La vie simple. Рихард Вагнер

La vie simple - Рихард Вагнер


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vie facile, jouissances, désœuvrement. Parmi les moins simples des hommes il faut compter les mendiants de profession, les chevaliers d'industrie, les parasites, tout le troupeau des obséquieux ou des envieux dont les aspirations se résument en ceci: arriver à saisir un lambeau, le plus gros possible, de cette proie que consomment les heureux de la terre. Et dans cette même catégorie, rangeons, peu importe à quel milieu ils appartiennent, les ambitieux, les roués, les efféminés, les avares, les orgueilleux, les raffinés. La livrée n'y fait rien, il faut voir le cœur. Aucune classe n'a le privilège de la simplicité, aucun costume, quelque humble qu'il paraisse, n'en est le signe assuré. Sa demeure n'est, nécessairement, ni la mansarde, ni la chaumière, ni la cellule de l'ascète, ni la barque du plus pauvre des pêcheurs. Sous toutes les formes que revêt la vie, dans toutes les positions sociales, en bas comme au sommet de l'échelle, il y a des êtres qui sont simples et d'autres qui ne le sont pas. Nous ne voulons pas dire par là que la simplicité ne se traduise par aucun indice extérieur, qu'elle n'ait pas ses allures particulières, ses goûts propres, ses mœurs; mais il ne faut pas confondre ces formes qu'on peut à la rigueur lui emprunter, avec son essence même et sa source profonde. Cette source est tout intérieure. La simplicité est un état d'esprit. Elle réside dans l'intention centrale qui nous anime. Un homme est simple lorsque sa plus haute préoccupation consiste à vouloir être ce qu'il doit être, c est-à-dire un homme tout bonnement. Cela n'est ni aussi facile ni aussi impossible qu'on pourrait se l'imaginer. Au fond cela consiste à mettre ses aspirations et ses actes d'accord avec la loi même de notre être et par conséquent avec l'intention éternelle qui a voulu que nous soyons. Qu'une fleur soit une fleur, une hirondelle une hirondelle, un rocher un rocher et qu'un homme soit un homme et non un renard, un lièvre, un oiseau de proie ou un pourceau, tout est là.

      Nous voici donc amenés à formuler l'idéal pratique de l'homme. Dans toute vie nous observons une certaine quantité de forces et de substances associées pour un but. Des matériaux plus ou moins bruts y sont transformés et portés à un degré supérieur d'organisation. Il n'en est pas autrement pour la vie des hommes. L'idéal humain consisterait ainsi à transformer la vie en biens plus grands qu'elle-même. On peut comparer l'existence à une matière première. Ce qu'elle est, importe moins que ce qu'on en tire. Comme dans une œuvre d'art, ce qu'on doit y apprécier, c'est ce que l'ouvrier a su y mettre. Nous apportons en naissant, des dons différents. L'un a reçu de l'or, l'autre du granit, un troisième du marbre et la plupart du bois ou de l'argile. Notre tâche consiste à façonner ces matières. Chacun sait qu'on peut gâter la substance la plus précieuse, mais aussi qu'on peut tirer une œuvre immortelle d'une matière sans valeur. L'art consiste à réaliser une idée permanente, dans une forme éphémère. La vie vraie consiste à réaliser les biens supérieurs qui sont la justice, l'amour, la vérité, la liberté, l'énergie morale dans notre activité journalière, quel qu'en soit d'ailleurs le lieu ou la forme extérieure. Et cette vie est possible dans les conditions sociales les plus diverses, et avec les dons naturels les plus inégaux. Ce n'est pas la fortune ou les avantages personnels, mais le parti que nous en tirons qui constitue la valeur de la vie. L'éclat n'y fait pas plus que la longueur: la qualité, voilà le principal.

      Est-il nécessaire de dire qu'on ne s'élève pas à ce point de vue, sans effort et sans lutte? L'esprit de simplicité n'est pas un bien dont on hérite, mais le résultat d'une conquête laborieuse. Bien vivre, comme bien penser, c'est simplifier. Chacun sait que la science consiste à faire sortir de la somme touffue des cas divers quelques règles générales. Mais que d'obscurités et de tâtonnements pour aboutir à la découverte de ces règles! Des siècles de recherche viennent souvent se condenser en un principe qui tient dans une ligne. La vie morale en ce point présente une grande analogie avec la vie scientifique. Elle aussi commence dans une certaine confusion, s'essaie, se cherche elle-même et souvent se trompe. Mais à force d'agir et de se rendre compte de ses actes avec sincérité, l'homme arrive à mieux savoir la vie. La loi lui apparaît, et cette loi, la voici: Accomplir sa mission. Celui qui s'applique à autre chose qu'à la réalisation de ce but, perd en vivant la raison d'être de la vie. Ainsi font les égoïstes, les jouisseurs, les ambitieux. Ils consomment l'existence, comme on mange son blé en herbe. Ils l'empêchent de porter son fruit. Leurs vies sont des vies perdues. Au contraire celui qui fait servir la vie à un bien supérieur, la sauve en la donnant. Les préceptes de morale, qui paraissent arbitraires aux regards superficiels et semblent faits pour contrarier notre ardeur de vie, n'ont en somme qu'un objectif: nous préserver du malheur d'avoir vécu inutilement. C'est pour cela qu'ils nous ramènent constamment à la même direction et qu'ils ont tous le même sens: ne gaspille pas ta vie; fais-la fructifier! Sache la donner pour l'empêcher de se perdre. En cela se résume l'expérience de l'humanité. Cette expérience, que chaque homme est obligé de refaire pour son compte, lui devient d'autant plus précieuse qu'elle lui a coûté plus cher. Éclairée par elle, sa démarche morale devient plus sûre, il a ses moyens d'orientation, sa norme intérieure à laquelle il peut tout ramener, et d'incertain, confus et compliqué qu'il était, il devient simple. Par l'influence constante de cette même loi qui grandit en lui et se vérifie tous les jours dans les faits, il se produit une transformation dans ses jugements et ses habitudes.

      Une fois saisi par la beauté et la grandeur de la vie vraie, par ce qu'il y a de saint et de touchant dans cette lutte de l'humanité pour la vérité, pour la justice, pour la bonté, il en garde au cœur la fascination. Et tout vient se subordonner naturellement à cette préoccupation puissante et persistante. La hiérarchie nécessaire des pouvoirs et des forces s'organise en lui. L'essentiel commande, l'accessoire obéit, et l'ordre naît de la simplicité. On peut comparer le mécanisme de la vie intérieure à celui d'une armée. Une armée est forte par la discipline, et la discipline consiste dans le respect de l'inférieur pour le supérieur, et dans la concentration de toutes les énergies vers un même but. Aussitôt que la discipline se relâche, l'armée souffre. Il ne faut pas que le caporal commande au général. Examinez avec soin votre vie et celle des autres, celle de la société. Chaque fois que quelque chose cloche ou grince et qu'il naît des complications ou du désordre, c'est parce que le caporal a commandé au général. Là où la loi de simplicité pénètre dans les cœurs le désordre disparaît.

      Je désespère de jamais décrire la simplicité d'une façon digne d'elle. Toute la force du monde et toute sa beauté, toute la joie véritable, tout ce qui console et augmente l'espérance, tout ce qui met un peu de lumière sur nos sentiers obscurs, tout ce qui nous fait prévoir à travers nos pauvres vies quelque but sublime et quelque avenir immense, nous vient des êtres simples qui ont assigné un autre objet à leurs désirs que les satisfactions passagères de l'égoïsme et de la vanité et qui ont compris que la science de la vie consistait à savoir donner sa vie.

      III

      La pensée simple

      Ce n'est pas notre vie seulement dans ses manifestations pratiques, mais aussi le domaine de nos idées qui a besoin d'être déblayé. L'anarchie règne dans la pensée humaine; nous marchons en pleines broussailles, perdus dans le détail infini, sans orientation et sans direction.

      Dès que l'homme a reconnu qu'il a son but, que ce but est d'être un homme, il organise sa pensée en conséquence. Toute façon de penser, de comprendre ou de juger qui ne le rend pas meilleur et plus fort, il la rejette comme malsaine.

      Et tout d'abord, il fuit le travers trop commun qui consiste à s'amuser de sa pensée. La pensée est un outil sérieux qui a sa fonction dans l'ensemble: ce n'est pas un joujou. Prenons un exemple: voici un atelier de peintre. Les outils sont à leur place. Tout indique que cet ensemble de moyens est disposé en vue d'un but à atteindre. Ouvrez la porte à des singes. Ils grimperont sur les établis, se suspendront aux cordes, se draperont dans les étoffes, se coifferont avec des pantoufles, jongleront avec les pinceaux, goûteront aux couleurs, et perceront les toiles pour voir ce que les portraits ont dans le ventre. Je ne doute pas de leur plaisir, il est certain qu'ils doivent trouver ce genre d'exercice fort intéressant. Mais un atelier n'est pas fait pour y lâcher des singes. De même la pensée n'est pas un terrain d'évolutions acrobatiques. Un homme digne de ce nom pense comme il est et comme il aime; il y va de tout son cœur et non avec cette curiosité détachée et stérile qui, sous prétexte de tout voir et tout


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