Louis Riel, Martyr du Nord-Ouest. Unknown
gouverneur-général avait déclaré aux délégués des Métis que la chose ne souffrait aucune difficulté, et qu'on n'attendait que la sanction de la couronne.
On sait comment Sir John A. Macdonald faussa sa parole d'honneur. Le colonel Wolseley, qui allait préluder à ses tristes exploits en Égypte par le pillage du Nord-Ouest, se présenta au fort Garry, non pas comme représentant du gouvernement canadien, mais comme représentant du gouvernement impérial, que les Métis n'avaient jamais cessé de reconnaître; et étant ainsi entré par trahison dans la place, il se conduisit en vainqueur. Les membres du gouvernement provisoire furent arrêtés et traînés en prison; et le colonel Wolseley se félicita dans un discours public «d'avoir mis en fuite les bandits de Riel.»
Malheureusement, le gouvernement, qui avait été capable de s'emparer du fort Garry par surprise, n'était pas capable de s'opposer à l'invasion des fénians; et pour se défendre, il dut recourir à la généreuse assistance de Riel et de Lépine. Cela n'empêcha pas Lépine d'être ensuite mis en jugement et condamné à mort. La tête de Riel fut mise à prix. Il n'en fut pas moins élu à la Chambre des Communes en 1873, pour le comté de Provencher.
Poursuivi et traqué par les orangistes, obligé de se déguiser et de changer de domicile au moindre soupçon, pour échapper au poignard des assassins, Riel parvint néanmoins à passer inaperçu à travers les sbires et se présenta seul au parlement, le 19 mars 1874, où il prêta serment d'allégeance comme député de Provencher, devant le greffier des Communes. Mais il fut expulsé par une majorité de 124 voix contre 68. Le 3 septembre de la même année, il était réélu pour le comté de Provencher; mais l'amnistie n'ayant point été proclamée, il ne put prendre son siège. Il n'était pas seulement loyal, il était conservateur, et un peu plus tard il abandonna son siège pour assurer la réélection de Sir George Cartier, battu dans la province de Québec. Il ne faut jamais compter sur la reconnaissance des grands de la terre, Sir John A. Macdonald vient de récompenser Riel de son dévouement à la cause conservatrice, en le faisant pendre à Regina, le frère de M. Chapleau étant shérif.
Tel était l'homme qu'après treize ans d'exil, les Métis allèrent chercher en 1884, au Montana, pour lui confier la défense de leurs droits méconnus.
Rarement plus noble tâche avait été mise entre des mains plus dignes.
Depuis l'échec de Riel, les vautours se sont abattus sur leur proie. On a décidé qu'il serait la victime expiatoire des fautes commises par le gouvernement canadien dans le Nord-Ouest. On a suscité contre le héros métis le fanatisme et les mauvaises passions. Pour ameuter l'esprit anglais, peut-être pour marquer plus cruellement par sa mort l'avilissement de l'influence française, on a cherché à transformer la question en une lutte de races; et on a présenté le mouvement métis de 1885 comme une insurrection française contre un gouvernement anglais. C'est encore un mensonge qu'il importe de relever. Il s'agissait si peu d'une lutte de races, qu'au début du mouvement, les plaintes des Écossais et des Anglais n'étaient pas moins vives que celles des Français; et que la députation envoyée à Riel au Montana comprenait plusieurs Anglais, entre autres Jackson et Isbester.
CHAPITRE IV
L'INSURRECTION
Au milieu de mars 1885, il se passa un fait au moins étrange.
Tout le monde prévoyait, depuis plusieurs mois, une insurrection; et le gouvernement était seul à n'y avoir point pris garde.
S'il y avait pris garde, il lui eut suffi de se décider à rendre justice aux Métis, pour que l'insurrection n'eut pas lieu.
Or, l'agitation croissait de jour en jour, mais aucun acte de justice n'était intervenu.
Non seulement Riel n'avait pas encore levé le drapeau de la révolte, mais il n'avait pas même renoncé à l'espérance d'une solution pacifique; et il se flattait d'intimider le gouvernement, par des démonstrations, de façon à arracher des concessions aux ministres d'Ottawa, sans être obligé de recourir à une prise d'armes.
Rien n'était donc changé à la situation, au commencement de mars. Il n'y avait pas encore d'insurrection; et il dépendait du gouvernement canadien qu'il n'y en eût jamais. S'il avait fait, à cette date, ce qu'il a été obligé de faire depuis, s'il avait accordé aux Métis les demandes dont le bien fondé a été plus tard reconnu, la paix n'aurait jamais été troublée; nos concitoyens n'auraient pas été condamnés à la dure expédition du Nord-Ouest, et une dépense de plusieurs millions de piastres aurait été épargnée au trésor public.
Chose curieuse! Le gouvernement qui n'avait pas encore trouvé une minute pour lire les réclamations des Métis, s'était, paraît-il édifié à sa manière sur la situation du Nord-Ouest; et il s'était résigné avec un coeur léger à l'idée de la guerre civile, avant que la guerre fut déclarée, avant même qu'elle fut devenue inévitable.
Cette guerre civile, ce fut la police du gouvernement que en prit l'initiative.
Le 27 mars, le major Crozier, de la police à cheval, profitant d'une altercation survenue la veille entre Gabriel Dumont et un nommé MacKay, s'était présenté aux Métis en ennemi, à la tête d'un corps de troupes.
Il avait rencontré Gabriel Dumont, escorté de vingt cavaliers: et il avait tiré le premier coup de feu sur des hommes inoffensifs.
Cette action, dans laquelle la police fut mise en déroute et perdit quatorze hommes, reçut le nom de bataille du lac aux Canards.
Il est important de constater que, ni de part ni d'autre, il n'est nié que les hommes de Crozier aient tiré les premiers.
Par une coïncidence surprenante, à cette même date du 27 mars, avant de connaître l'attaque du major Crozier, le gouvernement, qui s'y attendait évidemment, ordonnait à la batterie A de Québec, et à la batterie B, de Kingston, de former chacune un détachement de cent hommes et de se mettre aussitôt en campagne.
Cette fois-ci, comme en 1870, c'était donc le gouvernement qui avait déclaré la guerre. C'était le gouvernement qui avait entamé les hostilités contre des gens ne demandant qu'à traiter.
La mobilisation se fit rapidement
Dès le 24 mars, le général Middleton était parti pour Winnipeg, afin de se mettre à la portée des opérations éventuelles.
Le 28 mars, deux détachements des Queen's Own, le 10ème Grenadiers Royaux et la compagnie C, de l'infanterie de Toronto étaient appelés au service. Le 65ème Carabiniers de Montréal reçut pareillement son ordre de départ. Le 30 mars, deux nouveaux régiments étaient levés à Winnipeg et un détachement des gardes à pied du gouverneur prenait la route du Nord-Ouest.
Le 31 mars, le 2ème London (Ontario) et le 9ème de Québec étaient appelés au service actif.
Ces régiments manquaient de tout. Pour les mettre en mesure de partir, il fallut que le ministre de la milice donnât un blanc seing aux colonels et les autorisât à faire coûte que coûte et d'urgence, toutes les dépenses nécessaires pour compléter l'équipement de leurs corps. On saura sans doute, d'ici peu de temps, combine de millions ce gaspillage suite de plusieurs années d'imprévoyance et d'incurie volontaire, a coûté au trésor public.
La bataille du Lac aux Canards, dont le gouvernement a assumé la responsabilité en ne désavouant pas le major Crozier, devait avoir des conséquences d'une gravité incalculable.
D'abord, elle constituait les Métis à l'état de belligérants. Riel, qui n'avait point assisté à l'engagement et qui avait conservé jusqu'à cette date l'espoir d'une solution pacifique, organisa un conseil de gouvernement, composé de douze personnes.
En même temps, les Sauvages qui n'avaient point encore pris fait et cause pour les Métis, furent enhardis par l'échec de la police, et se décidèrent à prendre part à la lutte. Le 30 mars, Gros-Ours prit le sentier de la guerre; et le lendemain sa bande procédait au massacre du Lac aux Grenouilles. Poundmaker devait plus tard suivre l'exemple de Gros Ours et infliger au colonel Otter la défaite de la montagne du Camp du Corbeau.