Petite Mère. E. de Mme. Pressensé
vertus mais ne mangeait jamais de pain sec.
— C'est plus beau ici que chez nous, dit-il les yeux fixés sur la pendule qui ornait la cheminée.
C'était en effet une jolie chambre, bien qu'elle ne fût séparée que par une petite cuisine et un cabinet noir de la misérable chambre qu'habitaient les deux enfants. Il y avait sur la commode des tasses de porcelaine, deux petits vases, deux flambeaux; près de la fenêtre un grand fauteuil et des rideaux au lit. Tout était bien en ordre, tout reluisait de propreté.
Petite mère admirait aussi, mais avec une nuance de tristesse; ses instincts de ménagère lui faisaient faire une comparaison défavorable pour la chambre voisine qu'elle nettoyait pourtant avec tant de soin.
Toujours discrète et réservée, Petite mère craignait de déranger; elle voulut emmener son frère et le tira par le bras en disant:
— Remercie la dame, Charlot.
Mais lui n'avait point de semblables scrupules.
— Je veux rester encore, dit-il en se campant fermement sur ses petites jambes écartées, j'aime mieux être ici que chez nous. Toi tu peux t'en aller si tu veux; moi, je reste.
— Il peut rester un moment si ça lui fait plaisir, pourvu qu'il ne fasse pas de bruit et ne tourmente pas mon chat.
La petite retira sa main, mais elle resta indécise, n'osant ni s'en aller ni prendre pour elle la permission donnée à son frère.
Celui-ci trancha la difficulté.
— Va-t'en, lui dit-il avec son amabilité accoutumée.
— Oh! dit madame Charles, elle peut bien rester; elle ne prend pas beaucoup de place et elle ne fait pas beaucoup de bruit.
— Non, dit Charlot avec décision, j'aime mieux qu'elle retourne chez nous.
Et Petite mère s'en alla un peu triste sans bien savoir pourquoi.
Elle s'assit sur le banc de bois près de la fenêtre et se mit à regarder; il lui revint tout à coup à l'esprit que quelqu'un, elle ne savait plus qui, lui avait dit une fois que sa mère était au ciel. Elle resta longtemps les yeux fixés sur un petit coin de ciel bleu qui paraissait encore entre d'épais nuages, sans avoir de pensées bien précises, mais songeant et se souvenant, et se disant qu'elle était bien heureuse quand elle avait sa mère pour l'aimer.
Pendant ce temps Charlot attendait une occasion de se venger.
V
Madame Charles s'était établie dans son fauteuil et avait repris son tricot. Habituée comme elle l'était depuis des années à vivre avec un chat qui n'exigeait pas beaucoup de conversation, elle avait presque perdu l'habitude de parler. Aussi elle laissa la petit garçon s'amuser comme il pouvait. Lorsqu'il eut épuisé l'examen de la chambre et de tout ce qu'elle contenait Charlot se mit à contempler la vieille dame elle-même. De temps en temps ses lunettes glissaient sur le bout de son nez, le mouvement de ses aiguilles se ralentissait, puis s'arrêtait tout à fait, et sa tête tombait sur sa poitrine. Charlot la trouvait très drôle ainsi. Elle avait oublié que le petit garçon était dans la chambre, mais un miaulement aigu de son chat le lui rappela tout à coup. La bonne bête, accoutumée à des procédés tranquilles et bienveillants, ne connaissait pas la défiance; elle avait donc quitté sa place moelleuse sur l'édredon et, se trouvant assez reposée pour le moment, était venue lentement, en se frottant à chaque meuble, auprès du petit garçon qui la regardait venir avec une maligne joie. Minet se frotta aussi contre lui, comme pour lui dire qu'il venait avec de bonnes intentions et comptait sur sa bienveillance. Charlot commença par le caresser pour l'attirer plus sûrement, puis, l'ayant pris sur ses genoux, il se mit à le caresser à l'envers; puis, le tenant ferme, il lui fit subir, malgré sa résistance, une petite opération peu agréable en lui arrachant un des longs poils de sa moustache. Alors, voyant que l'on répondait par de si mauvais procédés à ses avances amicales; le chat fit un violent effort pour se dégager, mais il se sentit retenu par la queue et poussa ce miaulement formidable qui tira sa maîtresse de sa somnolence. Elle se leva en sursaut, le tricot tomba de ses mains, le peloton roula sous un meuble et la vieille dame cria d'une voix sévère:
— Qu'est-ce qu'on fait à mon chat?
— Il m'a griffé, répondit le petit garçon en montrant une goutte de sang qui perlait sur le revers de sa main.
— Tu lui as fait du mal, sans cela il ne t'aurait pas griffé; je connais mon chat, il ne fait jamais de mal à personne, à moins que ce ne soit pour se défendre, et alors il est dans son droit. Est-ce que tu crois que le bon Dieu a fait les chats pour que les méchants enfants les tourmentent?
— Je ne sais pas… répondit Charlot un peu ahuri du ton irrité de la vieille dame.
— Tu ne sais pas!… Eh bien, moi, je sais. Le bon Dieu punit ceux qui font du mal aux pauvres bêtes.
— Est-ce que c'est un méchant monsieur? demanda Charlot.
La bonne dame lui fit répéter deux fois sa question, puis elle leva les mains au ciel…
— Est-ce possible? cria-t-elle, y a-t-il au monde un enfant qui puisse dire une chose pareille? Mais, malheureux, tu es pire qu'un païen!…
Cette accusation aurait pu laisser Charlot assez indifférent, mais il comprenait bien au ton dont elle lui était adressée que, être pire qu'un païen, devait être une vilaine chose. Il resta immobile, l'air déconfit.
Au fond il n'avait pas beaucoup de remords. S'il avait tiré la queue du chat, celui-ci l'avait griffé de la bonne manière: ils étaient quittes. Restait cette mystérieuse accusation d'être pire qu'un païen. L'enfant se la répétait, les yeux fixés sur Minet qui, réfugié près de sa maîtresse, faisait le gros dos et hérissait sa moustache endommagée. Il fallait d'abord le consoler, l'apaiser; on lui prodigua les caresses et les douces paroles jusqu'à ce qu'il fût de nouveau roulé en boule sur le lit et parût avoir tout oublié dans un paisible sommeil.
Alors madame Charles se tourna vers le petit garçon.
— Ecoute, dit-elle en changeant son ton caressant contre un ton sévère, je n'aime pas les enfants qui font du mal aux animaux et qui ne connaissent pas le bon Dieu. Tu peux t'en aller.
Charlot se dirigea sans répondre vers la porte.
La vieille dame eut peut-être un remords de le renvoyer ainsi, car elle le rappela et, le tenant par la main, elle lui dit:
— Rappelle-toi ce que je te dis, Charlot: le bon Dieu te punira si tu fais encore du mal à mon chat.
— Mais il ne le saurait pas, dit le petit garçon qui pensait qu'il aurait un certain plaisir à tirer encore une fois la belle queue de ce chat trop aimé qui était cause qu'on le mettait à la porte.
— Comment?… Il ne le saurait pas… Il sait bien ce que tu as fait… Il t'a vu et il te verra encore si tu recommences.
Charlot regarda tout autour de lui. Il n'y avait dans la chambre d'autre cachette que la grande armoire; madame Charles l'avait ouverte devant lui et il avait pu voir les étagères sur lesquelles étaient rangés, avec un peu de linge, des cartons, des sacs de papier, toutes les provisions de la bonne dame. Où donc quelqu'un pouvait-il être caché? Peut-être il y avait un trou dans le mur et on l'avait vu de la chambre à côté. Charlot pensa que dans leur chambre, à eux, il n'y avait pas de trou et que si jamais le chat y revenait, il pourrait lui tirer la queue tout à son aise, sans que personne le sût. Depuis ce moment il voua une haine mortelle à l'autre Charlot.
Tout en faisant ces réflexions, il retourna auprès de sa soeur qui fut contente de le voir. Elle se trouvait si seule sans lui.
— Ecoute, lui demanda-t-il: sais-tu qui est le