La Cité Ravagée. Scott Kaelen
près du mur opposé de la salle commune, plusieurs sabreurs étaient occupés à jouer aux osselets. Alari, une sabreuse vétéran qui avait passé quelques années de plus dans la guilde que Jalis, lança un regard vers le tableau de la guilde et marmonna à son voisin.
"Je reviens dans une minute." Jalis se leva de sa chaise et se rendit rapidement jusqu'à l'alcôve. Elle scanna le contenu du tableau jusqu'à ce qu'elle remarquât un nouveau bout de papier qu'elle décrocha du tableau en bouchon. À la vue de la prime offerte, ses yeux s'agrandirent.
"Ma belle, t'es plus preste que le silex sur la pierre à feu toi," dit Alari derrière elle.
Se saisissant de la note, Jalis se tourna vers sa collègue. "Ah, t'étais pas bien loin non plus."
Le sourire d'Alari tiraillait sur la pâle cicatrice près de sa bouche. "Qu'est-ce que le patron a accroché là, cette fois ? Encore un qui ne vaut pas le papier sur lequel il est écrit ?"
Jalis haussa des épaules. "Ça a l'air un peu mieux que d'habitude. Pourquoi n’irais-tu pas voir du côté des offres plus petites ? C'est juste ce qu'il faut pour les novices dont tu t'occupes. Il faut bien commencer quelque part."
Alari plissa le front à cette pensée. "Ouais, t'as pas tort. Kirran pourrait les faire tout seul. Je lui dirais de venir en prendre une." Elle donna à Jalis un clin d'œil complice. "Allez donc gagner votre croûte, toi et les gars."
Alors qu'Alari regagnait sa table, un autre sabreur la croisa pour se rendre au tableau. Jalis le dévisagea froidement.
"Qu'est-ce que t'as là ?" dit Fenn en parvenant à l'alcôve et se plaçant de telle sorte que Jalis ne puisse en sortir.
"Dégage, Fenn."
"Voyons voir." Il essaya de s'emparer du papier mais Jalis parvint à glisser sa main derrière son dos.
"Premier arrivé, premier servi," dit-elle. "Tu connais les règles. Si tu veux un contrat, il y en a plein sur le tableau qui te conviendront."
Les yeux porcins de Fenn la transperçaient du regard. "Moi au moins, je peux faire mon travail tout seul. Tout le monde sait que toi et tes deux gardes du corps, vous profitez du traitement préférentiel par ici." Il attrapa Jalis par l'épaule.
Elle enfonça sa main entre les jambes de Fenn et serra sa prise. "Ce sont mes compagnons et mes amis. Tu sais quoi ? Tu enlèves ta main de là et j'en fais de même. Ensuite tu retournes t'asseoir comme un gentil garçon."
Fenn grogna en silence, les lèvres retroussées. Jalis resserra sa prise et, à contrecœur, il retira sa main. "T'as un problème."
"Si j'ai des problèmes, tu n'en fais pas partie." Elle serra plus fort. "Juste pour qu'on soit bien clairs. C'est bien clair, Fenn ?"
"Vira ta sale patte de là !"
"D'accord, d'accord...! Mais je te préviens, la prochaine fois que tu me touches, ce n'est pas ma main que t'auras à l'entre-jambe, ce sera mon poignard. Alors viens pas me chercher ou je rendrai service à l'humanité entière." Elle relâcha sa prise après une dernière torsion.
Alors que Fenn titubait à reculons, il décocha un coup de poing vers le visage de Jalis. Elle put se baisser pour l'éviter et enfonça un coup de poing dans ses côtes, suivi d'un uppercut qui lui fracassa le nez et l'envoya s'étendre au sol. Quelques applaudissements de la part des clients se firent entendre, mais ils prirent fin aussitôt que Maros émergea de son couloir en boitant.
"Que diable se passe-t-il dans ma taverne ?" tonna-t-il.
Fenn se remit sur pied, du sang coulant de son nez. "Tu ferais mieux de garder cette chienne en laisse. Tout le monde sait que c'est ta préférée." Il jeta un coup d'œil au chemisier en fine gaze de Jalis. "Et c'est pas bien difficile de voir pourquoi."
"Vraiment ?" Maros boita jusqu'à lui et le domina de toute sa taille. "Tu devrais montrer un peu plus de respect envers une femme d'épée, je dirais même beaucoup plus de respect, d'autant qu'elle vient te mettre sur le cul. Tu déconnes encore une fois, Fenn, et franchement, la branche de Grenmoor peut venir te reprendre. File à la guilde. Maintenant. T'as eu ta dose pour la journée."
Le visage de Fenn rougeoya de colère mais il garda le silence. Après un moment, il tourna les talons et franchit les portes.
"Oh, et Fenn," le rappela Maros, "si tu me parles encore une fois comme ça, c'est pas en marchant que tu sortiras d'ici, mais en volant dans les airs."
"J'ai manqué quelque chose ?" Dagra demanda en arrivant à côté de Jalis.
Elle secoua la tête. "Non, rien."
Maros se déplaça en boitant pour la regarder. "Il semble que tu aies été la première à voir le contrat que j'ai accroché ?"
"En effet. Tu n'as pas perdu ton temps à Balen."
"Je ne suis pas certain de vouloir te voir sur ce coup-ci, Jalis."
"Pourquoi ? Ça serait idiot de ne pas le faire."
Maros grogna. "Alors, promets-moi que tu ne le feras pas seule." Il hocha la tête en direction de Dagra. "Si les gars ne tombent pas d'accord, ce travail retourne sur le tableau. Je préférerais laisser Fenn décrocher celui-ci et bon débarras."
Jalis fronça les sourcils. "Qu'est-ce qui te préoccupe autant, l'ami ? Si c'est une horde de bandits qui s'est installée quelque part—"
"C'est pas des bandits." Maros regarda brièvement autour de la salle et dit d'une voix basse, "Va discuter avec Dagra et Oriken. Vois ce qu'ils en disent. Si vous êtes tous d'accord, le contrat est à vous. Mais j'en serais pas heureux. Toi et moi avons passé trop d'années ensemble, jeune fille. Ne sous-estime pas ce que ce contrat implique."
Elle étudia son visage. "Je ne t'ai jamais entendu parler comme ça."
"Nous n'avons jamais eu de contrat comme ça."
Alors que Jalis retournait à sa table, Dagra sur ses talons, Oriken leva un sourcil. "Eh bien, ça a été le plus grand divertissement de toute la semaine. T'as raté quelque chose, Dag. Jalis a fichu une sacrée déculottée au trou du cul du coin."
"Je n'ai rien fait de tel." Jalis ignora le regard inquisiteur de Dagra. Elle croisa les bras sur la table et enjoignit ses camarades à se rapprocher d'elle. "Je nous ai trouvé un contrat et vous n'avez pas idée du montant de la prime."
"Je suis pas sûr de vouloir savoir," dit Dagra, "pas après avoir vu la réaction de Maros. Mais bon, je t'écoute."
Les bavardages avaient repris dans la salle de la taverne mais elle jeta un coup d'œil autour pour s'assurer que personne ne les écoutait. "Cinq cents dari d'argent."
Oriken laissa échapper un long sifflement. "Ciel. Tu plaisantes."
"Non."
Les yeux de Dagra étaient empreints de scepticisme. "Tu as les détails ?"
"Non. Je n'ai pas vraiment eu le temps de vérifier."
"Tu n'as pas eu le temps ? Jalis, on n'accepte pas les contrats aveuglément. Tu le sais mieux qu'Orik et moi-même."
"Je sais ! Mais cinq cents dari. À ce prix-là, quel contrat tu ne prendrais pas ?"
"Oh, je peux en penser à un ou deux," dit Oriken avec un sourire en coin. "Mais, Dagra lui, probablement pas autant."
Dagra fit comme s'il n'avait rien entendu. "Bon," fit-il à Jalis. "Voyons voir."
Elle défroissa le morceau de papier et le mit à plat sur la table, fronçant les sourcils tout en prenant connaissance des détails. "Euh, c'est où Lachyla ? C'est quoi la Cité Ravagée ?"
"Oh, par les misérables dieux." Dagra se passa une main sur le visage.
"Quoi ?"
Oriken éclata de rire. "Maros a vraiment mis ça au tableau ? Il se fiche de nous. Ça peut pas être autrement."
Jalis