Histoire d'Henriette d'Angleterre. La Fayette Marie-Madeleine Pioche de La Vergne
se retrouve sur tous les autres portraits de la Princesse.
Une peinture de Van der Werff23, reproduite par plusieurs graveurs, notamment par J. Audran, rappellerait la gravure de Claude Mellan, si le nez, beaucoup plus droit, la bouche mieux faite et la joue plus pleine ne composaient pas un ensemble incomparablement plus agréable. D'ailleurs même air de bonté intelligente. Le buste, pris dans un corps très raide, comme on en portait alors, est richement orné d'orfévrerie avec perles et grosses pierreries. C'est à peu de chose près le costume de presque tous les autres portraits. «Elle était étincelante de pierreries», dit le libelliste.
Un portrait, signé: Grignon sculps.24, nous montre une figure sensiblement différente; le nez est gros, mais les yeux relevés sur les tempes et les lèvres retroussées aux deux coins s'accordent avec les mèches folles et les boucles en coup de vent de la chevelure pour composer une physionomie vive, rieuse, mutine et moqueuse. Et, bien que la gravure soit dure et noire, Henriette y paraît gentille et plaisante. Si l'on veut, ces portraits forment, malgré leurs dissemblances, une famille, dont le caractère commun est l'air de jeunesse et de sympathie.
Tout différent est l'aspect des autres figures que nous avons sous les yeux. Le graveur anonyme de 166325, Joullain26, Desroches27 et F. Schouten28, sans bien s'accorder pour les détails, nous présentent tous un visage régulier, plein, avec un air de maturité; ni expression, ni caractère propre: ce n'est pas là cette princesse à qui l'on trouvait «un agrément extraordinaire».
Le musée de Versailles possède trois portraits anciens d'Henriette d'Angleterre. Le meilleur29 a été reproduit dans l'ouvrage de Gavard par une mauvaise gravure qui n'en donne pas la moindre idée. La Princesse y est représentée avec de beaux yeux d'un bleu sombre, un nez sans beaucoup de caractère mais qui peut à la rigueur mériter le compliment que l'évêque de Valence fit à l'original, une bouche retroussée aux coins avec une expression plus gaie que tendre et une jolie gorge sous une guimpe transparente. Elle tient sur ses genoux un petit chien qui porte galamment à l'oreille un pompon de soie rouge.
Le même petit chien avec le même pompon à l'oreille figure sur un autre portrait30 conservé dans l'attique du palais et que le catalogue donne pour être de l'école de Mignard. On n'y trouve ni charme, ni expression, ni caractère d'aucune sorte. Le troisième portrait31 fut peint, en 1664, par Antoine Matthieu, dans le genre olympien. Henriette, drapée comme une figure d'allégorie, y soutient le portrait du duc d'Orléans, avec une ampleur de geste qui sied mieux à une déesse qu'à une dame de la Cour. Aussi bien est-ce une déesse que l'artiste a voulu peindre en cette figure qui montre un long et étroit pied nu dans des sandales d'or et de pierreries, le pied de Diane. Le visage, mince et distingué, ne ressemble ni à l'un ni à l'autre des précédents portraits.
Il y a enfin, dans les appartements de Louis XIV, un ample tableau de Jean Nocret qui représente la famille du grand roi dans des costumes de ballet et avec des attributs allégoriques32. Les têtes n'y manquent pas de caractère; elles ne semblent pas flattées; celle de Madame y est chétive, blafarde, maladive, point jolie. C'est celle d'une personne qui n'est pas, comme la belle-au-bois-dormant, belle sans y penser, mais qui peut plaire à son réveil, avec, ce qui ne manque guères, un peu de bonne volonté. Elle a un air de vérité, cette figure de Jean Nocret; malheureusement elle ne ressemble à aucun des autres portraits d'Henriette.
En somme de toutes les images de cette Princesse, deux seulement nous restent dans les yeux en y laissant quelque air de vie et de vérité: d'abord, celle d'une très jeune fille, souffreteuse, avec de beaux yeux et un air de bonté, celle enfin qu'on voit dans la gravure, d'ailleurs médiocre, de Claude Mellan. Puis, grâce aux progrès de l'âge, l'image d'une aimable personne, brillante et douce à la fois, agréable malgré ses joues lourdes et son menton mal fait, charmante d'expression: c'est Audran qui nous la fait voir le mieux ainsi. Ces deux gravures sont reproduites, la première en regard de la page xxij; l'autre, de la main de M. Boulard, dans une eau-forte qui sert de frontispice à ce volume.
IV. MADAME ET LE ROI
La petite-fille de Henri IV avait dix-sept ans quand, mariée au frère de Louis XIV, elle prit rang à la cour d'un prince qui n'était pas encore ce «héros» dont parle Despréaux, ce
Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse
N'est pas le fruit tardif d'une lente vieillesse,
Et qui seul, sans ministre, à l'exemple des Dieux,
Soutient tout par lui même et voit tout par ses yeux33.
C'était, en attendant, un fier garçon de bonne mine et de gros appétit, fort ignorant, parlant mal mais peu, étranger aux affaires, occupé principalement de danser dans les ballets. Il montrait pour les femmes un goût qui, s'il ne s'adressait qu'à quelques-unes, les occupait toutes. De là, une émulation mauvaise. Songez que cette Cour, oisive jusqu'au malaise, se traînait dans des divertissements perpétuels. Les hommes y perdaient tout caractère et leur platitude devint bientôt un lieu commun de poésie satirique sur lequel La Fontaine, par exemple, est intarissable. Une telle société était fort capable de gâter une très jeune femme. Et pour celle-là, les femmes étaient plus dangereuses que les hommes, parce qu'un instinct avertit la moins expérimentée de ce qu'elle peut craindre de la part d'un beau diseur, tandis qu'elle se livre sans défense à des femmes intéressées à ce que nulle n'ait sur elles l'avantage d'une vie exemplaire. C'était un intérêt que la surintendante de la maison de la Reine, la comtesse de Soissons, avait autant et plus qu'une autre, et l'intimité de cette italienne fut très mauvaise pour la jeune Stuart.
Le mari d'Henriette d'Angleterre, le second personnage du royaume par le rang, n'était point lâche ni tout à fait méchant, mais c'était le plus mauvais mari qui pût échoir à une femme de cœur. Il fut toute sa vie un enfant vicieux, une fausse femme, quelque chose de faible, d'inquiétant et de nuisible. Son incapacité pour les affaires auxquelles sa naissance le destinait, son incroyable puérilité et son entière soumission à ses favoris faisaient de lui une espèce d'infirme et lui donnaient un maintien pitoyable dont son frère riait et voulait être le seul à rire.
Joli garçon d'ailleurs, son plaisir fut longtemps de s'habiller en femme. Son rang seul l'empêcha d'aller, comme l'abbé de Choisy, à l'église et à la comédie avec une jupe et une fausse gorge34. Du moins, il se rattrapait au bal. Ce même abbé de Choisy raconte qu'une nuit qu'on dansait en masque au Palais-Royal, Monsieur s'habilla comme une dame et dansa le menuet avec le chevalier de Lorraine. Et l'abbé ajoute du ton d'un connaisseur satisfait: «On ne sauroit dire à quel point il poussa la coquetterie en mettant des mouches, en les changeant de place…35.»
Voilà le mari qu'on donnait à une jeune femme spirituelle, bonne, indocile, ambitieuse, sensible à la gloire, à l'amour, aux arts, à toutes les belles et grandes choses et mettant dans toutes ses pensées l'impatience d'une malade. Car Henriette d'Angleterre, conçue dans de royales angoisses et portée, au bruit des armes, par une princesse en péril, naquit fière et brisée. On verra dans la deuxième partie du livre de madame de La Fayette quels sentiments Madame et le Roi eurent l'un pour l'autre. On sait que précédemment Louis XIV l'avait dédaignée quand il pouvait l'épouser. Leur inclination mutuelle éclata à Fontainebleau dans le bel été de 1661. Alors «elle fut occupée, dit la comtesse, de la joie d'avoir ramené le roi à elle»36. Madame de Motteville donne à Henriette les mêmes sentiments avec une nuance un peu trop sombre de rancune:
«Elle se souvenait que Louis
23
«Henriette d'Angleterre, dernière fille de Charles Ier, Roy de la Grande-Bretagne, et de Henriette-Marie de France, née à Excester, le 15 juin 1644, accompagna la Reine sa mère, lors qu'elle se sauva par mer en France. A Paris, chez L. Boissuin.» Non signé.
Le même: – «Van der Werff pinxit. J. Audran sculpsit.»
Plus récemment les graveurs Tavernier et Dieu ont donné chacun une copie très-infidèle de ce portrait de Van der Werff. On le trouve reproduit à l'eau forte, en tête de ce volume, par M. Boulard fils.
24
De face. «Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans, dernière fille de Charles Ier du nom, roy de la Grande-Bretagne, et de Henriette-Marie de France, nasquit à Exceter le 15 juin 1644, accompagna la reine sa mère lors qu'elle se sauva par mer en France, espousa Philippe de France, duc d'Orléans, frere unique du Roy.»
25
De trois quarts. Elle porte une guimpe empesée et montante; le costume est sévère. C'est ainsi que la reine accouchée aurait voulu voir Madame à ses relevailles (v. p. xvj). Au fond, une draperie dont un coin soulevé laisse voir à gauche une chasse en forêt.
26
De trois quarts. «Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.»
27
De face. «Henriette Stuard, Desroches sc.»
28
De face. «Henriette-Anne d'Angleterre épouse de Philippe de France duc d'Orléans. G. Schouten f.» Plusieurs épreuves non signées. Ce portrait a été mis dans l'édition de 1720.
29
No 2083 du catalogue. – Ecole française, XVIIe siècle. – H. 0,72-L. 0,62. On lit en haut du tableau: HENRIETTE-ANNE DANGLETERRE DUCHESSE DORLÉANS.
30
No 2502 du catalogue. – Ecole de Mignard. – H. 0, 76-L. 0, 63. Elle est représentée assise, vêtue d'une robe bleue fleurdelisée. On lit sur le tableau: HENR. D'ANGL. D. DORLans.
31
No 3503 du catalogue. H. 1,75. – L. 1,39.
32
No 2157 du catalogue. «Famille de Louis XIV par Jean Nocret.» Madame y porte le costume et les attributs du Printemps.
33
Discours au roi, 1666.
34
L'abbé se faisait appeler, comme on sait, madame de Sancy. Sur la fausse dame de Sancy, voir la chanson:
(Ms. de Choisy, t. III, fo 57.)
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Page 44 de notre édition.