Le Juge Et Les Sorcières. Guido Pagliarino
années et il nâa pas voulu que je lâen débarrasse, même maintenant. »
âLaissez-nous seuls et éloignez-vousâ, intimai-je. « Toi aussi », adressai-je au sbire : « Il nâest pas question que nous retournions aujourdâhui. Je me reposerai ici. Viens mâattendre à lâaube ; sollicite la sainte autorisation du bourgmestre, en mon nom. »
Une fois seuls, le prêtre me fit signe dâapprocher la planche de sa couche.
A peine à ses côtés, il se mit à me parler; et tandis que ses mots sortaient progressivement de sa bouche, moi, jâouvrais la mienne toujours plus.
Il me raconta à propos dâElvira, contre qui il avait témoigné quelques années auparavant.
La femme, encore jeune, après de nombreux malheurs, avait fini par arriver à Benevento, repaire fameux de sorcières autour duquel, comme lâavait raconté le démonologue Spina dans son traité, elles se réunissaient sous un noyer à perpétrer des choses horribles et à en concocter de nouvelles. Sa mère avait été lâune dâentre elles. Jâétais au courant à propos de cette sorcière pour avoir lu le livre du docte dominicain. Elle se trouvait perchée tel un vautour sur une branche du noyer, les jambes écartées, quand, passant par-là , solitaire, un jeune marchand, bossu mais sublimement fait et dâun parler très noble, et voyant la sorcière, femme pour le reste très belle mais néanmoins plus très jeune, attiré par les appâts génitaux quâelle exhibait, entama une conversation lascive. Elle aussi lâavait aussitôt désiré sexuellement, mais de désirs démoniaques les plus bestiaux et contre-nature, et lui avait promis de lui ôter la bosse, définitivement, sâil acceptait de la satisfaire. Câest ce qui arriva. Ãtant plus tard de passage à Benevento, à lâauberge, après de nombreuses beuveries, le marchant, le visage rougi de tant de béatitude, peu avant de sâen aller, avait raconté le fait aux autres hôtes, leur montrant lâéchine à plusieurs reprises, se tournant par-ci puis par-là pour que chacun pût bien la voir, et jurant à tous quâavant la luxurieuse rencontre avec la mégère, son dos était beaucoup plus gibbeux. Ensuite il sâéloigna, en riant, vers son destin inconnu sans pouvoir être interrogé au préalable par les autorités. Il ne fut donc pas possible de connaître les méfaits de la chipie libidineuse pour lâappréhender et la juger. Dâailleurs, un forgeron, lui aussi boscot, ayant prestement retrouvé la voix, sâétait rendu au pied du noyer en espérant y trouver la belle harpie et de connaître aussi bien lâextase suprême dont lâautre sâétait vanté que, et surtout, lâablation définitive de sa protubérance. Elle sây trouvait, mais lâhomme était tellement vilain et avait lâhaleine tellement vineuse de trop de boissons que la sorcière, irritée, non seulement nâavait pas forniqué avec lui, mais, plutôt que de lui enlever la bosse, elle y avait appendu celle de lâautre. Arrivé à la place du village, bouleversé, le pauvre artisan avait relaté sa mésaventure aux témoins. Selon certains dâentre eux, le renflement avait doublé ; selon dâautres, elle nâavait grossi que de peu ; pour dâautres encore, qui selon Spina cependant, nâavaient lâintention que de consoler la victime et non de rendre la vérité, la proéminence nâavait pas changé. Deux pandores communaux sur le seuil de la mairie avaient tout entendu et immédiatement arrêtèrent le témoin. Peu après, lâenquêteur local avait obtenu du forgeron, la description physique de la sorcière, et, connaissant tous les autres villageois, était parvenu à lâidentifier comme une certaine guérisseuse et sage-femme miteuse. Câest ainsi que celle-ci fut arrêtée peu de temps après dans sa maison par les gendarmes communaux : comme lâenquêteur le soupçonnait, de par sa faculté à pouvoir voler, comme toutes ses semblables, elle devait avoir atterri à Benevenuto avant même que le pauvre malade nây fût arrivé. Il ressortait du traité de Spina que la rombière, célibataire, avait une fille, sans aucun doute le fruit, selon lâintuition instantanée des tous, de son accouplement avec le diable, mais qui malheureusement nâavait pu être appréhendée. Jâappris du prêtre quelle nâétait pas chez elle au moment de lâarrestation de la mère et, quâau retour, elle avait été vue et saisie de force dans sa propre boutique par le jeune tailleur du village, un judéen mal vu de tous et souvent insulté et qui, solidaire de tous les persécutés, mais aussi parce que cela faisait longtemps quâil était fasciné par la beauté du tendron, lâavait cachée. Dans son laboratoire, Elvira avait dû souffrir les cris horribles de sa mère torturée dans le tribunal tout proche, laquelle, après seulement deux jours, avait été condamnée et, pour calmer la plèbe tumultueuse, tout de suite brûlée, sans étranglement préalable afin que le peuple appréciât mieux le verdict prononcé, en se délectant de ses hurlements. Il était soir et, profitant de lâassoupissement des villageois excités devant le bûcher et, surtout, amoureusement attiré par la jouvencelle en herbe, il avait préféré lui aussi sâéloigner de Benevento. De loin, Elvira avait vu sa mère se consumer et entendu ses dernières vociférations stridentes. Ils avaient vécu ensemble comme des couche-dehors, lui en coupant des habits de village en village, elle en vendant une liqueur couleur paille, dâun goût exquis affirmait le curé pour y avoir goûté à maintes reprises, et dont elle tenait la recette de sa mère. Tout cela, elle lâavait ensuite raconté à lâarchiprêtre à qui elle sâétait finalement liée, dont elle devint enceinte et après de nombreuses péripéties, lui demanda un asile temporaire : elle avait à peine échappé à un repaire de brigands où elle était gardée en esclave pendant des années puisque câétait dans la rue quâils lâavaient capturée, après quâils eurent tué son compagnon. Le prêtre, plein de compassion, lâavait placée comme esclave dans la famille pieuse dâun notaire, où elle put donner naissance à une enfant, en paix, obtenant le privilège de pouvoir la garder avec elle dans les combles et de lâélever. Malheureusement, avec eux habitait un frère du chef de famille, lui aussi juriste mais dâune toute autre trempe : câétait un fainéant qui, le doctorat en poche après beaucoup de labeur, nâavait pas voulu exercer et avait dévoré tout le patrimoine paternel en bombances. Câétait par charité que son frère lâentretenait et lâhabillait pendant tout ce temps, tandis quâil sâefforçait de lui procurer un emploi convenable et facile. à peine Elvira eut-elle retrouvé une silhouette normale que ce dépravé sâen était allumé et avait tenté de la posséder brutalement ; mais la femme, dâune forte complexion que la vie errante avait rendue encore plus rude, lâavait maîtrisé et étourdi avec un chandelier. La matrone de maison, que les hurlements de sa servante avaient alertée, lâavait assistée dans les dernières phases de la lutte. Ses vêtements en lambeaux et ses tuméfactions ne laissaient aucun doute sur la culpabilité de lâhomme; mais câétait le frère du notaire. Que faire ? Ces bons chrétiens ne voulaient pas que la femme eût à souffrir par la méchanceté des autres ; mais lâautre nâen était pas moins un parent. Après avoir longuement tergiversé, ils lui avaient finalement offert une somme qui lui permît de sâéloigner de la maison et, si possible, du village. La malheureuse cependant, son enfant étant encore très petite, préféra sâinstaller dans une cabane à lâorée du bois. Câest là quâelle mit à profit lâart maternel, la préparation et la vente de sa liqueur et de décoctions médicinales ainsi que lâassistance à lâaccouchement de femmes du peuple : le choix du métier fut la cause principale de son mal ; mais ne lâempêcha pas de se consacrer aussi au