Liaisons Interdites. Victory Storm
Mon Dieu, Ginevra, calme‑toi !
“Ginevra, tu veux te blesser ? Peut‑on savoir ce qui te passe par la tête ?”, s’exclama Maya en me tirant de mes pensées.
“À rien”, répondis-je précipitamment tout en continuant à couper les oignons.
“Je ne te crois pas.”
“J’étais en train de penser à quelque chose à te cuisiner. J’espère que les pâtes à la sauce seitan te plaisent”, répondis‑je promptement. Je fis revenir l’oignon avec le céleri et les carottes.
“Je le découvrirai bientôt mais je te fais confiance. Tu es un vrai cordon bleu même si j’estime honteux que tes parents n’aient pas mis de domestique ou une aide quelconque à ta disposition pour faire ce travail.”
“Mon père a été très clair : tant que durera mon régime végétarien et que j’aurai ces idées en matière de droits civiques, je resterai reléguée dans cette annexe et je devrai me débrouiller seule. À présent je suis devenue une femme au foyer modèle.”
“Tu passes aussi l’aspirateur ?”, s’enquit Maya écœurée.
“Oui, je fais la cuisine, le linge, le repassage et mon lit toute seule.”
“Mince ! J’en serais bien incapable ! Ils te traitent comme une esclave !”
“Ne dis pas de sottises. J’ai acquis mon indépendance et je ne fais rien de plus que ce que la majorité des gens fait au quotidien. Tout le monde ne peut pas se permettre d’avoir du personnel qui le remplace en tout et pour tout, tu sais ?”
“Et cette situation te convient ?”
“Oui”, murmurai‑je abattue. En réalité nettoyer ma maison ou cuisiner pour moi ne m’intéressait pas. Ce qui me faisait le plus mal était l’attitude de ma famille : ils ne voulaient plus de moi, ils n’acceptaient pas ma différence, ils ne démontraient aucun intérêt à mon égard.
Les rares fois où je me retrouvais en famille étaient une souffrance parce qu’ils me coupaient la parole, ne me laissaient pas entamer un sujet de conversation et, pis encore, négligeaient de demander au cuistot de préparer de la nourriture à part pour moi.
Je me sentais souvent seule et, depuis trois ans, j’étais exclue et traitée sans aucun égard.
Mon déménagement dans cette annexe était l’enième tentative pour m’isoler afin d’éviter que je fasse partie de la vie de la famille.
Même ma sœur Rosa m’évitait et, depuis son mariage, elle avait cessé de me téléphoner.
Les relations avec mon frère Fernando n’avaient jamais été chaleureuses et je n’avais jamais pu souffrir la distance qu’il avait instaurée entre nous deux. En tant qu’aîné il avait dix ans de plus que moi et était l’héritier direct de l’empire de Papa ; pour ces raisons il se permettait de tyranniser tout le monde.
“Écoute, Lucky m’a appelé. Il a ton pass. Apparemment il a essayé de se rendre au Bridge avec ses copains mais on lui a dit que la carte était nominative et qu’il ne pourrait y entrer sans toi. Il m’a demandé si cela nous plairait d’y retourner ce soir avec lui et l’un de ses amis qu’il voudrait te présenter. Il m’a montré sa photo : c’est un joli garçon ! Peut‑être en sortira‑t‑il quelque chose pour toi, qu’en dis‑tu ?”
Je repensai à Lorenzo.
Sans être capable de l’admettre, j’avais follement envie de le revoir.
Ma réponse laissa Maya abasourdie : “Ok !”
“Tu parles sérieusement ? Disons que ça me fait plaisir mais j’étais convaincue que tu ne voulais plus entendre parler du Bridge et des Orlando après ce qui s’était passé là‑bas samedi dernier.”
“J’ai besoin de changer d’air.”
“Autrefois quand tu souhaitais changer d’air, tu me demandais l’autorisation d’aller en montagne dans le cottage de mon grand‑père. Alors qu’à présent tu me dis que tu veux retourner dans l’antre du loup. J’ai dû te contaminer avec ma manie de faire des choses hors normes.”
“Cela se pourrait”, répondis‑je en souriant, joyeuse.
Chapitre 6
LORENZO
Je ne pus retenir un petit sourire de satisfaction quand je vis Mia Madison franchir l’entrée du Bridge.
Je savais qu’elle avait refusé mon pass et que seule l’intervention d’un de ses amis l’avait sauvée. Nul n’était assez fou pour offenser un Orlando en refusant son cadeau, même si Mia semblait indifférente à mon nom de famille et à ce qu’il représentait à Rockart City.
Mon sourire s’épanouit lorsque je la vis ôter sa veste légère en lin blanc pour dévoiler une robe montante bleu clair, même si cette dernière avait une large échancrure dans le dos.
Son apparence chaste, soulignée par un léger maquillage aux nuances pâles, était une indication claire du fait qu’elle tenait à ne pas être prise pour une entraîneuse comme la fois dernière.
Pendant un bref instant son regard croisa le mien.
Nous nous fîmes un bref signe de tête en guise de salutation mais ses yeux restèrent accrochés aux miens une fraction de seconde de trop pour que je ne comprenne pas qu’elle avait pensé à moi pendant la semaine qui venait de s’écouler, tout comme moi j’avais pensé à elle.
Il était difficile de m’ôter de la tête une femme qui m’avait ouvertement traité de repris de justice et m’avait défié si ouvertement, bien que je lui fîsse peur.
Je promenai lentement mon regard sur elle, à la recherche de cette femme transgressive et sans complexes, mais toute trace semblait en avoir disparu.
Elle était simple et très belle.
Ses yeux bleus légèrement teintés de violet ressortaient grâce à son fard à paupières lilas et les lèvres charnues à peine soulignées d’un rouge à lèvre rose.
Par rapport à la fois précédente, elle paraissait plus jeune. Je ne lui donnais guère plus de vingt-cinq ans et les manières gracieuses et raffinées avec lesquelles elle se déplaçait, s’asseyait et portait le verre de Bellini à ses lèvres... tout ceci avait quelque chose de sensuel et charmant à la fois.
J’avais compris qu’elle avait fait des études supérieures et n’était pas une vulgaire entraîneuse lorsque j’avais parlé avec elle et, à présent, la voyant dans sa merveilleuse simplicité, je m’aperçus qu’elle était bien plus que ce qu’elle ne laissait entrevoir. Toutefois sa timidité et sa réserve, lorsque le garçon auquel elle parlait la touchait, me firent comprendre qu’il y avait quelque chose d’étrange en elle : c’était comme si le contact physique la dérangeait...
Elle avait été très réservée avec moi mais j’avais lu la peur dans son regard ; alors qu’à présent il s’agissait d’irritation et d’aversion, bien que dissimulées derrière des sourires affectés et des gestes mesurés, pas assez incisifs cependant pour que le garçon garde ses mains à leur place.
J’appréciai ses efforts pour maîtriser sa nervosité tout en gardant le masque d’une jeune fille distinguée, même s’il était clair par ailleurs qu’elle aurait voulu gifler son cavalier.
Je jouis du spectacle depuis ma position surélevée, me demandant combien de temps il lui faudrait avant de sortir de ses gonds.
D’autre part son amie Chelsea semblait ne se rendre compte de rien, tant elle était prise par les épanchements avec le garçon avec lequel elle sortait déjà la semaine dernière.
À