Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II. Constantin-François Volney

Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II - Constantin-François Volney


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est certain qu’elles existaient long-temps auparavant, qu’elles avaient par conséquent une fondation première, véritable, connue ou inconnue.

      Appliquant ce raisonnement à Babylone, nous pensons que Ktésias et les livres perso-assyriens ont eu raison de dire que Sémiramis fonda cette grande cité, parce qu’en effet il paraît que cette reine fit bâtir, par les fondements, les murs et les ouvrages gigantesques qui, même dans leur déclin, étonnèrent l’armée d’Alexandre73. L’assentiment des meilleurs auteurs, du géographe Strabon entre autres, qui eut en main toutes les pièces du procès, ne laisse pas de doute à cet égard; mais d’un autre côté, Bérose nous semble également fondé à soutenir que long-temps avant Sémiramis, il existait une Babel ou Babylone, c’est-à-dire, un palais, un temple du dieu Bel, de qui le pays avait formé son nom Babylonia, et dont le temple, selon l’usage de l’ancienne Asie, était le lieu de ralliement, le pélerinage, la métropole de toute la population soumise à ses lois; en même temps que ce temple était l’asile, la forteresse des prêtres de la nation, et le séminaire antique et sans doute originel de ces études astronomiques, de cette astrologie judiciaire, qui rendirent ces prêtres si célèbres sous le nom de Chaldéens, à une époque dont on ne sait plus mesurer l’antiquité. Ktésias lui-même et ses livres perso-assyriens fournissent un argument à l’appui de cette opinion; car puisque Ninus, plus de 30 ans avant Sémiramis, trouva un peuple agricole et pacifique, par conséquent industrieux et riche; puisqu’il trouva un roi, une cour et plusieurs bonnes villes, il existait donc dès lors un royaume puissant, un état civilisé et tout ce qui en dépend. Ktésias ne nous donne point les limites de ce royaume; mais puisque, chez les anciens comme chez les modernes, les royaumes réduits en provinces conservaient les limites qu’ils avaient avant d’être conquis; puisque la Babylonie, dès avant les rois perses Darius et Kyrus, nous est dépeinte comme s’étendant du désert de Syrie jusqu’aux monts de la Perse, et du golfe Persique jusqu’au nord du pays74 d’Arbèles, on peut dire que c’étaient là ses limites dès le temps de Ninus; d’où il résulte que ce royaume avait une surface de 3000 lieues carrées, d’un sol que les anciens comparent, pour la fertilité, à celui de l’Égypte, et qui par conséquent comporte une population probable de près de 3,000,000 d’habitans. Enfin, si la nation babylonienne nous est peinte comme divisée de tout temps en 4 castes, à la manière de l’Égypte et de l’Inde, division qui elle seule est une preuve de haute antiquité, l’on a le droit de dire que dès avant Ninus existait la caste des prêtres chaldéens, semblable en tout à celle des brahmes de l’Inde; ce qui suppose tout le système politique indiqué par le récit de nos deux historiens.

      Quant à la prétention ultérieure de Bérose, qui veut enlever à Sémiramis, reine assyrienne, la construction des grands ouvrages de Babylone, pour la donner à Nabukodonosor, roi chaldéen, nous allons rechercher, par la discussion exacte des textes originaux, quel fondement peut avoir cette opinion, et si, par un cas naturel, elle n’a pas pour motif l’antipathie nationale d’un Babylonien contre un peuple étranger, oppresseur de son pays, ou la partialité systématique d’un prêtre chaldéen élevé dans l’école réformatrice de Nabonasar, ce brûleur des livres historiques des rois qui l’avaient précédé. Écoutons d’abord le récit des livres assyriens cités par Ktésias, où se trouvent des détails très intéressans et circonstanciés. Cet historien, à la suite du fragment conservé par Diodore, continue ainsi l’histoire de Ninus et de son épouse75.

      CHAPITRE II.

      Récit de Ktésias, système assyrien

      «APRÈS la mort de Ninus, Sémiramis, passionnée pour tout ce qui respirait la grandeur, et jalouse de surpasser la gloire des rois qui l’avaient précédée, conçut le projet de bâtir une ville extraordinaire dans la Babylonie. Pour cet effet, elle appela de toutes parts une multitude d’architectes et d’artistes en tout genre, et elle prépara de grandes sommes d’argent et tous les matériaux nécessaires; puis ayant fait dans l’étendue de son empire une levée de 2,000,000 d’hommes, elle employa leurs bras à fermer l’enceinte de la ville par un mur de 360 stades de longueur76, flanqué de beaucoup de tours, en observant de laisser le cours de l’Euphrate dans le milieu du terrain. Telle fut la magnificence de son ouvrage, que la largeur des murs suffisait au passage de 6 chars serrés. Quant à la hauteur, personne ne croira Ktésias, qui lui donne 50 orgyes. Clitarque et les écrivains qui ont suivi Alexandre, ne la portent qu’à 50 coudées, ajoutant que leur largeur passait un peu celle de 2 chars de front. Ces auteurs disent que le circuit fut de 365 stades, par la raison que Sémiramis voulut imiter le nombre des jours de l’année. Ces murs furent faits de briques crues, liées avec du bitume. Les tours, d’une hauteur et d’une largeur proportionnée, ne furent qu’au nombre de 250; ce qui, pour un si long espace, serait surprenant, si l’on ne remarquait que sur certaines faces, la ville est flanquée de marais qui ont dispensé d’ajouter d’autres moyens de défense. Entre les murs et les maisons, l’espace laissé libre fut large de deux plèthres. Sémiramis, afin d’accélérer son ouvrage, assigna à chacun de ses favoris (ou de ses plus dévoués serviteurs) la tâche d’un stade, avec tous les moyens nécessaires, en y joignant la condition d’avoir achevé dans un an. Ce premier travail étant fini «et approuvé par la reine, elle choisit l’endroit où l’Euphrate était le plus étroit, et elle y jeta un pont dont la longueur fut de 5 stades. Par des moyens ingénieux, on fonda dans le lit du fleuve des piles espacées de 12 pieds, dont les pierres furent jointes avec de fortes griffes ou agrafes de fer, scellées elles-mêmes par du plomb fondu qui fut coulé dans leurs mortaises. L’avant-bec de ces piles eut la forme d’un angle qui, divisant l’eau, la fît glisser plus doucement sur ses flancs obliques, et modérât ainsi l’effort du courant contre l’épaisseur des massifs. Sur ces piles, l’on étendit des poutres de cèdres et de cyprès, avec de très-grands troncs de palmiers; ce qui produisit un pont de 30 pieds de large, dont l’habile mécanisme ne le céda à aucun autre ouvrage de Sémiramis. Cette reine fit ensuite construire à grands frais, sur chaque rive du fleuve, un quai dont le mur eut la même largeur que celui de la ville, sur une longueur de 160 stades. En face des deux entrées du pont, elle fit élever deux châteaux flanqués de tours, d’où elle pût découvrir toute la ville, et se porter, comme d’un centre, partout où besoin serait. L’Euphrate traversant la ville du nord au midi, ces châteaux se trouvèrent l’un au levant, l’autre au couchant du fleuve. Ces deux ouvrages occasionèrent des dépenses considérables; car le château du couchant eut une triple enceinte de hautes et fortes murailles, dont la première, construite en briques cuites, eut 60 stades de pourtour; la seconde, en dedans de celle-ci, décrivit un cercle de 40 stades: sa muraille eut 50 orgyes de hauteur sur une largeur de 300 briques, et les tours s’élevèrent jusqu’à 70 orgyes. Sur les briques encore crues, on moula des figures d’animaux de toute espèce, coloriées de manière à représenter la nature vivante. Enfin une troisième muraille intérieure, formant la citadelle, eut 20 stades de pourtour, et surpassa le second mur en largeur ou épaisseur et longueur77. Sémiramis exécuta encore un autre ouvrage prodigieux: ce fut de creuser dans un terrain bas, un grand bassin ou réservoir carré, dont la profondeur fut de 35 pieds, et dont chaque côté, long de 300 stades, fut revêtu d’un mur de briques cuites, liées avec du bitume. Ce travail fait, on dériva le fleuve dans ce bassin, et aussitôt on se hâta de construire dans son lit, mis à sec, un boyau ou galerie couverte qui s’étendit de l’un à l’autre château. La voûte de ce boyau, formée de briques cuites et de bitume, eut 4 coudées d’épaisseur: les deux murs qui la soutinrent eurent une épaisseur de 20 briques; et sous la courbe intérieure, 12 pieds de hauteur; la largeur de ce boyau, en dedans, fut de 15 pieds. Tout ce travail fut exécuté en 7 jours, au bout desquels le fleuve étant ramené dans son lit, Sémiramis put passer à pied sec par dessous l’eau, de l’un à l’autre de ses châteaux. Elle fit poser aux deux issues de cette galerie deux portes d’airain


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<p>73</p>

330 ans avant notre ère, 8 siècles et demi après la fondation.

<p>74</p>

Voyez le récit de Ktésias en Diodore, dont le lecteur trouvera une traduction littérale dans la Chronologie d’Hérodote, pag. 97. Comparez aussi Strabon, lib. XVI, au début.

<p>75</p>

Diod. Sicul., lib. II, p. 120, édit. de Wesseling.

<p>76</p>

Nous examinerons dans un article séparé la valeur de ces mesures.

<p>77</p>

Il y a ici une absurdité évidente. Le plus petit mur intérieur plus long que l’extérieur qui l’enveloppe! Sûrement il faut lire: surpassa en largeur et hauteur.