Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV. Buonaparte Napoleon
la grande capitale; qui, dans l'autre, prétendit déshonorer deux cent mille braves, qu'on parviendrait peut-être à vaincre, mais qu'on ne surprendra jamais hors du chemin de l'honneur et de la gloire. Beaucoup de sang a été versé en peu de jours; de grands désastres pèsent sur la monarchie prussienne. Qu'il est digne de blâme cet homme qui d'un mot pouvait les prévenir, si, comme Nestor, élevant la parole au milieu des conseils, il avait dit:
«Jeunesse inconsidérée, taisez-vous; femmes, retournez à vos fuseaux et rentrez dans l'intérieur de vos ménages; et vous, sire, croyez-en le compagnon du plus illustre de vos prédécesseurs: puisque l'empereur Napoléon ne veut pas la guerre, ne le placez pas entre la guerre et le déshonneur; ne vous engagez pas dans une lutte dangereuse avec une armée qui s'honore de quinze ans de travaux glorieux, et que la victoire a accoutumée à tout soumettre.» Au lieu de tenir ce langage qui convenait si bien à la prudence de son âge et à l'expérience de sa longue carrière, il a été le premier à crier aux armes. Il a méconnu jusqu'aux liens du sang, en armant un fils contre son père; il a menacé de planter ses drapeaux sur le palais de Stuttgard, et accompagnant ses démarches d'imprécations contre la France, il s'est déclaré l'auteur de ce manifeste insensé qu'il avait désavoué pendant quatorze ans, quoiqu'il n'osât pas nier de l'avoir revêtu de sa signature.
On a remarqué que pendant cette conversation, l'empereur avec cette chaleur dont il est quelquefois animé, a répété souvent: renverser et détruire les habitations des citoyens paisibles, c'est un crime qui se répare avec du temps et de l'argent; mais déshonorer une armée, vouloir qu'elle fuie hors de l'Allemagne, devant l'aigle prussienne, c'est une bassesse que celui-là seul qui la conseille, était capable de commettre.
M. de Lucchesini est toujours au quartier-général; l'empereur a refusé de le voir, mais on observe qu'il a de fréquentes conférences avec le grand-maréchal du palais Duroc.
L'empereur a ordonné de faire présent, sur la grande quantité de draps anglais trouvée à Leipsick, d'un habillement complet à chaque officier, et d'une capote et d'un habit à chaque soldat.
Le quartier-général est à Kropstadt.
Le corps du maréchal Lannes est arrivé le 24 à Potsdam.
Le corps du maréchal Davoust a fait son entrée le 25, à dix heures du matin, à Berlin.
Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo est à Brandenbourg.
Le corps du maréchal Augereau fera son entrée à Berlin, demain 26.
L'empereur est arrivé hier à Potsdam, et est descendu au palais. Dans la soirée, il est allé visiter le nouveau palais, Sans-Soucy, et toutes les positions qui environnent Potsdam. Il a trouvé la situation et la distribution du château de Sans-Soucy, agréables. Il est resté quelque temps dans la chambre du grand Frédéric, qui se trouve tendue et meublée telle qu'elle l'était à sa mort.
Le prince Ferdinand, frère du grand Frédéric, est demeuré à Berlin.
On a trouvé dans l'arsenal de Berlin cinq cents pièces de canon, plusieurs centaines de milliers de poudre et plusieurs milliers de fusils.
Le général Hullin est nommé commandant de Berlin.
Le général Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, s'est rendu à Spandau, la forteresse se défend; il en a fait l'investissement avec les dragons de la division Dupont.
Le grand-duc de Berg s'est rendu à Spandau pour se mettre à la poursuite d'une colonne qui file de Spandau sur Stettin, et qu'on espère couper.
Le maréchal Lefebvre, commandant la garde impériale à pied, et le maréchal Bessières, commandant la garde impériale à cheval, sont arrivés à Potsdam le 24 à neuf heures du soir. La garde à pied a fait quatorze lieues dans un jour.
L'empereur reste toute la journée du 25 à Potsdam.
Le corps du maréchal Ney bloque Magdebourg.
Le corps du maréchal Soult a passé l'Elbe à une journée de Magdebourg, et poursuit l'ennemi sur Stettin.
Le temps continue à être superbe; c'est le plus bel automne que l'on ait vu.
En route, l'empereur étant à cheval, pour se rendre de Wittemberg à Potsdam, a été surpris par un orage, et a mis pied à terre dans la maison du grand-veneur de Saxe. S.M. a été fort étonnée de s'entendre appeler par son nom par une jolie femme; c'était une Égyptienne, veuve d'un officier français de l'armée d'Égypte, et qui se trouvait en Saxe depuis trois mois; elle demeurait chez le grand-veneur de Saxe, qui l'avait recueillie et honorablement traitée. L'empereur lui a fait une pension de 1200 fr. et s'est chargé de placer son enfant. «C'est la première fois, a dit l'empereur, que je mets pied à terre pour un orage; j'avais le pressentiment qu'une bonne action m'attendait là.»
On remarque comme une singularité, que l'empereur Napoléon est arrivé à Potsdam,, et descendu dans le même appartement, le jour même, et presque à la même heure que l'empereur de Russie, lors du voyage que fit ce prince, l'an passé, et qui a été si funeste à la Prusse. C'est de ce moment, que la reine a quitté le soin de ses affaires intérieures et les graves occupations de la toilette, pour se mêler des affaires d'état, influencer le roi, et susciter partout ce feu dont elle était possédée.
La saine partie de la nation prussienne regarde ce voyage comme un des plus grands malheurs qui soit arrivé à la Prusse. On ne se fait point d'idée de l'activité de la faction pour porter le roi à la guerre malgré lui.
Le résultat du célèbre serment fait sur le tombeau du grand Frédéric le 4 novembre 1805, a été la bataillé d'Austerlitz et l'évacuation de l'Allemagne par l'armée russe, à journées d'étapes. On fit quarante-huit heures après, sur ce sujet, une gravure qu'on trouve dans toutes les boutiques, et qui excite le rire même des paysans. On y voit le bel empereur de Russie, près de lui la reine, et de l'autre côté le roi qui lève la main sur le tombeau du grand Frédéric; la reine elle-même, drapée d'un schall à peu près comme les gravures de Londres représentent lady Hamilton, appuie la main sur son coeur, et a l'air de regarder l'empereur de Russie. On ne conçoit point que la police de Berlin ait laissé répandre une aussi pitoyable satire.
Toutefois, l'ombre du grand Frédéric n'a pu que s'indigner de cette scène scandaleuse. Son esprit, son génie et ses voeux étaient avec la nation qu'il a tant estimée, et dont il disait que s'il en était roi, il ne se tirerait pas un coup de canon en Europe, sans sa permission.
L'empereur a passé à Potsdam la revue de la garde à pied, composée de dix bataillons et de soixante pièces d'artillerie, servie par l'artillerie à cheval. Ces troupes, qui ont éprouvé tant de fatigues, avaient la même tenue qu'à la parade de Paris.
A la bataille de Jéna, le général de division Victor a reçu un biscaïen qui lui a fait une contusion: il a été obligé de garder le lit pendant quelques jours. Le général de brigade Gardanne, aide-de-camp de l'empereur, a eu un cheval tué et a été légèrement blessé. Quelques officiers supérieurs ont eu des blessures, d'autres des chevaux tués, et tous ont rivalisé de courage et de zèle.
L'empereur a été voir le tombeau du grand Frédéric. Les restes de ce grand homme sont renfermés dans un cercueil de bois recouvert en cuivre, placé dans un caveau sans ornemens, sans trophées, sans aucune distinction qui rappellent les grandes actions qu'il a faites.
L'empereur a fait présent à l'Hôtel-des-Invalides de Paris, de l'épée de Frédéric, de son cordon de l'Aigle-Noir, de sa ceinture de général, ainsi que des drapeaux que portait sa garde dans la guerre de sept ans. Les vieux invalides de l'armée de Hanovre accueilleront avec un respect religieux tout ce qui a appartenu à un des premiers capitaines dont l'histoire conservera le souvenir.
Lord Morpelh, envoyé d'Angleterre auprès du cabinet prussien, ne se trouvait, pendant la journée de Jéna, qu'à six lieues du champ de bataille. Il a entendu le canon; un courrier vint bientôt lui annoncer