Robert Johnson Fils Du Diable. Patrizia Barrera
Cowboys et routes du far West, tels qu’on les voyait dans le comté de Crittenden en 1920.
À 14 ans, il commença à fréquenter les bars musicaux des bas-fonds sur les rives du Mississippi, à fumer, boire et courir derrière les femmes. Détendu par la musique de Son House et Willie Brown, il se réfugia dans le Blues, mais sa musique « maudite » fut signalée à sa famille, qui tenta d’étouffer cette passion de toutes les manières possibles. Peut-être qu’ainsi naquit durant cette période la manie du jeune Johnson de jouer dans les cimetières et les bois obscurs. Très loin de la pensée du « démon », le pauvre Robert cherchait tout simplement un endroit caché pour pratiquer sa passion en paix et pleurer en silence. Sans être encore touché par le Malin, à 15 ans, cet adolescent agité était en réalité un marginal.
Avant d’aller plus loin, je voudrais attirer votre attention sur cette célèbre guimbarde dont beaucoup parlent. Si vous parcourez le web, vous trouverez de nombreux articles sur Robert Johnson affirmant qu’il la jouait... sans donner plus de détails sur le sujet. POURTANT, ce petit instrument en dit long sur sa psychologie et, surtout, sur les capacités artistiques et musicales du jeune Johnson !
Voici une guimbarde de 1900. Le petit Robert a probablement appris à jouer une de ces guimbardes sur les bateaux du Mississippi.
La guimbarde est pratiquement...un CARILLON, un instrument d’origine gitane qui était joué par les nomades du Rajasthan dès les années 1500 et qui, comme beaucoup d’autres, était arrivée sur les rives du Mississippi avec les immigrés italiens et juifs, qui l’avaient adopté. Aujourd’hui, comme hier, appeler quelqu’un Gitan était péjoratif, cela signifie « Tsigane ». Le petit instrument était donc presque le symbole d’un style de vie hors normes, pour ne pas dire errant. Il était également très facile à obtenir, à fabriquer et même à jouer ; aucune compétence particulière n’était requise, sauf la constance. Johnson l’utilisait probablement aussi pour atteindre des états de transe et de bien-être (aujourd’hui nous dirions de « défonce ») parce que les vibrations de l’instrument ainsi que la consommation d’alcool induit une forme d’éloignement de la réalité et de dissociation, technique probablement acquise dans les locaux malfamés du Delta.
La guimbarde, d’origine manifestement africaine, est encore répandue en Nouvelle-Guinée, en Papouasie, comportant certaines modifications.
En plus de jouer de la guimbarde et de l’harmonica, notre Robert semblait avoir commencé à travailler un peu pour subvenir à ses besoins, surtout quand les relations avec sa mère et son beau-père s’effondrèrent pour de bon. Nous sommes en 1928 et Johnson travaille comme ouvrier agricole dans la plantation Abbay-leatherman près de Robinsonville. Il y rencontra très probablement le premier grand amour de sa vie, Virginia Travis, qu’il épousa ensuite à l’âge de 18 ans à Penton, le 17 février 1929. Tous deux n’avaient pas d’argent et vivaient dans la maison de sa sœur Bessie, et du beau-frère Granville Hines. Il semble que la modeste maison n’existe plus aujourd’hui, elle était située dans les environs d’une communauté, la Nouvelle Afrique. Mais pour avoir une idée de sa position sociale et culturelle, vous pouvez vous rendre à New Road Africa vers Clarcksdale. Encore aujourd’hui il s’agit d’une communauté assez rigide, un peu fermée et fortement animée par une grande ferveur religieuse. Tout y semble assez propre et ordonné et la vie s’y déroule tranquillement selon un ordre social assez inébranlable. Vivre là-bas en 1929 n’aura pas dû être facile… pour un type comme Robert Johnson !
Une très rare image de Robert Johnson sur le porche de sa maison en Nouvelle Afrique, où il vivait avec sa femme Virginia, sa sœur et son beau-frère. Elle est datée de 1928.
Bien qu’il travaillait et aimait sa femme, une jeune fille de 15 ans timide et consacrée au travail domestique, il est de notoriété publique que Johnson ne supportait pas la vie rurale et s’enfuyait très souvent. Il se retirait dans les clubs mal famés et à bord des bateaux de rivière à la poursuite d’un rêve. Désormais corrompu par le Blues et par l’obsession irréductible de Charlie Patton et de Son House, il restait très peu auprès de sa femme, qui était alors enceinte de son premier enfant. Dans la nuit du 9 au 10 avril 1930 Virginie meurt en couche avec le petit Claude Lee : Robert n’est pas avec elle mais joue pour des clients ivres sur les bateaux du Mississippi.
Quand il rentra chez lui deux jours plus tard, il trouva sa femme morte et enterrée, et l’ostracisme de toute la communauté qui le qualifia de débauché, libertin et esclave du démon. Assailli par la belle-sœur Bessie qui l’accusa publiquement d’ « avoir vendu son âme au diable et avoir ainsi tué sa femme », le garçon fut littéralement expulsé de la maison, humilié, blessé et complètement dévasté dans son âme. Il disparut le même jour et commença à errer dans les trains de marchandises de ville en ville en prenant à chaque fois des noms différents : Robert Spencer, Robert James, Robert Barstow et Robert Sacks. Nous le retrouvons pour un court moment à Hazelhurst, probablement à la recherche de réconfort. Peut-être qu’il le trouva chez un des demi-frères du beau-père Charles qui lui apprit les rudiments de la guitare, et d’ailleurs lui en offrit une, une Gibson Kalamazoo qu’il gardera avec lui jusqu’à sa mort. Il rencontra ici une femme beaucoup plus âgée que lui, Calletta Craft, qu’il épousa en grand secret en mai 1931 et qui non seulement lui donnera un fils mais qui lui permettra (et d’ailleurs favorisera) la fréquentation avec « le Diable en personne ».
FILS DU DIABLE
Le maître obscur
Mais qui était donc cette « sombre figure » depuis toujours comparée au diable ? Était-elle la raison pour laquelle Robert Johnson fit ce fameux pacte en vendant son âme afin d’obtenir succès et maîtrise de la guitare ? Était-ce vraiment cet homme, le célèbre mentor qui l’accompagna à la « croisée des chemins » où le malin fut invoqué ? Voyons le déroulement des faits.
La légende de Ike Zimmerman est née d’un célèbre témoignage de Son House, que rencontra Robert en 1930 dans un des clubs du Mississippi.
À l’époque, l’euphorie du blues était palpable et il arrivait que les clients ou des jeunes prometteurs se joignaient aux musiciens pour jouer tous ensemble, semblable à une Jam session d’aujourd’hui. De fait, Son House rapporte que Robert Johnson jouait de la guitare « comme un pied et que beaucoup de clients lui demandèrent de faire taire ce garçon qui donnait la migraine au public ! »
Seulement un an après cet épisode, les deux se rencontrèrent à nouveau et cette fois, Johnson laissa tout le monde bouche bée