième siècle que vécut le docteur Faust, espèce de Don Juan du nord. Bien que parvenu aux plus hauts grades dans toutes les Facultés, et réputé sage parmi les hommes, ce docteur, dégoûté de la science, livra son âme à Satan; en retour de quoi celui-ci s'obligea de lui fournir et lui procura en effet un Esprit nommé Méphostophilis, ayant commission de lui faire passer ici-bas vingt-quatre ans de délices, ni plus ni moins, et de l'emporter ensuite dans l'autre monde, pour y souffrir à jamais. Ses aventures joyeuses et sa lamentable fin sont racontées au long dans un gros livre fort ancien, qui fût traduit de bonne heure en plusieurs langues. La traduction anglaise donna au poète Marlow, contemporain de Shakespeare, l'idée d'une pièce, qui fût jouée de son temps, et dans laquelle, au milieu d'un grand nombre de bouffonneries grossières, éclatent des beautés du premier ordre.

      Jusque vers la fin du siècle dernier le docteur, moins heureux dans son propre pays, y était demeuré relégué sur des théâtres de marionnettes, d'où, comme Polichinelle chez nous, il amusait la populace par ses espiègleries. Lessing alors imagina le premier qu'on pourrait traiter un tel sujet d'une manière sérieuse; mais des deux tragédies qu'il en voulait tirer, il n'existe qu'une très-courte scène, devant leur servir de prologue. Après Lessing vint Klinger, qui publia une espèce de roman philosophique sous le titre de Faust sa vie, ses actions et son voyage en enfer; puis enfin M. de Goethe, leur maître à tous, sur les brisées duquel il n'y a point d'apparence que personne s'aventure, autrement que pour l'imiter; ce que n'a pas dédaigné de faire lord Byron lui-même, dans son Deformed transformed, et quelque peu aussi dans son Manfred.

      Pour être goûtées de nos jours, les absurdes légendes du moyen âge ont grand besoin de toute l'imagination et de tout l'esprit de M. de Goethe; aussi ne s'en est-il servi que comme on se sert d'un canevas, sur lequel on brode absolument ce que l'on veut. La conception de Faust, envisagée sous ce point de vue, lui appartient donc en propre; et certes, il n'a jamais été rien conçu de plus original, de plus étrange; jamais les fictions n'ont été portées à un excès de délire, qui dépasse de plus loin les bornes communes. Il faut avouer néanmoins que, si le poète a largement usé et, dans maint endroit peut-être, abusé du surnaturel, il faut avouer, disons-nous, que le sujet qu'il avait choisi excusait une telle licence, l'exigeait même jusqu'à un certain point. Et d'ailleurs, à quelque hauteur que son vol parvienne dans la région des songes et des chimères, quels que soient le vide et l'extravagance des mondes où il plane, toujours il part de la terre, il s'appuie toujours sur la réalité, sur la vie: comme les sorcières de Macbeth c'est en maniant des ustensiles grossiers, c'est en prononçant des paroles simples, qu'il évoque les fantômes.

      Il nous reste à protester contre ceux qui, après la lecture de cette traduction, s'imagineraient avoir acquis le droit de porter un jugement touchant le mérite de l'original; car, s'il n'existe point d'ouvrage sur lequel une traduction puisse donner un tel droit, celui-ci se trouve dans ce cas moins encore qu'aucun autre, à cause de la perfection continue du


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<p>1</p>

Cette traduction avait paru, pour la première fois, en 1825, dans la collection des Œuvres dramatiques de J. W. Goethe, que publièrent alors les libraires Sautelet et Cie. Encouragé par l'accueil bienveillant, mais trop peu mérité, qu'elle reçut à cette époque du public allemand et de M. de Goethe lui-même, l'auteur ne la réimprime aujourd'hui, qu'après l'avoir revue d'un bout à l'autre avec tout le soin dont il est capable, et lui avoir fait subir de nombreuses corrections. Ce nouveau travail, il est vrai, n'a servi, malgré le scrupule qui y a présidé, ou plutôt à cause de ce scrupule, qu'à lui mieux démontrer son impuissance. Mais au moins, s'il vient encore d'échouer dans son entreprise, sa vanité seule en pourra souffrir il n'aura manqué que de talent.

<p>2</p>

Afin de donner une idée du système de versification adopté par le poète dans la partie dramatique de Faust, nous avons fait exception à notre règle, et traduit en vers toute une scène, celle intitulée Prologue dans le ciel. Nous avons choisi de préférence cette scène-là, parce qu'elle se trouve en dehors de l'ouvrage, et que les interlocuteurs sont eux-mêmes en dehors de la sphère d'action des personnages qui figurent dans la tragédie.