Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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il fallut donner aux arbalétriers une plus grande inclinaison, afin qu'ils ne fléchissent pas sous le poids de la couverture, et, dans les grandes charpentes, suspendre les entraits au milieu de leur portée. Excepté dans les provinces méridionales, où les charpentes conservèrent une faible inclinaison, partout en France et en Angleterre, on modifia, à la fin du XIIe siècle, le système des charpentes apparentes comme on avait modifié le mode de construction des maçonneries; les plafonds, les chevronnages lambrissés furent remplacés par des berceaux plein-cintre ou tiers-point, laissant passer les entraits à leur base, et logés dans la hauteur du comble. Ce système était fort économique, en ce qu'il évitait la construction des voûtes en maçonnerie, les contre-forts nécessaires pour les contre-butter, et en ce qu'il ne perdait pas tout l'espace compris, dans les édifices voûtés, entre ces voûtes et le faîte des combles.

      Peu d'exemples suffiront pour faire comprendre le système des charpentes apparentes adopté au moment où naît l'architecture ogivale, et qui ne cesse d'être employé qu'à la fin du XVIe siècle. Nous choisirons l'un des mieux combinés et des plus légers qui date du milieu du XIIIe siècle; c'est la charpente de la grande salle de l'ancien évêché d'Auxerre, aujourd'hui approprié à la préfecture 7.

      En A (19), nous présentons l'une des fermes; entre l'entrait B et l'entrait retroussé D, on voit une suite de courbes C habilement assemblées qui sont destinées à recevoir les bardeaux ou feuillets de chêne qui forment un berceau plein-cintre légèrement surbaissé; en I est le poinçon qui passe à travers le berceau, au droit de chaque ferme, et vient suspendre l'entrait. La coupe longitudinale E montre une ferme en F et une suite de chevrons portant ferme G. Tous les chevrons sont armés chacun d'un entrait retroussé avec des courbes absolument semblables à celles C de la ferme-maîtresse. Les bardeaux en bois refendus sont cloués sur chaque courbe des chevrons et des fermes, ainsi qu'on le voit en H, et des couvre-joints, moulurés viennent cacher les joints et renforcer encore les courbes à l'intérieur, en même temps qu'ils servent de décoration. De grandes croix de Saint-André, assemblées dans les poinçons, dans les sous-faîtes K et entre-toises L, empêchent le hiement de l'ensemble de la charpente et le déversement des fermes. Nous donnons en M un détail du chapiteau du poinçon au point où il commence à devenir apparent sous le berceau. Cette charpente est aussi légère que solide, et il est facile de reconnaître qu'on n'y a mis en oeuvre que la quantité de bois rigoureusement nécessaire à sa stabilité. Les équarrissages sont réduits à leur plus faible volume. Dans sa partie vue, le poinçon ne donne, en section horizontale, qu'un octogone de 0,13 centimètres de diamètre; les arbalétriers n'ont que 0,14 c. sur 0,12 c. d'équarrissage, les chevrons 0,13 c. sur 0,12 c. Mais la façon dont les chevrons portant ferme sont rendus rigides mérite particulièrement de fixer l'attention des constructeurs.

      La fig. 20 représente l'un d'eux. Posés sur des blochets, les pieds des chevrons sont raffermis par des jambettes courbes N; un entrait retroussé O les réunit, et deux contre-fiches PP, assemblées à mi-bois avec l'entrait retroussé, viennent étayer les chevrons au-dessus du berceau en RR, en même temps qu'elles empêchent le triangle de se déformer par l'action du vent ou d'une charge plus forte d'un côté que de l'autre. Dans la coupe longitudinale E, on voit en S la rencontre des contre-fiches assemblées tenant aux chevrons, et comment cette rencontre ne gêne en rien le passage des grandes croix de Saint-André longitudinales. Cette charpente porte de la latte et de la tuile depuis six siècles, sans avoir subi aucune altération grave, et malgré qu'on ait coupé plusieurs pièces pour passer des tuyaux de cheminée.

      Sur l'une des salles beaucoup plus petite, du même édifice, nous trouvons encore une charpente dont la combinaison, aussi bien entendue que simple, doit nous arrêter. Cette salle n'a pas plus de 4m,80 de largeur; elle était, de même que la grande, couverte par un berceau plein-cintre en charpente avec entraits et poinçons apparents. Nous donnons (21) cet exemple.

      En A est la ferme-maîtresse, en B un des chevrons portant ferme, et en C la coupe longitudinale de la charpente. Comme toujours, des bardeaux en chêne avec couvre-joints étaient cloués sur les courbes des fermes et chevrons. Ces bardeaux ou feuillets de chêne refendu ont ordinairement 0,01 c. d'épaisseur, et même quelquefois 0,009 m. Ceux de la grande charpente (fig. 19) n'ont pas davantage; ils sont assemblés à grain d'orge, ainsi que l'indique la fig. 22, afin d'empêcher le vent qui passe sous la tuile de pénétrer à l'intérieur. Mais le berceau apparent de ces sortes de charpente n'adopte pas toujours la forme plein-cintre; il n'est quelquefois qu'un segment de cercle et plus souvent en tiers-point.

      Telle est la charpente apparente de l'église de Mauvesin près Marmande 8 que nous donnons (23). Nous choisissons celle-ci, entre beaucoup d'autres, à cause de la disposition particulière des sablières, qui sont posées sur les entraits au lieu d'être au-dessous, et des blochets C qui viennent s'assembler dans les jambettes D, lesquelles sont pendantes et terminées par un cul-de-lampe, ainsi que le démontre la fig. 24. Les chevrons E, étant eux-mêmes assemblés à l'extrémité des blochets, débordent l'arête extérieure de la tête du mur, et tiennent lieu des coyaux destinés ordinairement à supporter l'égout du toit lorsque celui-ci, comme dans le cas présent, n'a pas de chéneau.

      Dans cette fig. 24, nous avons indiqué l'entrait en F privé de son arbalétrier et de sa jambette. La charpente de l'église de Mauvesin possède un véritable faîtage en A (fig. 23), dans lequel viennent s'assembler les extrémités des chevrons et non point un sous-faîte, comme la plupart des charpentes précédentes. Le déversement des fermes est maintenu par des liens assemblés en B dans le poinçon, dans les entre-toises et dans le faîtage. Les chevrons entre les fermes, espacées de 4m,30, sont munis chacun d'un entrait retroussé, d'esseliers et de jambettes courbes comme les fermes-maîtresses; ils ne diffèrent de celles-ci que par l'absence du poinçon et de l'entrait. Cette charpente, qui couvre une nef de 7m,00 de largeur, est fort simple et solide; les courbes, aujourd'hui dégarnies, recevaient autrefois des bardeaux avec couvre-joints, comme ceux de la fig. 19.

      Cependant les charpentiers des XIIIe et XIVe siècles élevaient des charpentes apparentes encore plus simples que celles données ci-dessus, pour couvrir des vaisseaux d'une largeur de 7m,00 à 8m,00. Il en existe une encore au-dessus de la nef de la petite église de Saint-Jean de Châlons-sur-Marne, qui se recommande par son extrême légèreté. Nons donnons (25) une des fermes-maîtresses de cette charpente, en A et en B un des chevrons. Ceux-ci ne sont rendus rigides que par les deux contre-fiches croisées C C et les jambettes D. Ici le berceau en tiers-point se compose de deux segments de cercle dont le centre est posé en contrebas de l'entrait.

      C'était dans les grand'salles des châteaux, des abbayes, des évêchés, des édifices publics, que les charpentiers du moyen âge étaient particulièrement appelés à déployer toutes les ressources de leur art. Chaque demeure féodale renfermait un vaste espace couvert, qui servait de salle de réunion dans les solennités, lorsque le seigneur exerçait ses droits de justicier, lorsqu'il conviait ses vassaux soit pour des fêtes, soit pour prendre part à ses actes de chef militaire. En temps de siége, la grand'salle du château servait encore de logement à un supplément de garnison; en temps de paix, c'était encore un promenoir comme nos salles des Pas-Perdus annexées aux palais de justice modernes. Généralement, ces grand'salles étaient situées au premier ou même au second étage, le rez-de-chaussée servant de magasin, d'écurie, de réfectoire et de dépôts d'armes. N'étant couvertes que par la toiture, et les murs des châteaux ne pouvant être renforcés par des contre-forts qui eussent gêné la défense, ces salles n'étaient pas voûtées, mais de magnifiques charpentes, lambrissées à l'intérieur, formaient un abri sûr contre les


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<p>7</p>

Cette charpente est aujourd'hui cachée par des plafonds et des distributions intérieures. Elle est en place, cependant, et a conservé presque partout son lambrissage.

<p>8</p>

Cette charpente a été relevée avec le plus grand soin par M. Alaux, architecte à Bordeaux, qui a bien voulu nous communiquer ses croquis. Cette charpente date de la fin du XIIIe siècle.