La méchante femme mise à la raison. Уильям Шекспир
et dites: Votre Grandeur voudrait-elle se rafraîchir les mains? Que quelqu'un se tienne prêt, avec plusieurs riches habillements, et lui demande quelle parure il préfère aujourd'hui. Qu'un autre lui parle de ses chiens et de son cheval, et lui dise que milady est très-affligée de sa maladie. Persuadez-lui qu'il a eu un accès de folie; et lorsqu'il voudra vous dire qu'il n'est qu'un… interrompez-le en lui disant qu'il rêve, et qu'il n'est rien qu'un puissant seigneur. Faites bien cela, mes amis, et jouez naturellement votre rôle; ce sera le plus plaisant divertissement du monde, si l'on sait se contenir.
PREMIER PIQUEUR. – Milord, je vous réponds que nous nous acquitterons bien de notre rôle, et que tout sera si bien ménagé, qu'il faudra qu'il se croie réellement ce que nous lui dirons qu'il est.
LE LORD. – Soulevez-le doucement, allez le mettre au lit, et que chacun soit à son poste lorsqu'il se réveillera. (Quelques-uns de ses gens emportent Sly. On entend une trompette.) Maraud, va voir quelle est cette trompette qu'on entend. (Un valet sort.) Apparemment quelque noble gentilhomme, qui, étant en voyage, se propose de séjourner ici. (Le valet revient.) Eh bien! qu'est-ce que c'est?
LE VALET. – Sous le bon plaisir de milord, ce sont des comédiens qui offrent leurs services à Votre Seigneurie.
LE LORD. – Dis-leur de s'approcher. (Entrent les comédiens.) Camarades, vous êtes les bienvenus.
PREMIER COMÉDIEN. – Nous rendons grâces à Votre Honneur.
LE LORD. – Vous proposez-vous de rester avec moi ce soir?
SECOND COMÉDIEN. – Oui, s'il plaît à Votre Seigneurie d'agréer nos services.
LE LORD. – De tout mon coeur. (Montrant l'un des comédiens.) Je crois me rappeler cet homme-là, et l'avoir vu une fois faire le fils aîné d'un fermier. C'était dans une pièce où vous faisiez si bien votre cour à la demoiselle… J'ai oublié votre nom;… mais, certainement ce rôle fut bien joué, et avec bien du naturel.
PREMIER COMÉDIEN, montrant un de ses camarades. – Je crois que c'est de Soto que Votre Honneur veut parler.
LE LORD. – Précisément; tu étais excellent. – Allons, vous êtes venus ici au bon moment; d'autant plus à propos, que j'ai en tête certain divertissement où vos talents me seront d'un grand secours. Il y a ici un lord qui veut vous voir jouer ce soir; mais je doute de votre retenue, je crains qu'en venant à remarquer son bizarre maintien vous ne vous échappiez à rire aux éclats, et que vous ne l'offensiez, car je vous déclare que s'il vous arrive de rire il se mettra en colère.
PREMIER COMÉDIEN. – N'ayez aucune crainte, milord; nous savons nous contenir, fût-il le personnage le plus risible du monde.
LE LORD. – Allons, mon garçon, conduis-les à l'office, et aie soin que chacun d'eux soit bien traité; qu'ils ne manquent de rien de ce qu'il y a dans mon château. (Un domestique sort avec les comédiens.) Toi, mon garçon, va trouver mon page Barthélémy, et fais-le habiller en dame des pieds à la tête: cela fait, conduis-le à la chambre où est l'ivrogne, et appelle-le madame avec un grand respect, dis-lui de ma part que, s'il veut gagner mes bonnes grâces, il prenne l'air et le maintien noble et décent qu'il a vu observer par les nobles dames envers leurs maris; qu'il se comporte de même envers l'ivrogne, avec un doux accent de voix, et une humble politesse, et qu'il lui dise: «Qu'ordonne Votre Honneur? En quoi votre femme, votre humble épouse peut-elle vous montrer son zèle respectueux, et manifester son amour?» Et qu'alors, le serrant dans ses bras, le baisant amoureusement, et penchant sa tête sur son sein, qu'il verse des larmes de joie en voyant la santé rendue à son noble époux qui, depuis sept ans, croyait n'être plus qu'un dégoûtant mendiant. Et si mon page n'a pas le don des femmes pour répandre à flots des larmes de commande, un oignon en fera l'affaire; qu'il en tienne un enveloppé dans son mouchoir; il faudra bien que les pleurs coulent de ses yeux. Vois à arranger cela avec tout le soin dont tu es capable: tout à l'heure je te donnerai encore d'autres instructions. (Le domestique sort.) Je sais que le jeune drôle se donnera à merveille les grâces, le ton, la démarche et le maintien d'une dame de qualité; il me tarde de l'entendre appeler l'ivrogne son époux, et de voir comment feront mes gens pour s'empêcher de rire, lorsqu'ils rendront leurs hommages à ce simple paysan. Je vais entrer pour leur faire la leçon; peut-être que ma personne pourra leur imposer et tenir leur joie en respect, autrement elle éclaterait à ne pas finir.
(Il sort.)
SCÈNE II
Chambre à coucher dans la maison du lord.
SLY revêtu d'une belle robe de chambre et entouré de VALETS, les uns habillés richement, d'autres avec un bassin, une aiguière, etc.
Entre LE LORD, vêtu comme un domestique.
SLY. – Au nom de Dieu, un pot de bière!
PREMIER SERVITEUR. – Plairait-il à Votre Seigneurie de boire un verre de vin des Canaries?
SECOND SERVITEUR. – Votre Honneur voudrait-elle goûter de ces confitures?
TROISIÈME SERVITEUR. – Quel costume Votre Honneur veut-elle mettre aujourd'hui?
SLY. – Je suis Christophe Sly: ne m'appelez ni Votre Honneur, ni Votre Seigneurie: je n'ai jamais bu de vin des Canaries de ma vie; et si vous voulez me donner des confitures, donnez-moi des confitures de boeuf. Ne me demandez jamais quel habit je veux mettre: je n'ai pas plus de pourpoints que de dos; je n'ai pas plus de bas que de jambes, pas plus de souliers que de pieds, et souvent même plus de pieds que de souliers, encore mes orteils regardent-ils souvent à travers l'empeigne.
LE LORD. – Le ciel veuille guérir Votre Seigneurie de ces folles et bizarres idées! Oh! c'est une chose déplorable qu'un homme de votre rang, de votre naissance, possesseur de si riches domaines, et jouissant d'une si haute considération, soit imbu de sentiments si bas.
SLY. – Quoi! voudriez-vous me faire extravaguer? Ne suis-je pas Christophe Sly, le fils du vieux Sly de Burton-Heath, porte-balle de naissance, cardier par éducation, par métamorphose meneur d'ours, et aujourd'hui chaudronnier de mon état? Demandez à Marianne Hacket, la grosse cabaretière de Wincot, si elle ne me connaît pas bien: si elle dit que je ne suis pas marqué sur son compte pour quatorze sous de petite bière, tenez-moi pour le plus fieffé menteur de la chrétienté. Je ne suis pas timbré…
PREMIER SERVITEUR. – Oh! voilà ce qui fait gémir sans cesse votre noble épouse.
SECOND SERVITEUR. – Voilà ce qui fait sécher vos gens de chagrin.
LE LORD. – Voilà ce qui est cause que vos parents fuient votre château; ils en ont été chassés par les égarements étranges de votre folie. Allons, noble lord, souvenez-vous de votre naissance; rappelez dans votre âme vos anciens sentiments que vous avez bannis, et bannissez-en ces rêves abjects. Voyez comme vos gens s'empressent autour de vous; chacun dans son office est prêt à vous obéir au premier signal. Souhaitez-vous de la musique? Écoutez; Apollon joue (on entend de la musique), et vingt rossignols chantent dans leurs cages. – Voulez-vous reposer? nous vous porterons dans une couche plus molle et plus douce que le lit voluptueux qui fut dressé exprès pour Sémiramis. – Voulez-vous vous promener? nous répandrons des fleurs sur la terre. – Ou bien, voulez-vous monter à cheval? on va apprêter vos chevaux, et les couvrir de leurs harnais tout parsemés d'or et de perles. – Aimeriez-vous mieux la chasse à l'oiseau? vous avez des faucons dont le vol s'élève bien au-dessus de l'alouette matinale. – Ou bien, voulez-vous chasser à la bête? vos chiens feront retentir la voûte des cieux et réveilleront l'aigre voix des échos dans le sein de la terre.
PREMIER SERVITEUR. – Dites seulement que vous voulez chasser à courre, vos lévriers sont aussi rapides qu'un cerf en haleine; oui, plus légers que la chevrette.
SECOND SERVITEUR. – Aimez-vous les tableaux? Nous allons sur-le-champ vous apporter un Adonis couché près d'un ruisseau fugitif, et une Vénus cachée dans les roseaux, qui semblent s'agiter et folâtrer sous son haleine, de même que les roseaux flexibles jouent au souffle du vent.
LE LORD.