Peines, tortures et supplices. Unknown
celle de mes épaules. J'étais emboîté, le mot est parfaitement exact. Je n'avais pas le loisir d'étendre mes jambes, mais du moins mes genoux ne touchaient pas à la paroi qui me faisait face et qui formait une partie de la cloison extérieure de la voiture. Victor Noir était dans la boîte adossée à la mienne, et nous pûmes échanger quelques mots.
En face de moi, se trouvait une ouverture fermée d'abord à l'intérieur par des feuillets de persiennes, fixés et serrés, puis à l'extérieur par une sorte de cloison qui empêchait absolument de voir au dehors. Cependant, tout à fait à sa partie supérieure, et en se dressant à demi sur ses pieds, on apercevait le ciel et souvent le haut des maisons.
Je me trouvai dans un premier greffe, où l'on prit mon état civil, complet, qui fut inscrit sur un livre, et mon signalement; je dus retourner mes manches afin qu'on pût vérifier si j'avais quelque tatouage. Puis on m'ouvrit une autre porte, et je me trouvai dans un couloir garni latéralement de cellules de bains. Quelques instants après, on me fit entrer dans une de ces cellules. Le surveillant me demanda où j'avais passé la nuit à la Préfecture de police, si c'était dans la salle commune du dépôt, ou à la pistole. Je lui répondis que j'avais couché à la pistole. Il m'expliqua alors, que le dépôt, étant trop souvent un réceptacle de vermine, cette question avait pour but de s'assurer s'il était nécessaire que mes vêtements fussent passés au soufre; auquel cas j'aurais dû revêtir le costume de la prison. Tel n'était pas mon cas. Le surveillant se retira et fut remplacé par le préposé à la fouille. Je vidai mes poches. Cet employé vérifia, mais avec égard et discrétion, si je ne dissimulais rien (il ne fut nullement question, bien entendu, de certaines investigations réservées aux criminels et aux forçats); puis il me laissa mes papiers, mon argent, et me souhaita bonne chance.
C'était une dernière étape. On me remit un petit carré de tôle sur lequel je lus: 1re division, no 109; on me fit passer dans une grande salle à l'entrée de laquelle on me remit une paire de draps. Puis on cria: Recevez le 109. Une autre voix répondit: Envoyez le 109, et je montai un petit escalier de pierre qui me fit parvenir au premier étage de la salle.
Cette salle, qui a la forme d'un carré très-long, se compose d'un rez-de-chaussée, garni de portes de cellules, puis, au premier, une galerie à balustrade faisant tout le tour de la salle, coupée en diverses places par des ponts qui font communiquer les deux côtés. Je suivis la galerie de gauche, un surveillant me demanda ma petite plaque de tôle, une porte me fut ouverte et… j'entrai dans ma cellule.
En voici la description aussi exacte que si son image sortait d'un objectif:
La cellule est un carré long, aux dimensions suivantes:
Hauteur: 2 mètres 60.
Largeur: 1 mètre 85.
Longueur: 3 mètres 85.
Elle est peinte en deux couleurs: d'abord jusqu'à une hauteur de 1 mètre 50 en jaune chamois, puis dans la partie supérieure en blanc.
Nous avons quatre murs formant les quatre côtés du parallélogramme: le mur A, où se trouve la porte; le mur B, qui lui fait face, constituant la largeur. Puis le mur C à gauche en regardant la porte de l'intérieur, le mur D à droite, dans les mêmes conditions.
Mur A.—La porte, large de 57 centimètres, est en chêne plein, boulonné. Elle est haute de 1 mètre 90, et percée, aux deux tiers de sa hauteur, d'un guichet large de 25 centimètres sur 12. Devant le guichet, une petite tablette demi-cercle avec rebord.
Le numéro de la cellule est peint en noir à l'intérieur de la porte.
À gauche de cette porte, une tablette sur laquelle on pose le matelas; au-dessus, une longue planche, tenant toute la largeur de la cellule, servant à placer les couvertures et les draps.
À droite de la porte, d'abord, dans le mur, une plaque de fer, munie d'une petite poulie intérieure, donnant passage à une forte corde avec poignée de bois. C'est le timbre d'alarme destiné à avertir le surveillant en cas d'accident survenant au détenu.
Toujours à droite de la porte, dans l'angle, une planchette de coin sur laquelle on place la terrine de toilette. Au-dessous, s'élevant au-dessus du sol, le siége du conduit d'aisance.
Mur B, faisant face à la porte. Ce mur est percé d'une ouverture trop haute pour qu'un homme y puisse atteindre; cette ouverture, garnie d'un vasistas en retrait, à quatre carreaux de verre cannelé, est garantie à l'extérieur par sept barreaux de fer. Impossible de voir le moindre coin de ciel. Du reste, la cellule est très-convenablement éclairée.
Le vasistas s'entr'ouvre de l'intérieur, au gré du détenu, au moyen d'une tige en fer, faisant agir un pène d'emboîtement.
Occupons-nous maintenant du mur de gauche. Toutes les indications—droite—gauche—sont prises de l'intérieur en regardant la porte.
Le mur de gauche est celui qui doit nous préoccuper le plus, car c'est celui que regarde presque continuellement le prévenu; dans ce mur est scellée une table de chêne, à quatre pieds avec tiroir. Cette table n'a pas de grandes dimensions, 85 centimètres sur 50. Elle est munie d'une barre transversale sur laquelle se posent les pieds. Dans le côté droit, est fiché un piton, dans lequel s'engage une chaîne de trente-sept maillons, longue de 90 centimètres, qui tient à une chaise. Cette chaise peut par conséquent être remuée dans toute la longueur de la chaîne, mais de telle façon qu'on peut la rapprocher de la porte, mais qu'il est de toute impossibilité de l'avancer plus loin que le milieu de la table, et par conséquent de l'approcher du mur de fond où se trouve le vasistas.
Le long de ce mur (le mur de gauche toujours) règne un conduit de gaz aboutissant à un bec qui se trouve juste au-dessus de la table un peu à gauche. Il a été disposé ainsi pour que l'ombre de la main qui écrit se trouvât en dehors, et par conséquent ne gênât en aucune façon. Ce bec de gaz, je l'ai dit, n'est muni d'aucun bouton.
Dès que la nuit vient, le surveillant ouvre le guichet de la cellule, et crie au détenu: Allumez le gaz!
On enflamme une allumette, et on attend. Le surveillant tourne la clef à l'extérieur de la cellule et le gaz prend feu. À huit heures, le gaz s'éteint, toujours par les soins du surveillant, qui ferme à l'extérieur.
Il y a encore là quelques minutes curieuses à observer, tandis qu'on attend l'extinction du gaz. On se sent oppressé comme si un ami allait vous quitter, et la flamme qui disparaît vous laisse presque un vide dans le cœur.
Passons au mur de droite, qui n'est pas le moins intéressant.
Sur le mur de droite, au-dessus de la couche inférieure de peinture jaune chamois, sont collés cinq imprimés.
Le premier contient un almanach pour 1866 et 1867, encadré de dix colonnes de texte, signés de l'abbé J… (sic), et contenant des conseils religieux aux prévenus. Il y est notamment insisté sur la nécessité du travail et sur l'avantage de la cellule, les mouvements des prisons communes entraînant la promiscuité de vices, les mauvais conseils et la publicité de la faute et du châtiment.
Le deuxième imprimé contient le prix de vente des articles vendus dans les cantines des prisons de Paris. Voici les principales dispositions de ce tarif:
Le troisième présente un intérêt particulier; je l'ai copié entièrement:
Il est expressément défendu de chanter, de parler à haute voix ou de chercher à établir des communications avec les autres détenus. La même recommandation est expressément faite pour le temps du trajet aux parloirs ainsi qu'aux promenoirs.
Le détenu doit tenir la cellule constamment propre et n'y faire aucune dégradation, ni tracer aucun dessin sur les murs sous peine de punition.
Il doit tenir dans la plus grande propreté le siége et la cuvette du conduit d'aisances et n'y jeter que l'eau absolument nécessaire pour les soins de la propreté. Ce siége étant destiné à donner passage