Ma conversion; ou le libertin de qualité. Honoré-Gabriel de Riqueti Mirabeau
la mienne; car vous noterez que je dois en avoir au moins autant que d'impudence. Mes visites s'accumulent, la familiarité s'en mêle, et voici une des conversations que nous aurons, j'en suis sûr.
A la sortie d'un sermon (car j'irai, non pas avec elle, mais je serai placé tout auprès, les yeux baissés, jetant vers le ciel des regards qui ne sont pas pour lui), à la sortie d'un sermon duquel elle m'a ramené, je commencerai par la critique de toutes les femmes rassemblées autour de nous. Notez que les questions viennent de ma béate. – Comment avez-vous trouvé Mme une telle? – Ah! Bon dieu! elle avait un pied de rouge. – Pourtant, elle est jolie. – Elle aurait de vos traits, si elle ne les défigurait pas; mais le rouge… cependant, je lui pardonne; elle n'a ni votre teint, ni vos couleurs… (croyez-vous qu'à ces mots elles n'augmenteront pas?) – Par exemple, la comtesse n'était pas habillée dûment. – Du dernier ridicule, elle montre une gorge! Et quelle gorge! Je ne connais qu'une femme qui eût le droit d'étaler de pareilles nudités. Au moins nous verrions des beautés. (remarquez ce coup d'oeil sur un mouchoir dont les plis laissaient passage à ma vue… Un autre coup d'oeil me punit, et je deviens timide, décontenancé.) – Que pensez-vous du sermon? – Moi, je vous l'avouerai, j'ai été distrait, inattentif. – Cependant, la morale était excellente. – J'en conviens; mais présentée d'une manière si froide! une belle bouche est bien plus persuasive. Par exemple, quel effet ne font pas sur moi vos exhortations! Je me sens plus animé, plus fort, plus courageux… hélas! vous me faites aimer la vertu parce que je vous aime… (Ah! mon cher ami, voyez-moi tremblant, interdit; la pâleur couvre mon visage… Je demande pardon… Plus on me l'accorde, plus j'exagère ma faute, afin de ne pas être coupable à demi…) Ma dévote se remet plus promptement; cependant, elle est encore émue, elle me propose de lire, et c'est un traité de l'amour de Dieu. Placé vis-à-vis d'elle, mon oeil de feu la parcourt et l'épie: je paraphrase, je compose; ce n'est plus un sermon, c'est du Rousseau que je lui débite… Je saisis l'instant, un oratoire est mon boudoir, et je suis heureux.
Mais l'argent! l'argent! – Foutre, un moment; laissez-nous décharger… Quelle jouissance qu'une dévote! Que de charmants riens! Comme cela vous retourne! Quel moelleux! Quels soupirs!… Ah! ma bonne sainte vierge!… ah! mon doux Jésus!… Ami, sens-tu cela comme moi?
Mais l'argent! Eh! me croyez-vous assez bête pour aller faire un mauvais marché? Nenni…
Quelque sot…
Je revois mon cafard, je lui raconte le tout; il est discret; il perdrait trop à ne pas l'être, et c'est lui qui va me servir; bien entendu qu'il aura son droit de commission.
Depuis trois jours, ma dévote, en abstinence, n'a eu pour ressource que son godemiché. Le père en Dieu arrive. —Hélas! ce pauvre jeune homme! il est encore retombé dans le vice! des femmes perdues l'entraînent… (Quel coup de poignard! ) – Ah! mon père, quel dommage! il a un bon fond! – Madame, ce n'est pas sa faute; il y a même en lui une espèce de vertu, car il est franc. "Monsieur, m'a-t-il dit, j'ai des dettes d'honneur, ma conscience me tourmente; je vais me perdre peut-être, je serai la victime de mon devoir… Hélas! ce qui me perce l'âme, c'est de quitter Madame. (Ici elle baisse les yeux.) Cette femme est adorable; elle possède mon coeur… N'importe, il faut la fuir… Etoile malheureuse! déplorable destin!" Voilà, madame, ce qu'il m'a dit les larmes aux yeux… On me plaint; on parle d'autre chose, on revient… – Mais à quoi montent ces dettes? – Trois cents louis…
Et vous croyez qu'une femme qui connaît mes caresses et mes reins, qui est sûre du secret, qui ne me trouve pas un butor, qui aime surtout les variantes, ne me les enverra pas le lendemain?
Je vous vois d'ici faire le moraliste: mais cela est odieux; l'amour pur est généreux; vous êtes un fripon… Foutre! vous badinez, vous gâteriez le métier; elle a trente-six ans, j'en ai vingt-quatre; elle est encore bien, mais je suis mieux; elle met de son côté du tempérament et de l'argent, moi de la vigueur et du secret… Ne voilà-t-il pas compensation?
D'ailleurs, voulez-vous que je m'acquitte? Je lui fais l'honneur de l'afficher. Elle quitte sa dévotion; je la rends à la société, à elle-même; elle change d'état, enfin… Non, je me trompe, elle ne change que de robe et de coiffure.
Voilà ma dévote dans le monde, et par mes soins. – Mais il valait bien mieux la laisser dans son obscurité: vous allez la perdre, on vous l'enlèvera. – J'ai d'autres projets peut-être; son argent est consommé, ses diamants sont vendus, mon caprice est passé… Vous verrez cependant que, pour me faire enrager, elle s'avisera d'être fidèle; il faut que je prenne la peine d'avoir des torts avec elle. – Vous en aurez bientôt. – Non; car voici ma conclusion: "Madame, je ne rappellerai point vos bontés, elles me sont chères, et mon coeur aime à vous avoir des obligations que toute autre ne m'eût pas fait contracter; mais plaignez-moi; c'est ma reconnaissance qui me coûtera la vie; c'est le soin de votre gloire qui va détruire mon bonheur. Je vous dois de cesser des visites qui vous compromettraient: hélas! je sais trop qu'en prononçant cette séparation funeste, je dicte mon arrêt."
Puissances du ciel! combien vous êtes attestées!
A force de singeries, je parviens à m'attendrir; ma dulcinée verse tour à tour les larmes de la douleur et celles du plaisir: ma fuite est combinée par des points d'arrêt sur tous les sophas des appartements, et c'est à sa dernière extase que je me sauve.
Parbleu! voilà bien des façons. – Pauvre sot tu ne vois donc pas que cette femme fait ma réputation pour l'éternité; je n'ai plus besoin de me vanter, je n'ai qu'à lui en laisser le soin, et je suis le phénix des oiseaux de ces bois. D'ailleurs, je n'ai pas perdu la tête; elle est amie intime de la présidente de ***, et depuis longtemps je lorgne cette riche veuve; elle ne manquera pas d'être la confidente de ma délaissée, et me croyez-vous assez novice pour n'avoir pas persuadé à celle-ci que ce serait un moyen de nous voir encore; à l'autre, que je ne quitte madame une telle que pour ses beaux yeux.
Tout réussit à mon gré… mais il faut que je les brouille… allons, discorde, vole à ma voix… On se pique, on se refroidit, les deux inséparables ne se voient plus; la présidente exige que j'embrasse son ressentiment; je me fais valoir, je deviens exigeant à mon tour. Que ne peut le désir de la vengeance! on se livre à moi pour faire pièce à sa bonne amie.
La présidente a trente-cinq ans, et n'en paraît pas plus de vingt-huit; elle est bien conservée, mais sans affectation. Ce serait une petite-maîtresse, si le jargon ne l'ennuyait pas. Elle a de l'esprit avec les femmes, de la gentillesse avec les hommes, beaucoup de retenue dans le public, un ton de femme de qualité et des dehors imposants.
Dans le particulier, je n'ai guère connu de tempérament plus vif, plus soutenu, et en même temps plus varié. Ses caresses sont séduisantes, parce qu'elles sont franches, et vingt fois j'ai été tenté de l'aimer. Au reste, elle n'est pas sans défaut: elle a une profonde vénération pour elle-même; ses décisions sont des oracles, ses préceptes, des lois; je n'ai rien vu de si impérieux. Il est vrai qu'elle y joint l'adresse et que souvent vous croyez faire votre volonté en ne suivant que la sienne.
Sa société, qui nous devine, ne tarde pas à me fêter, je suis le saint du jour; elle a de la confiance en moi: rien n'est bien si je ne l'ai conseillé. Nous passons ainsi six mortelles semaines. J'oubliais qu'elle veut être la confidente de mes affaires. Un jour, j'arrive chez elle; mon oeil est agité. – "Mais, qu'as-tu donc, mon ami? tu es bien sombre. – Quoi! dis-je (en m'efforçant de sourire), pourrais-je apporter chez vous de l'humeur?…" On me persécute, je m'obstine à me taire, j'ai des distractions que le monde qui abonde pour le souper ne saurait détruire: on me propose une partie, je la refuse, et je sors à minuit en m'échappant.
Voilà qui est bien simple, direz-vous; qui n'en ferait autant?… Je vous le donne en dix: écoutez seulement.
Est-ce que mon laquais, qui est un crispin des mieux dégourdis, n'a pas eu l'esprit de foutre la femme de chambre pour éviter l'ennui? Or, ce jour-là, il est presque aussi triste que moi; sa charmante le presse autant que la mienne, et comme il est d'un naturel confiant, il avoue que la nuit dernière j'ai soupé chez la duchesse une telle, que l'on m'a fait, malgré moi, tailler un pharaon; que le jeu était diabolique, que j'ai perdu énormément, et