Actrice. Keith Dixon
Mai se leva et s’étira. Elle ne voulait vraiment pas parler de tout ça. C’était puéril.
- Il est sur l’affaire. Un Rottweiler. En peau de mouton.
- Ça va commencer, tu verras.
- Pourquoi es-tu toujours aussi positive, même avec la plus petite des preuves ?
- En général parce que les alternatives sont trop tragiques à supporter.
Elle se leva et enlaça Mai d’une façon étrange :
- A sept heures, ici, demain.
- Tu pourrais aussi bien déménager à ce rythme-là.
Billie lui lança un regard étrange, puis alla chercher son manteau.
Dans la chambre, il y avait un texto d’Eric : Interview demain. Appelle pour convenir de l’heure. Doigts croisés. Tarragon.
Elle ressortit ses vêtements paysans et les prépara pour le lendemain matin. Et elle prépara une explication pour la journaliste sans doute hyper hip-hop de Daily Paper, qui s’attendrait à rencontrer une actrice portant la dernière création de mode. Mai devra probablement la convaincre que le chemisier était de Jonathan Anderson, même s’il n’était pas assez large.
Elle savait d’avance que ça se passerait mal.
CHAPITRE SEPT
Après avoir peiné pour monter la colline, ils méritaient leur café. Geraldine s’était installée à une table pendant que Joan alla au comptoir. Elle revint avec deux cafés crème fumant dans une protection en carton. Elle marchait légèrement en diagonale, comme poussant un chariot de supermarché dont la roue est cassée, pour essayer de conforter son genou bancal.
Geraldine était excitée par le bruissement sonore de la station Brighton, comme toujours. Elle aimait bouger, voyager, l’idée de se retrouver à un endroit pour un temps puis à un autre différent à peine une heure après.
Craig n’avait jamais compris cela. Il était son opposé – un pantouflard devenu agité – si bien qu’il n’était jamais relax où qu’il était. Voyager n’était que de l’argent dépensé pour être malheureux ailleurs. Bien que bien sûr malheureux fût son émotion favorite, la ritournelle répétée, la touche de retour à la position initiale, les deux lignes du niveau à bulle que sa petite bulle d’équilibre cherchait constamment. Si je ne suis pas malheureux, je devrais l’être, semblait être la mélodie. Il était mort d’une crise cardiaque sur un terrain de golf, mais l’attaque a été réalisée par un cœur qui était trop lourd pour l’âme.
Elle n’avait pas pensé à Craig depuis presque une semaine – presque un record. C’était probablement parler à Mai qui l’a amené à repenser à lui. Le sucré qui relance la rage de dents.
Joan, une voisine aux larges hanches avec une envie presque pathologique de dépenser de l’argent, essayait d’attirer son attention. Elle était parfois déférente à l’égard de Geraldine d’une manière qui était énervante, mais au moins sa présence rendait les voyages moins solitaires.
- Dis-moi, la muette – que pense Mai de la compétition ? Ce serait un rôle génial, non ? Deannah, je veux dire.
Geraldine reconnut l’étincelle dans les pupilles de Joan, la petite lumière de désir qui apparaissait dans le regard des personnes qui s’approchaient d’une célébrité. Elle avait vu cela lui arriver, il y a des années, lorsque son visage était constamment sur les couvertures de magazines et les magazines de cinéma – la façon dont les hommes et les femmes parfaitement ordinaires se rabaissaient, s’amoindrissaient, devenaient plus petits, plus effacés lorsqu’elle se trouvait dans leur orbite. En étant la mère de Mai, elle savait exactement comment c’était de se trouver au bout de la ligne d’une telle auto-négation et avait fait de son mieux au cours des deux dernières années pour garder Mai attachée au sens de la banalité et du terre-à-terre.
- C’est une publicité, dit-elle. C’est une chose qui te poursuit sans que tu aies fait quoi que ce soit. C’est comme lorsque tu vas au cirque – plusieurs manœuvres se déroulent en coulisses pour empêcher que les animaux et les clowns tombent de leurs vélos. Mais tu ne remarques jamais la manœuvre, pas vrai ? C’est ça la publicité – une machine invisible qui dirige ton monde. Et tu ne la remarque jamais jusqu’au jour où elle t’attaque. Ou te détruise.
Joan refusa d’être distraite.
- C’est très bien présenté avec tes métaphores fantaisistes, jeune femme, mais tu n’as pas vraiment répondu à ma question. Mai, veut-elle ou non du rôle ?
Geraldine la préférait ainsi, persévérante dans la poursuite des ragots, parce qu’elle était moins flatteuse.
- J’aime le rôle de la jeune femme, dit-elle. Tu peux l’avouer. Maintenant, c’était quoi la question ?
Joan lui donna un petit coup sur le bras.
- Tu as quarante-cinq ans et tu es toujours magnifique. Moques-toi de moi comme tu veux, mais tu ne peux ignorer le fait que toi et Mai êtes la royauté pour certaines personnes.
Geraldine courba les coins de sa bouche.
- Quoi, moi et mes deux films ? Une demi-douzaine d’émissions de télé et deux longues séries dans West End ? Tu devrais sortir plus souvent, Joanie.
- C’est exactement pour cette raison qu’on est ici, aujourd’hui, non ? Arrête maintenant de m’insulter et bois ton café. On a cinq minutes.
La ligne de Brighton à Londres se déroulait par sa fenêtre tel un film qu’elle avait regardé une douzaine de fois. Elle essaya de repérer des changements dans le montage – un nouveau lotissement à proximité de Haywards Heath, un rond-point rajouté au sud de East Croydon – mais le paysage était resté tristement le même. Elle avait besoin de partir, d’aller au soleil, de prendre du temps juste pour elle et sans que le poids de Mai ne lui pèse sur les épaules. Mai ne lui avait jamais demandé son aide, pas même à l’âge de seize ans. Mais Geraldine savait qu’elle en avait besoin. Elle était une jeune fille occupant un métier qui les redressait puis les écrasait. La nouveauté était tout, à moins que vous n’arriviez à prouver que vous aviez une chose différente. Un talent pour distraire, comme on dit. Mai avait du talent. Elle avait hérité quelque chose de ses parents et l’avait recueillie en elle, digérée et ensuite utilisée pour créer…quoi ? Qu’a-t-elle vraiment fait, et comment elle, sa mère, pourrait-elle le voir ? Elle aurait dû être aguerrie devant l’exposition des sentiments de sa fille et se dire que rien n’aurait d’impact sur elle. Elle aurait dû voir tout cela, toutes les inflexions, chaque prétention à l’enthousiasme ou au chagrin.
Mais Mai arrivait toujours à la surprendre. Elle avait l’air d’avoir trouvé un point en elle où elle avait vu une chose, entendu une chose, ressenti quelque chose… et ensuite découvert une façon de rendre cela visible d’une nouvelle façon. C’était ça le talent artistique. C’était une chose que Geraldine n’avait jamais vraiment eu – chez elle, c’était un mélange d’apparences et un certain courage nerveux qui avait persuadé les gens qu’elle jouait. Avec Mai, c’était aussi difficile que si elle fût embarquée par une force étrangère pour devenir une personne différente. Une personne que même sa mère ne reconnaissait pas.
Clapham Junction, le dernier arrêt avant que le train n’avance péniblement en passant au-dessus de la rivière et qu’il arrive à Victoria, un autre brouhaha d’acier et un million de bruit de pas.
- A quelle heure tu as rendez-vous avec elle ? demanda Joan en ramassant son manteau et son sac.
- Six heures. On a donc huit heures pour faire les boutiques jusqu’à l’abrutissement.
- Je vais à Oxford Street et les chevaux sauvages ne m’en empêcheront pas, à moins Dominic West chevauche l’un