La fille du ciel. Pierre Loti

La fille du ciel - Pierre Loti


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voilà encore tout vibrant…

      L'EMPEREUR

      C'est un trouble plein de douceur… Ne dirait-on pas que le ciel m'approuve et veut me seconder? Cet enfant, qui vient à moi, prend ma défense, s'inquiète de ma pâleur, qui me donne son jouet!.. Ah! qu'il m'est précieux, ce léger cadeau!..

      PUITS-DES-BOIS

      Oui, je l'ai subie comme vous, l'émotion imprévue de cette rencontre… Mais laissez le calme descendre dans votre âme. Vous avez besoin de tout votre sang-froid, pour ne pas vous trahir, pendant cette cérémonie de l'investiture, où, cette fois, vous ne jouez pas le premier rôle. Songez aux trois agenouillements, aux neuf prosternations; vous n'êtes guère accoutumé à vous y soumettre.

      L'EMPEREUR

      Mais j'en connais les nuances mieux que personne, moi qui suis condamné à voir toujours l'homme prosterné à mes pieds, et battant le sol du front…

      Des officiers, des gardes, des hérauts d'armes, commencent à s'agiter, au fond de la scène, et à se ranger en haie. On déploie les bannières. Les chefs crient des ordres.

      PUITS-DES-BOIS

      Rentrons! Il est temps, puisque vous voulez repasser votre discours… Surtout, Sire, n'y changez rien; je crains tant que vous vous trahissiez par quelques paroles imprudentes.

      L'EMPEREUR

      Je le trouve trop banal, ce discours … depuis que je l'ai vue, Elle!.. J'en improviserai un autre…

      PUITS-DES-BOIS

      Oh! non, je vous en supplie! Vous pourriez vous troubler, rester court, ou plutôt vous laisser entraîner plus qu'il ne serait raisonnable…

      L'EMPEREUR

      Tu me prépareras une pipe d'opium, alors tout sera clair et facile pour mon esprit.

      PUITS-DES-BOIS

      Oh! vous aviez promis de renoncer à ce poison! Vous pavez pourtant qu'il a été le grand destructeur de vos énergies et de votre volonté! L'exaltation qu'il vous communique, vous savez bien de quel accablement il faut la payer après!

      L'EMPEREUR

      Viens, viens! Une bouffée seulement. Je te jure que ce sera la dernière.

      Ils s'éloignent. Des appels de trompettes, des cris de commandement, tandis que le rideau se ferme.

      DEUXIÈME TABLEAU

      La salle du trône, au palais de Nang-King, vue de biais. L'Impératrice et le trône, sur lequel elle est assise, se présentent de profil. Le petit Empereur est assis près d'elle. Le trône est surélevé de plusieurs marches; les filles d'honneur sont derrière l'Impératrice, tenant au bout de hampes les grands écrans de plumes. Les gardes du corps sont rangés sur les marches du trône et portent des encensoirs où fume de l'encens du Thibet. Tous les mandarins, tous les dignitaires et officiers sont rangés en ordre et debout. Au fond de la scène, à travers une colonnade, on aperçoit, sur des galeries extérieures, des instruments de musique, des musiciens et des choristes; on aperçoit aussi le palanquin à dragons d'or de l'Impératrice. Au dehors, des foules que l'on doit deviner et vaguement apercevoir. En face du trône, sur une estrade, des danseurs, costumés en guerriers et armés, se tiennent immobiles. Toute l'assistance est debout, sauf l'Impératrice et le petit Empereur son fils.

      SCÈNE PREMIÈRE

LA FOULE, L'EMPEREUR TARTARE et PUITS-DES-BOIS, déguisés toujours, mais en grand costume. PRINCE-FIDÈLE

      LA FOULE, cri chanté.

      Dix mille années! Dix mille années!

      Qu'il vive heureux notre roi!

      Qu'il vive heureux et longtemps!

      Dix mille années! Dix mille années!

      La musique continue au fond de la scène.

      L'EMPEREUR TARTARE, sur le devant de la scène, bas à Puits-des-Bois.

      Ce vieux palais est infiniment plus joli que le mien, d'un art plus exquis et plus pur.

      PUITS-DES-BOIS, bas aussi.

      Notre art chinois, Sire, dans toute sa pureté ancienne.

      L'EMPEREUR, souriant.

      Vous êtes restés nos maîtres en toutes choses; auprès de vous, nous ne sommes toujours que des barbares, nous les conquérants et les envahisseurs… Que ce soit l'unique gloire de mon règne, de restaurer la noble tradition chinoise, en fusionnant nos deux peuples pour jamais…

      PUITS-DES-BOIS

      Ne parlons pas trop, ô mon bien-aimé maître; on nous observe… Et puis n'oubliez pas qu'il va falloir vous prosterner…

      L'EMPEREUR

      Devant Elle! Oh! cela me sera bien facile.

      PUITS-DES-BOIS

      Et votre discours, de grâce, faites-le tout à l'heure correct et banal… Le charme, qu'Elle semble exercer sur vous, déjà m'épouvante…

      CHŒUR, chanté au fond de la scène.

      Du haut du ciel tournez les yeux1,

      Vers ce palais, ô mes aïeux!

      Moi, votre fils, élu des dieux,

      Je monte au trône glorieux.

      Les danseurs exécutent trois évolutions de la danse rituelle dite: danse de la plume et de la flûte.

      CHŒUR, chanté au fond de la scène.

      Que votre esprit, votre valeur

      Et vos vertus guident mon cœur!

      Je triompherai du malheur

      Et des méchants serai vainqueur.

      Les danseurs évoluent encore trois fois.

      CHŒUR, chanté au fond de la scène.

      Sur l'étendard, dans le ciel pur,

      Le dragon d'or baigne en l'azur,

      Sous son abri, puissant et sûr,

      Je ferai grand le temps futur!

      Les danseurs exécutent les trois dernières évolutions.

      Musique.

      Le maître des cérémonies s'approche du garde des Sceaux, le salue et du geste l'invite à le suivre. Il le conduit à une table d'or placée au fond. Le garde des Sceaux, après avoir ployé le genou, prend sur cette table, posé dans un plateau, le grand sceau de l'Empire. Le maître des cérémonies le conduit jusqu'au pied du trône, puis se retire. Le garde des Sceaux ploie un genou et offre le sceau à Prince-Fidèle. Quand Prince-Fidèle l'a pris, le garde des Sceaux s'agenouille devant le trône, fait trois prosternements, se relève et se retire à reculons. Prince-Fidèle ploie un genou et élève à deux mains vers l'Impératrice le grand sceau d'or, puis il se relève.

      La musique cesse.

      PRINCE-FIDÈLE, à l'Impératrice.

      Au nom de tous les princes ici assemblés, au nom du peuple fidèle et de l'armée prête à mourir pour la Dynastie Lumineuse, je présente à Votre Majesté le trésor sacré entre tous, le dépôt sans prix que vos ancêtres se sont transmis de génération en génération, le symbole de la Toute-Puissance, le grand Sceau de l'État. En vous le remettant, nous vous reconnaissons comme souveraine de l'Empire, pendant la minorité de votre fils bien-aimé. Acceptez le mandat du ciel avec recueillement et piété…

      Deux filles d'honneur descendent les marches du trône, viennent prendre le plateau et vont le déposer sur une autre table toute proche de l'Impératrice.

      PRINCE-FIDÈLE

      O


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Ces vers qui ont la longueur voulue pour être chantés avec la musique traditionnelle, sont une traduction de l'hymne chinois.