Napoléon Le Petit. Виктор Мари Гюго

Napoléon Le Petit - Виктор Мари Гюго


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et encore est-ce qu'on n'a pas loué la magnanimité de Mandrin qui, quelquefois, ne prenait pas tout l'argent, et de Jean l'Écorcheur qui, quelquefois, ne tuait pas tous les voyageurs!

      En dotant M. Bonaparte de douze millions, plus quatre millions pour l'entretien des châteaux, le sénat, doté par M. Bonaparte d'un million, félicite M. Bonaparte d'avoir «sauvé la société», à peu près comme un personnage de comédie en félicite un autre d'avoir «sauvé la caisse».

      Quant à moi, j'en suis encore à chercher, dans les glorifications que font de M. Bonaparte ses plus ardents apologistes, une louange qui ne conviendrait pas à Cartouche et à Poulailler après un bon coup; et je rougis quelquefois, pour la langue française et pour le nom de Napoléon, des termes vraiment un peu crus et trop peu gazés et trop appropriés aux faits, dans lesquels la magistrature et le clergé félicitent cet homme pour avoir volé le pouvoir avec effraction de la constitution et s'être nuitamment évadé de son serment.

      Après que toutes les effractions et tous les vols dont se compose le succès de sa politique ont été accomplis, il a repris son vrai nom; chacun alors a reconnu que cet homme était un monseigneur. C'est M. Fortoul8, disons-le en son honneur, qui s'en est aperçu le premier.

      Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit, et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve si énorme, il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise. On se demande: comment a-t-il fait? On décompose l'aventure et l'aventurier, et, en laissant à part le parti qu'il tire de son nom et certains faits extérieurs dont il s'est aidé dans son escalade, on ne trouve au fond de l'homme et de son procédé que deux choses, la ruse et l'argent.

      La ruse; nous avons caractérisé déjà ce grand côté de Louis Bonaparte, mais il est utile d'y insister.

      Le 27 novembre 1848, il disait à ses concitoyens dans son manifeste:

      «Je me sens obligé de vous faire connaître mes sentiments et mes principes. Il ne faut pas qu'il y ait d'équivoque entre vous et moi. Je ne suis pas un ambitieux… Élevé dans les pays libres, à l'école du malheur, je resterai toujours fidèle aux devoirs que m'imposeront vos suffrages et les volontés de l'assemblée.

       «Je mettrai mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur, le pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli.»

      Le 31 décembre 1849, dans son premier message à l'assemblée, il écrivait: «Je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la constitution que j'ai jurée.» Le 12 novembre 1850, dans son second message annuel à l'assemblée, il disait: «Si la constitution renferme des vices et des dangers, vous êtes libres de les faire ressortir aux yeux du pays; moi seul, lié par mon serment, je me renferme dans les strictes limites qu'elle a tracées.» Le 4 septembre de la même année, à Caen, il disait: «Lorsque partout la prospérité semble renaître, il serait bien coupable, celui qui tenterait d'en arrêter l'essor par le changement de ce qui existe aujourd'hui.» Quelque temps auparavant, le 22 juillet 1849, lors de l'inauguration du chemin de fer de Saint-Quentin, il était allé à Ham, il s'était frappé la poitrine devant les souvenirs de Boulogne, et il avait prononcé ces paroles solennelles:

      «Aujourd'hui qu'élu par la France entière je suis devenu le chef légitime de cette grande nation, je ne saurais me glorifier d'une captivité qui avait pour cause l'attaque contre un gouvernement régulier.

      «Quand on a vu combien les révolutions les plus justes entraînent de maux après elles, on comprend à peine l'audace d'avoir voulu assumer sur soi la terrible responsabilité d'un changement; je ne me plains donc pas d'avoir expié ici, par un emprisonnement de six années, ma témérité contre les lois de ma patrie, et c'est avec bonheur que, dans ces lieux mêmes où j'ai souffert, je vous propose un toast en l'honneur des hommes qui sont déterminés, malgré leurs convictions, à respecter les institutions de leur pays.9»

      Tout en disant cela, il conservait au fond de son coeur, et il l'a prouvé depuis à sa façon, cette pensée écrite par lui dans cette même prison de Ham: «Rarement les grandes entreprises réussissent du premier coup.»

      Vers la mi-novembre 1851, le représentant F… élyséen, dînait chez M.

      Bonaparte:

      – Que dit-on dans Paris et à l'assemblée? demanda le président au représentant.

      – Hé, prince!

      – Eh bien?

      – On parle toujours…

      – De quoi?

      – Du coup d'état.

      – Et l'assemblée, y croit-elle?

      – Un peu, prince.

      – Et vous?

      – Moi, pas du tout.

      Louis Bonaparte prit vivement les deux mains de M. F… et lui dit avec attendrissement:

      – Je vous remercie, monsieur F…; vous, du moins vous ne me croyez pas un coquin!

      Ceci se passait quinze jours avant le 2 décembre.

      À cette époque, et dans ce moment-là même, de l'aveu du complice Maupas, on préparait Mazas.

      L'argent; c'est là l'autre force de M. Bonaparte.

      Parlons des faits prouvés juridiquement par les procès de Strasbourg et de Boulogne.

      À Strasbourg, le 30 octobre 1836, le colonel Vaudrey, complice de M. Bonaparte, charge les maréchaux des logis du 4e régiment d'artillerie de «partager entre les canonniers de chaque batterie deux pièces d'or».

      Le 5 août 1840, dans le paquebot, nolisé par lui, la Ville d'Edimbourg, en mer, M. Bonaparte appelle autour de lui les soixante pauvres diables, ses domestiques, qu'il avait trompés en leur faisant accroire qu'il allait à Hambourg en excursion de plaisir; il les harangue du haut d'une de ses voitures accrochées sur le pont, leur déclare son projet, leur jette leurs déguisements de soldats, et leur donne à chacun cent francs par tête; puis il les fait boire. Un peu de crapule ne gâte pas les grandes entreprises. – «J'ai vu, a dit devant la cour des pairs le témoin Hobbs10, garçon de barre, j'ai vu dans la chambre beaucoup d'argent. Les passagers me paraissaient lire des imprimés… Les passagers ont passé toute la nuit à boire et à manger. Je ne faisais rien autre chose que de déboucher des bouteilles et servir à manger.» Après le garçon de barre, voici le capitaine. Le juge d'instruction demande au capitaine Crow: – «Avez-vous vu les passagers boire?» – Crow: «Avec excès; je n'ai jamais vu semblable chose11.» On débarque, on rencontre le poste de douaniers de Wimereux. M. Louis Bonaparte débute par offrir au lieutenant de douaniers une pension de douze cents francs. Le juge d'instruction: – «N'avez-vous pas offert au commandant du poste une somme d'argent s'il voulait marcher avec vous? – Le prince: «Je la lui ai fait offrir, mais il l'a refusée12

      On arrive à Boulogne. Ses aides de camp – il en avait dès lors – portaient suspendus à leur cou des rouleaux de fer-blanc pleins de pièces d'or. D'autres suivaient avec des sacs de monnaie à la main13. On jette de l'argent aux pêcheurs et aux paysans en les invitant à crier: vive l'empereur! «Il suffit de trois cents gueulards», avait dit un des conjurés14.

      Louis Bonaparte aborde le 42e, caserné à Boulogne. Il dit au voltigeur Georges Koehly: Je suis Napoléon; vous aurez des grades et des décorations. Il dit au voltigeur Antoine Gendre: Je suis le fils de Napoléon; nous allons à l'hôtel du Nord commander un dîner pour moi et pour vous. Il dit au voltigeur Jean Meyer: Vous serez bien payés; il dit au voltigeur Joseph Mény: Vous viendrez à Paris, vous serez bien payé15.

      Un


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<p>8</p>

Le premier rapport adressé à M. Bonaparte, et où M. Bonaparte est qualifié Monseigneur, est signé FORTOUL.

<p>9</p>

Fragments historiques.

<p>10</p>

Cour des pairs. Dépositions des témoins, p. 94.

<p>11</p>

Cour des pairs. Dépositions des témoins, p. 75; voir aussi 81, 88 à 94.

<p>12</p>

Cour des pairs. Interrogatoire des inculpés, p. 13.

<p>13</p>

Cour des pairs. Dépositions des témoins, p. 103, 185.

<p>14</p>

«Le président:

– Prévenu Querelles, ces enfants qui criaient ne sont-ils pas ces trois cents gueulards que vous demandiez dans une lettre?»

(Procès de Strasbourg.)

<p>15</p>

Cour des pairs. Dépositions des témoins, p. 143, 155,156 et 158.