Discours par Maximilien Robespierre — 5 Fevrier 1791-11 Janvier 1792. Robespierre Maximilien
ou séduit par l'intérêt? Sera-ce devant les Ediles? Mais s'ils sont soumis à son autorité, s'ils sont à la fois ses esclaves et ses complices? Sera-ce devant le Sénat? Mais si le Sénat lui-même est trompé ou asservi? Enfin, si le salut de la patrie exige que j'ouvre les yeux à mes concitoyens sur la conduite même du Sénat, du Préteur et des Ediles, qui jugera entre eux et moi?
Mais une autre raison sans réplique semble achever de mettre cette vérité dans tout son jour. Rendre les citoyens responsables de ce qu'ils peuvent écrire contre les personnes publiques, ce serait nécessairement supposer qu'il ne leur serait pas permis de les blâmer, sans pouvoir appuyer leurs inculpations par des preuves juridiques. Or, qui ne voit pas combien une pareille supposition répugne à la nature même de la chose, et aux premiers principes de l'intérêt social? Qui ne sait combien il est difficile de se procurer de pareilles preuves; combien il est facile au contraire à ceux qui gouvernent d'envelopper leurs projets ambitieux des voiles du mystère, de les couvrir même du prétexte spécieux du bien public? N'est-ce pas même là la politique ordinaire des plus dangereux ennemis de la patrie? Ainsi ce seraient ceux qu'il importerait le plus de surveiller, qui échapperaient à la surveillance de leurs concitoyens. Tandis que l'on chercherait les preuves exigées pour avertir de leurs funestes machinations, elles seraient déjà exécutées, et l'Etat périrait avant que l'on eût osé dire qu'il était en péril. Non, dans tout Etat libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté, qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace. Tous les peuples qui l'ont connue n'ont-ils pas craint pour elle jusqu'à l'ascendant même de la vertu?
Aristide, banni par l'ostracisme, n'accusait pas cette jalousie ombrageuse qui l'envoyait à un glorieux exil. Il n'eût point voulu que le peuple athénien fût privé du pouvoir de lui faire une injustice. Il savait que la même loi qui eût mis le magistrat vertueux à couvert d'une téméraire accusation aurait protégé l'adroite tyrannie de la foule des magistrats corrompus. Ce ne sont pas ces hommes incorruptibles, qui n'ont d'autre passion que celle de faire le bonheur et la gloire de leur patrie, qui redoutent l'expression publique des sentiments de leurs concitoyens. Ils sentent bien qu'il n'est pas si facile de perdre leur estime, lorsqu'on peut opposer à la calomnie une vie irréprochable et les preuves d'un zèle pur et désintéressé; s'ils éprouvent quelquefois une persécution passagère, elle est pour eux le sceau de leur gloire et le témoignage éclatant de leur vertu; ils se reposent, avec une douce confiance, sur le suffrage d'une conscience pure, et sur la force de la vérité qui leur ramène bientôt ceux de leurs concitoyens.
Qui sont ceux qui déclament sans cesse contre la licence de la presse, et qui demandent des lois pour la captiver? Ce sont ces personnages équivoques, dont la réputation éphémère, fondée sur les succès du charlatanisme, est ébranlée par le moindre choc de la contradiction; ce sont ceux qui, voulant à la fois plaire au peuple et servir ses tyrans, combattus entre le désir de conserver la gloire acquise en défendant la cause publique, et les honteux avantages que l'ambition peut obtenir en l'abandonnant, qui, substituant la fausseté au courage, l'intrigue au génie, tous les petits manèges des cours aux grands ressorts des révolutions, tremblent sans cesse que la voix d'un homme libre vienne révéler le secret de leur nullité ou de leur corruption, qui sentent que pour tromper ou pour asservir leur patrie il faut, avant tout, réduire au silence les écrivains courageux qui peuvent la réveiller de sa funeste léthargie, à peu près comme on égorge les sentinelles avancées pour surprendre le camp ennemi; ce sont tous ceux enfin qui veulent être impunément faibles, ignorants, traîtres ou corrompus. Je n'ai jamais ouï dire que Caton, traduit cent fois en justice, ait poursuivi ses accusateurs; mais l'histoire m'apprend que les décemvirs à Rome firent des lois terribles contre les libelles.
C'est en effet uniquement aux hommes que je viens de peindre, qu'il appartient d'envisager avec effroi la liberté de la presse; car ce serait une grande erreur de penser que dans un ordre de choses paisible, où elle est solidement établie, toutes les réputations soient en proie au premier qui veut les détruire.
Que sous la verge du despotisme, où l'on est accoutumé à entendre traiter de libelles les justes réclamations de l'innocence outragée et les plaintes les plus modérées de l'humanité opprimée, un libelle même digne de ce nom soit adopté avec empressement et cru avec facilité, qui pourrait en être surpris? Les crimes du despotisme et la corruption des moeurs rendent toutes les inculpations si vraisemblables! Il est si naturel d'accueillir comme une vérité un écrit qui ne parvient à vous qu'en échappant aux inquisitions des tyrans! Mais sous le régime de la liberté, croyez-vous que l'opinion publique, accoutumée à la voir s'exercer en tout sens, décide en dernier ressort de l'honneur des citoyens, sur un seul écrit, sans peser ni les circonstances, ni les faits, ni le caractère de l'accusateur, ni celui de l'accusé? Elle juge en général et jugera surtout alors avec équité: souvent même les libelles seront des titres de gloire pour ceux qui en seront les objets, tandis que certains éloges ne seront à ses yeux qu'un opprobre: et, en dernier résultat, la liberté de la presse ne sera que le fléau du vice et de l'imposture, et le triomphe de la vertu et de la vérité.
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