Observations Géologiques sur les Îles Volcaniques Explorées par l'Expédition du «Beagle». Darwin Charles
Darwin avait trouvé ces leçons «incroyablement ennuyeuses». «Le seul effet qu'elles produisent sur moi, déclarait-il, c'est de me faire prendre la résolution de ne lire de ma vie un livre de géologie, ni d'étudier cette science de quelque manière que ce soit.»
Quel contraste avec les expressions dont il se sert en parlant de ses recherches géologiques, dans les lettres écrites à ses parents à bord du Beagle! Après avoir fait allusion au plaisir qu'il éprouve à rassembler et à étudier les animaux marins, il s'écrie: «Mais la géologie l'emporte sur le reste!» Dans une lettre à Henslow, il dit: «La géologie m'entraîne; mais, comme l'intelligent animal placé entre deux bottes de foin, je ne sais à laquelle donner la préférence: étudierai-je les roches cristallines anciennes ou les couches moins cohérentes et plus fossilifères?» Et, lorsque son long voyage va se terminer, il écrit encore: «Je trouve à la géologie un intérêt qui ne faiblit jamais; et, comme on l'a dit déjà, elle nous inspire des idées aussi vastes sur notre monde que celles que l'astronomie nous suggère sur l'ensemble des mondes.» Darwin fait évidemment allusion ici à un passage de Sir John Herschel dans son admirable Introduction à l'étude de la philosophie naturelle, oeuvre qui exerça une influence très profonde et très heureuse sur l'esprit du jeune naturaliste.
La prédilection marquée que professait Darwin, durant et après le célèbre voyage du Beagle, pour les études géologiques, ne peut laisser aucun doute; comme il est facile aussi de reconnaître quelle est l'école géologique dont il suivait les doctrines et dont l'enseignement, malgré les avertissements de Sedgwick et de Henslow, le dominait tout entier. Il écrivit en 1876: «La première contrée que j'ai étudiée, l'île de San Thiago dans l'archipel du Cap Vert, m'a démontré clairement la remarquable supériorité de Lyell, au point de vue géologique, sur tous les auteurs dont j'avais emporté les oeuvres ou que j'ai étudiés depuis.» Et il ajoute: «La science géologique a contracté une grande dette envers Lyell, elle lui doit plus, je crois, qu'à personne au monde… Je suis fier de me rappeler que la première contrée dont j'étudiai la constitution géologique, San Thiago dans l'archipel du Cap Vert, m'a convaincu de la supériorité infinie des idées de Lyell sur celles que j'avais pu puiser dans tout autre livre que les siens.»
Les passages que j'ai cités montrent dans quel esprit Darwin commença ses études géologiques, et les pages qui suivent fourniront des preuves nombreuses de l'enthousiasme, de la pénétration et du soin avec lesquels ses recherches furent poursuivies.
Les collections de roches et de minéraux recueillies par Darwin furent, au cours même de son voyage, envoyées à Cambridge et confiées à son fidèle ami Henslow. A son retour en Angleterre, après avoir revu sa famille et ses amis, le premier soin de Darwin fut de commencer l'étude de ces matériaux. Vers la fin de 1836, il alla se fixer, pendant trois mois, dans un appartement de Fitzwilliam street à Cambridge: il se rapprochait ainsi d'Henslow et pouvait se livrer à l'examen des roches et des minéraux qu'il avait réunis. Il fut puissamment secondé dans cette étude par le professeur William Hallows Miller, l'éminent cristallographe et minéralogiste.
Darwin ne commença réellement à écrire son livre sur les îles volcaniques qu'en 1843, après s'être établi dans la maison qu'il habita le reste de sa vie, sa célèbre résidence de Down dans le Kent. Dans une lettre du 28 mars 1843 à son ami M. Fox, il dit: «J'avance très lentement dans la rédaction d'un livre, ou plutôt d'une brochure sur les îles volcaniques que nous avons explorées; je n'y consacre qu'une couple d'heures chaque jour, et encore d'une manière assez peu régulière. C'est une besogne ingrate que d'écrire des livres dont la publication coûte de l'argent et que personne ne lit, pas même les géologues.»
Cette étude occupa Darwin pendant toute l'année 1843, et le livre fut publié au printemps de l'année suivante. D'après une note de son journal, le temps réellement consacré à la préparation de cet ouvrage s'étendit de l'été de 1842 jusqu'en janvier 1844. Lorsqu'il fut achevé, Darwin ne parut nullement satisfait du résultat obtenu. Il écrivait à Lyell: «Vous m'avez fait un grand plaisir en disant que vous aviez l'intention de parcourir mes Iles volcaniques; ce livre m'a coûté dix-huit mois de travail! Et à ma connaissance, rares sont les gens qui l'ont lu. Je sens cependant que le peu que renferme cet ouvrage, et c'est peu de chose en effet, aura son utilité en confirmant des hypothèses anciennes ou nouvelles, et que mon travail ne sera pas perdu.» Il écrivait à Sir Joseph Hooker: «Je viens de terminer un petit volume sur les îles volcaniques que nous avons explorées. J'ignore jusqu'à quel point la géologie pure et simple vous intéresse, mais j'espère que vous m'autoriserez à vous envoyer un exemplaire de mon ouvrage.»
Tout géologue sait combien ce livre de Darwin sur les îles volcaniques est intéressant et suggestif. La satisfaction médiocre qu'il semble inspirer à son auteur doit être probablement attribuée au contraste que Darwin sentait exister entre le souvenir des vives jouissances qu'il éprouvait lorsque, le marteau à la main, il errait dans des contrées nouvelles et intéressantes, et la tâche lente, laborieuse et moins conforme à ses goûts que lui imposaient la transcription et l'arrangement de ses notes sous forme de livre.
Lorsqu'en 1874 je décrivais les anciens volcans des îles Hébrides, j'eus fréquemment l'occasion de rappeler les observations de M. Darwin sur les volcans de l'Atlantique, pour expliquer les faits que nous montrent, dans nos propres îles, les restes de volcans anciens. Darwin, écrivant à son fidèle ami Sir Charles Lyell au sujet de mon travail, lui dit: «J'ai éprouvé une satisfaction bien vive en voyant citer mon livre sur les volcans, je le croyais mort et oublié.»
Deux ans plus tard, en 1876, on proposa à Darwin de publier une nouvelle édition des Observations sur les îles volcaniques et sur l'Amérique du Sud. Il hésita d'abord, car il lui semblait que ces ouvrages n'offraient plus actuellement qu'un intérêt médiocre; il me consulta sur ce point au cours d'une des conversations que nous avions souvent ensemble à cette époque, et j'insistai fortement auprès de lui pour la réédition de ces livres. J'éprouvai une vive satisfaction lorsque, se rendant à mes instances, il consentit à ce qu'ils fussent publiés sans aucune modification du texte. Il écrit dans la préface de cette nouvelle édition: «Par suite des progrès récents de la géologie, mes idées sur quelques points pourront paraître un peu vieillies, mais j'ai cru préférable de les laisser telles qu'elles ont été publiées originairement.»
Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d'indiquer brièvement les principaux problèmes géologiques sur lesquels le livre de Darwin les Iles volcaniques a jeté une nouvelle et vive lumière. Le principal mérite de ces recherches est d'avoir fourni des observations qui, non seulement, présentent un haut intérêt scientifique, mais dont quelques-unes ont permis de faire rejeter des erreurs couramment admises; d'appeler l'attention sur des phénomènes et des considérations qui avaient été complètement négligés par les géologues, mais qui ont exercé depuis lors une grande influence sur la genèse des théories géologiques; et, enfin, de faire ressortir l'importance qui s'attache à des causes faibles et insignifiantes en apparence, mais dont quelques-unes donnent la clef de problèmes géologiques du plus haut intérêt.
En visitant des contrées où von Buch et d'autres géologues avaient cru trouver la preuve de la théorie des «cratères de soulèvement», Darwin fut amené à démontrer que les faits pouvaient recevoir une interprétation tout à fait différente. Les idées émises d'abord par le célèbre géologue et explorateur allemand, et presque universellement admises par ses compatriotes, avaient été soutenues par Élie de Beaumont et par Dufrénoy, les chefs du mouvement géologique en France. Elles étaient pourtant vigoureusement combattues par Scrope et par Lyell en Angleterre, et par Constant Prévost et Virlet de l'autre côté de la Manche. Dans cet ouvrage, Darwin nous montre sur quelles faibles bases repose cette théorie d'après laquelle les grands cratères circulaires des îles de l'Atlantique devraient leur origine à des ampoules gigantesques de la croûte terrestre, qui, en crevant à leur sommet, auraient donné naissance aux cratères. Reconnaissant l'influence que l'injection de la lave exerce sur la structure des cônes volcaniques, en accroissant leur masse et leur hauteur, il montre qu'en général les volcans sont édifiés par des éjaculations répétées qui amènent une accumulation de matières éruptives autour de l'orifice.
Cependant,