La Faute de l'abbé Mouret. Emile Zola

La Faute de l'abbé Mouret - Emile Zola


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parlé en maîtresse sans pardon… Je ne sais ce qu'on vous apprend dans les séminaires. Les nouveaux curés pleurent comme des enfants avec leurs paroissiens. Dieu semble tout changé… Je jurerais, monsieur le curé, que vous ne savez même plus votre catéchisme par coeur?

      Le prêtre, blessé de cette volonté qui cherchait à s'imposer si rudement, leva la tête, disant avec quelque sécheresse:

      – C'est bien, votre zèle est louable… Mais n'avez-vous rien à me dire? Vous êtes venu ce matin à la cure, n'est-ce pas?

      Frère Archangias répondit brutalement:

      – J'avais à vous dire ce que je vous ai dit… Les Artaud vivent comme leurs cochons. J'ai encore appris hier que Rosalie, l'aînée du père Bambousse, est grosse. Toutes attendent ça pour se marier. Depuis quinze ans, je n'en ai pas connu une qui ne soit allée dans les blés avant de passer à l'église… Et elles prétendent en riant que c'est la coutume du pays!

      – Oui, murmura l'abbé Mouret, c'est un grand scandale… Je cherche justement le père Bambousse pour lui parler de cette affaire. Il serait désirable, maintenant, que le mariage eût lieu au plus tôt… Le père de l'enfant, paraît-il, est Fortuné, le grand fils des Brichet. Malheureusement les Brichet sont pauvres.

      – Cette Rosalie! poursuivit le Frère, elle a juste dix-huit ans. Ça se perd sur les bancs de l'école. Il n'y a pas quatre ans, je l'avais encore. Elle était déjà vicieuse… J'ai maintenant sa soeur Catherine, une gamine de onze ans qui promet d'être plus éhontée que son aînée. On la rencontre dans tous les trous avec ce petit misérable de Vincent… Allez, on a beau leur tirer les oreilles jusqu'au sang, la femme pousse toujours en elles. Elles ont la damnation dans leurs jupes. Des créatures bonnes à jeter au fumier, avec leurs saletés qui empoisonnent! Ça serait un fameux débarras, si l'on étranglait toutes les filles à leur naissance.

      Le dégoût, la haine de la femme le firent jurer comme un charretier. L'abbé Mouret, après l'avoir écouté, la face calme, finit par sourire de sa violence. Il appela Voriau, qui s'était écarté dans un champ voisin.

      – Et, tenez! cria Frère Archangias, en montrant un groupe d'enfants jouant au fond d'une ravine, voilà mes garnements qui manquent l'école, sous prétexte d'aller aider leurs parents dans les vignes!.. Soyez sûr que cette gueuse de Catherine est au milieu. Elle s'amuse à glisser. Vous allez voir ses jupes par-dessus sa tête. Là, qu'est-ce que je vous disais!.. A ce soir, monsieur le curé… Attendez, attendez, gredins!

      Et il partit en courant, son rabat sale volant sur l'épaule, sa grande soutane graisseuse arrachant les chardons. L'abbé Mouret le regarda tomber au milieu de la bande des enfants, qui se sauvèrent comme un vol de moineaux effarouchés. Mais il avait réussi à saisir par les oreilles Catherine et un autre gamin. Il les ramena du côté du village, les tenant ferme de ses gros doigts velus, les accablant d'injures.

      Le prêtre reprit sa marche. Frère Archangias lui causait parfois d'étranges scrupules; il lui apparaissait dans sa vulgarité, dans sa crudité, comme le véritable homme de Dieu, sans attache terrestre, tout à la volonté du ciel, humble, rude, l'ordure à la bouche contre le péché. Et il se désespérait de ne pouvoir se dépouiller davantage de son corps, de ne pas être laid, immonde, puant la vermine des saints. Lorsque le Frère l'avait révolté par des paroles trop crues, par quelque brutalité trop prompte, il s'accusait ensuite de ses délicatesses, de ses fiertés de nature, comme de véritables fautes. Ne devait-il pas être mort à toutes les faiblesses de ce monde? Cette fois encore, il sourit tristement, en songeant qu'il avait failli se fâcher, de la leçon emportée du Frère. C'était l'orgueil, pensait-il, qui cherchait à le perdre en lui faisant prendre les simples en mépris. Mais, malgré lui, il se sentait soulagé d'être seul, de s'en aller à petits pas, lisant son bréviaire, délivré de cette voix âpre qui troublait son rêve de tendresse pure.

      VI

      La route tournait entre des écroulements de rocs au milieu desquels les paysans avaient, de loin en loin, conquis quatre ou cinq mètres de terre crayeuse, plantée de vieux oliviers. Sous les pieds de l'abbé, la poussière des ornières profondes avait de légers craquements de neige. Parfois, en recevant à la face un souffle plus chaud, il levait les yeux de son livre, cherchant d'où lui venait cette caresse; mais son regard restait vague, perdu sans le voir, sur l'horizon enflammé, sur les lignes tordues de cette campagne de passion, séchée, pâmée au soleil, dans un vautrement de femme ardente et stérile. Il rabattait son chapeau sur son front, pour échapper aux haleines tièdes; il reprenait sa lecture, paisiblement; tandis que sa soutane, derrière lui, soulevait une petite fumée, qui roulait au ras du chemin.

      – Bonjour, monsieur le curé, lui dit un paysan qui passa.

      Des bruits de bêche, le long des pièces de terre, le sortaient encore de son recueillement. Il tournait la tête, apercevait au milieu des vignes de grands vieillards noueux, qui le saluaient. Les Artaud, en plein soleil, forniquaient avec la terre, selon le mot de Frère Archangias. C'étaient des fronts suants apparaissant derrière les buissons, des poitrines haletantes se redressant lentement, un effort ardent de fécondation, au milieu duquel il marchait de son pas si calme d'ignorance. Rien de troublant ne venait jusqu'à sa chair du grand labeur d'amour dont la splendide matinée s'emplissait.

      – Eh! Voriau, on ne mange pas le monde! cria gaiement une voix forte, faisant taire le chien qui aboyait violemment.

      L'abbé Mouret leva la tête.

      – C'est vous, Fortuné, dit-il, en s'avançant au bord du champ, dans lequel le jeune paysan travaillait. Je voulais justement vous parler.

      Fortuné avait le même âge que le prêtre. C'était un grand garçon, l'air hardi, la peau dure déjà. Il défrichait un coin de lande pierreuse.

      – Par rapport, monsieur le curé? demanda-t-il.

      – Par rapport à ce qui c'est passé entre Rosalie et vous, répondit le prêtre.

      Fortuné se mit à rire. Il devait trouver drôle qu'un curé s'occupât d'une pareille chose.

      – Dame, murmura-t-il, c'est qu'elle a bien voulu. Je ne l'ai pas forcée… Tant pis si le père Bambousse refuse de me la donner! Vous avez bien vu que son chien cherchait à me mordre tout à l'heure. Il le lança contre moi.

      L'abbé Mouret allait continuer, lorsque le vieil Artaud, dit Brichet, qu'il n'avait pas vu d'abord, sortit de l'ombre d'un buisson, derrière lequel il mangeait avec sa femme. Il était petit, séché par l'âge, la mine humble.

      – On vous aura conté des menteries, monsieur le curé, s'écria-t-il. L'enfant est tout prêt à épouser la Rosalie… Ces jeunesses sont allées ensemble. Ce n'est la faute de personne. Il y en a d'autres qui ont fait comme eux et qui n'en ont pas moins bien vécu pour cela… L'affaire ne dépend pas de nous. Il faut parler à Bambousse. C'est lui qui nous méprise, à cause de son argent.

      – Oui, nous sommes trop pauvres, gémit la mère Brichet, une grande femme pleurnicheuse, qui se leva à son tour. Nous n'avons que ce bout de champ, où le diable fait grêler les cailloux, bien sûr. Il ne nous donne pas du pain… Sans vous, monsieur le curé, la vie ne serait pas possible.

      La mère Brichet était la seule dévote du village. Quand elle avait communié, elle rôdait autour de la cure, sachant que la Teuse lui gardait toujours une paire de pains de la dernière cuisson. Parfois même, elle emportait un lapin ou une poule, que lui donnait Désirée.

      – Ce sont de continuels scandales, reprit le prêtre. Il faut que ce mariage ait lieu au plus tôt.

      – Mais tout de suite, quand les autres voudront, dit la vieille femme, très inquiète sur les cadeaux qu'elle recevait. N'est-ce pas? Brichet, ce n'est pas nous qui serons assez mauvais chrétiens pour contrarier monsieur le curé.

      Fortuné ricanait.

      – Moi, je suis tout prêt, déclara-t-il, et la Rosalie aussi… Je l'ai vue hier, derrière le moulin. Nous ne sommes pas fâchés, au contraire. Nous sommes restés ensemble, à rire…

      L'abbé Mouret l'interrompit:

      – C'est


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