Les contemplations. Autrefois, 1830-1843. Victor Hugo

Les contemplations. Autrefois, 1830-1843 - Victor Hugo


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j'entendais, parmi le thym et le muguet,

      Les vagues violons de la mère Saguet!

      O douleur! furieux, je montais à ma chambre,

      Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre;

      Et, là, je m'écriais:

      -Horace! ô bon garçon!

      Qui vivais dans le calme et selon la raison,

      Et qui t'allais poser, dans ta sagesse franche,

      Sur tout, comme l'oiseau se pose sur la branche,

      Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux

      Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux!

      Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,

      Les rires étouffés des folles jeunes filles,

      Les doux chuchotements dans l'angle obscur du bois;

      Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,

      Myrtale aux blonds cheveux, qui s'irrite et se cabre

      Comme la mer creusant les golfes de Calabre,

      Ou bien tu t'accoudais à table, buvant sec

      Ton vin que tu mettais toi-même en un pot grec.

      Pégase te soufflait des vers de sa narine;

      Tu songeais; tu faisais des odes à Barine,

      A Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur,

      A Chloë, qui passait le long de ton vieux mur,

      Portant sur son beau front l'amphore délicate.

      La nuit, lorsque Phoebé devient la sombre Hécate,

      Les halliers s'emplissaient pour toi de visions;

      Tu voyais des lueurs, des formes, des rayons,

      Cerbère se frotter, la queue entre les jambes,

      A Bacchus, dieu des vins et père des ïambes;

      Silène digérer dans sa grotte, pensif;

      Et se glisser dans l'ombre, et s'enivrer, lascif,

      Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues,

      Le faune aux pieds de chèvre, aux oreilles pointues!

      Horace, quand grisé d'un petit vin sabin,

      Tu surprenais Glycère ou Lycoris au bain,

      Qui t'eût dit, ô Flaccus! quand tu peignais à Rome

      Les jeunes chevaliers courant dans l'hippodrome,

      Comme Molière a peint en France les marquis,

      Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis,

      Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes,

      D'instruments de torture à d'horribles bonshommes,

      Mal peignés, mal vêtus, qui mâchent, lourds pédants,

      Comme un singe une fleur, ton nom entre leurs dents!

      Grimauds hideux qui n'ont, tant leur tête est vidée,

      Jamais eu de maîtresse et jamais eu d'idée!

      Puis j'ajoutais, farouche:

      -O cancres! qui mettez

      Une soutane aux dieux de l'éther irrités,

      Un béguin à Diane, et qui de vos tricornes

      Coiffez sinistrement les olympiens mornes,

      Eunuques, tourmenteurs, crétins, soyez maudits!

      Car vous êtes les vieux, les noirs, les engourdis,

      Car vous êtes l'hiver; car vous êtes, ô cruches!

      L'ours qui va dans les bois cherchant un arbre à ruches,

      L'ombre, le plomb, la mort, la tombe, le néant!

      Nul ne vit près de vous dressé sur son séant;

      Et vous pétrifiez d'une haleine sordide

      Le jeune homme naïf, étincelant, splendide;

      Et vous vous approchez de l'aurore, endormeurs!

      A Pindare serein plein d'épiques rumeurs,

      A Sophocle, à Térence, à Plaute, à l'ambroisie,

      O traîtres, vous mêlez l'antique hypocrisie,

      Vos ténèbres, vos moeurs, vos jougs, vos exeats,

      Et l'assoupissement des noirs couvents béats;

      Vos coups d'ongle rayant tous les sublimes livres,

      Vos préjugés qui font vos yeux de brouillards ivres,

      L'horreur de l'avenir, la haine du progrès;

      Et vous faites, sans peur, sans pitié, sans regrets,

      A la jeunesse, aux coeurs vierges, à l'espérance,

      Boire dans votre nuit ce vieil opium rance!

      O fermoirs de la bible humaine! sacristains

      De l'art, de la science, et des maîtres lointains,

      Et de la vérité que l'homme aux cieux épèle,

      Vous changez ce grand temple en petite chapelle!

      Guichetiers de l'esprit, faquins dont le goût sûr

      Mène en laisse le beau; porte-clefs de l'azur,

      Vous prenez Théocrite, Eschyle aux sacrés voiles,

      Tibulle plein d'amour, Virgile plein d'étoiles;

      Vous faites de l'enfer avec ces paradis!

      Et, ma rage croissant, je reprenais:

      -Maudits,

      Ces monastères sourds! bouges! prisons haïes!

      Oh! comme on fit jadis au pédant de Veïes,

      Culotte bas, vieux tigre! Écoliers! écoliers!

      Accourez par essaims, par bandes, par milliers,

      Du gamin de Paris au groeculus de Rome,

      Et coupez du bois vert, et fouaillez-moi cet homme!

      Jeunes bouches, mordez le metteur de bâillons!

      Le mannequin sur qui l'on drape des haillons

      A tout autant d'esprit que ce cuistre en son antre,

      Et tout autant de coeur; et l'un a dans le ventre

      Du latin et du grec comme l'autre a du foin.

      Ah! je prends Phyllodoce et Xantis à témoin

      Que je suis amoureux de leurs claires tuniques;

      Mais je hais l'affreux tas des vils pédants iniques!

      Confier un enfant, je vous demande un peu,

      A tous ces êtres noirs! autant mettre, morbleu!

      La mouche en pension chez une tarentule!

      Ces moines, expliquer Platon, lire Catulle,

      Tacite racontant le grand Agricola,

      Lucrèce! eux, déchiffrer Homère, ces gens-là!

      Ces diacres! ces bedeaux dont le groin renifle!

      Crânes d'où sort la nuit, pattes d'où sort la giffle,

      Vieux dadais à l'air rogue, au sourcil triomphant,

      Qui ne savent pas même épeler un enfant!

      Ils ignorent comment l'âme naît et veut croître.

      Cela vous a Laharpe et Nonotte pour cloître!

      Ils en sont à l'A, B, C, D, du coeur humain;

      Ils sont l'horrible Hier qui veut tuer Demain;

      Ils offrent à l'aiglon leurs règles d'écrevisses.

      Et puis ces noirs tessons ont une odeur de vices.

      O


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