Le Souvenir Zéro. Джек Марс
genre. Zéro ne l’écoutait pas. Il la regardait elle, sa fille, la jeune femme qu’il avait élevée et à qui il avait donné tout ce qu’il pouvait. Il avait changé ses couches, lui avait appris à marcher, à parler, à écrire, à jouer au ballon et à utiliser une fourchette. Il l’avait éduquée, prise dans ses bras quand elle pleurait, égayé ses journées quand elle n’avait pas le moral, collé des pansements sur ses genoux éraflés. Il lui avait sauvé la vie et causé la mort de sa mère.
Quand il levait les yeux vers elle pour essayer de croiser son regard, elle détournait les yeux.
Et c’est à ce moment-là qu’il comprit qu’il n’y aurait pas de réconciliation, du moins pas ce soir. C’était une formalité. C’était le moyen que Maya avait trouvé pour dire tu mérites de savoir que je suis vivante et que je vais bien, mais rien de plus.
Elle regardait au sol, le regard pensif, pendant que Greg pérorait sur une chose ou une autre. Son sourire s’évanouit et, alors qu’il disparaissait, les espoirs de récupérer sa fille s’envolèrent chez Zéro.
CHAPITRE TROIS
Maya trempa un bout de pain dans le ragoût polonais et se mit à le mâcher lentement. C’était délicieux, bien meilleur que la bouffe qu’ils servaient à l’académie, mais elle n’avait pas beaucoup d’appétit. Son père était assis en face d’elle à la petite table, avec Maria à sa gauche et Greg à sa droite.
Il la regardait à nouveau.
Elle regrettait d’être venue. Elle ne lui devait rien. Et elle savait qu’elle ne parviendrait pas à lever les yeux, à le regarder en face et à voir la douleur démasquée dans leurs regards. Au lieu de ça, elle gardait les yeux rivés sur un bout de kielbasa dans son assiette.
Être ici, dans cette nouvelle maison, et le voir vivre avec Maria, des cernes noirs se formant sous ses yeux et de l’embonpoint naissant au niveau du vente, son propre père lui semblait être un étranger. Il n’avait plus la lueur jeune et joyeuse dans ses yeux qu’il possédait dans leur enfance. Elle n’avait pas entendu son rire depuis plus d’un an. Leurs échanges sarcastiques et moqueurs, ainsi que leurs débats parfois animés lui manquaient.
“N’est-ce pas, Maya ?”
“Quoi ?” Elle leva les yeux en entendant son nom, et vit Greg la regarder avec l’air d’attendre sa réponse. “Oh. Ouais. C’est vrai.” Bon sang, il est encore en train de parler ?
Greg n’était pas vraiment son petit ami. Du moins, ce n’était pas comme ça qu’elle voyait les choses. Ce n’était pas officiellement une relation sérieuse et engagée. Elle savait qu’il l’aimait bien, et ils s’étaient embrassés à quelques reprises, même si elle ne comptait pas le laisser aller plus loin que ça. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de penser que c’était plus une question de statut pour lui qu’autre chose. Il venait d’une bonne famille, avec une mère en politique et un père haut placé à la NSA. Elle était la meilleure de sa classe et, selon l’avis de beaucoup, sûrement meilleure que lui dans la plupart des domaines, en particulier académiques. Certains des autres cadets de deuxième et troisième année plaisantaient en disant d’eux deux qu’ils étaient “le roi et la reine de la promo de West Point.”
Il était beau, athlétique, et généralement plutôt gentil. Mais c’était aussi un égocentrique pur et dur, totalement inconscient de ses propres défauts.
“Si vous voulez mon avis,” disait Greg, “Pierson aurait dû faire de la prison. Ma mère dit… Ma mère a été mairesse de Baltimore pendant deux ans, vous le saviez ? En tout cas, elle dit que sa négligence aurait suffi à le faire destituer ou, au moins, à le faire accuser quand il a quitté son poste…”
Arrête de m’observer. Elle avait envie de le dire à haute voix, de le crier même, mais elle tint sa langue. Elle pouvait sentir à quel point son père voulait désespérément lui parler. C’était en partie pour ça qu’elle avait emmené Greg avec elle, afin qu’ils ne puissent pas aborder certains sujets durant sa visite. Elle savait qu’il voulait lui demander des nouvelles de Sara, qu’il voulait s’excuser, faire amende honorable et laisser toute cette sale histoire derrière eux.
En vérité, elle ne le détestait pas. Plus maintenant. Haïr quelqu’un nécessitait de l’énergie, et elle mettait toute celle qu’elle possédait dans ses cours. Pour elle, c’était un faux problème. Cette visite n’était pas réconciliatoire, c’était de la bureaucratie. Du décorum. De l’étiquette. Les valeurs que l’académie instillait à ses cadets n’étaient pas entièrement applicables à la situation unique de Maya, mais elle en avait conclu qu’elle devait au moins garder contact avec l’homme qui l’avait élevée, cette coquille de son ancienne vie. Aussi, il fallait qu’elle se prouve qu’elle pouvait encore se tenir dans la même pièce que lui.
Mais, à présent, elle souhaitait ne jamais être venue ce soir.
“Alors,” dit soudain Maria. Greg s’était arrêté de parler assez longtemps pour fourrer un peu de ragoût dans sa bouche, et Maria sauta sur l’occasion de ce répit temporaire. “Maya, tu as parlé à ta sœur récemment ?”
Elle fut prise de court par la question. Elle se serait attendue à ce que son père la lui pose, mais pas Maria. Toutefois, c’était une occasion comme une autre de mettre en pratique les compétences qu’elle avait développées. Elle refoula l’instinct d’afficher la moindre expression pouvant la trahir et se contenta d’un léger sourire.
“Oui,” répondit Maya. “Pas plus tard qu’hier, en fait. Elle va bien.” Seule la moitié de ce qu’elle venait de dire était un mensonge.
“Tu as une sœur ?” demanda Greg.
Maya acquiesça. “Elle a deux ans de moins que moi. Elle est en Floride dans un programme étude-travail. Elle est très occupée.” Un autre mensonge, mais elle le débita avec facilité. Elle devenait meilleure de jour en jour et en disait souvent des petits, au pied levé, juste pour s’entraîner et, devait-elle admettre, pour ressentir une pointe de frisson.
“Et, euh…” Son père se râcla la gorge. “Elle s’en sort ? Elle a tout ce qu’il lui faut ?”
“Mm-hum,” répondit brièvement Maya sans le regarder. “Tout va bien.”
Greg minauda en se tournant vers son père. “Vous demandez ça comme si vous ne lui parliez pas, Monsieur Lawson.”
“Comme Maya l’a dit,” répondit son père à voix basse, “Sara est très occupée.”
Maya savait que son propre départ soudain avait été un véritable coup dur pour lui. Mais si tel était le cas, alors celui de Sara avait été une attaque mortelle.
Durant ce premier été, seulement quelques mois après que leur père sauve la vie du Président Pierson, qu’il leur révèle la vérité sur la mort de leur mère et que la tension à la maison atteigne des sommets, Maya avait fait part de ses plans à sa sœur. Elle avait dit à Sara qu’elle avait passé l’examen de fin de lycée et qu’elle était en cours d’admission à West Point.
De toute sa vie, elle n’oublierait jamais l’expression paniquée sur le visage de sa petite sœur. Je t’en prie. S’il te plaît, ne fais pas ça, l’avait suppliée Sara. Ne me laisse pas seule avec lui. Je ne le supporterai pas.
Même si ça lui avait brisé le cœur, Maya avait un plan et comptait le mener à bien. Aussi, Sara avait fait le sien. Elle était allée sur internet et avait trouvé un avocat qui pouvait s’occuper de son cas pro bono. Puis, elle avait rempli un dossier d’émancipation. Elle savait que ce combat serait de longue haleine : il n’y avait aucune preuve ou indice de négligence, d’abus ou de quoi que ce soit du genre.
Mais, à la grande surprise des deux sœurs, leur père ne s’était pas battu. Moins de deux semaines après le départ de Maya pour l’école militaire à New York, son père s’était rendu à la convocation du tribunal et, devant le juge,