Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme
1433 les chanoines jugèrent à propos de centraliser entre les mains de quelques-uns d'eux l'administration de leurs biens qui ne faisait que péricliter, ils choisirent Jean Chuffart avec deux de ses confrères. On voit par le règlement rédigé à cette époque que les trois chanoines délégués avaient pour mission de recevoir tout ce qui appartenait à Notre-Dame, tant des offices de la chambre, des anniversaires, des matines, des stations, que des rentes et revenus afférents aux enfants de chœur et aux prévôtés; ils devaient également faire déposer dans les greniers et celliers du chapitre les grains et vins amenés à Paris. Le 13 juillet 1444, Jean Chuffart, tant en son nom qu'au nom de ses collègues d'Orgemont et Moustardier, rendit compte de sa gestion et se fit délivrer quittance en règle.
La multiplicité et variété extrême des détails dans lesquels devaient entrer celui ou ceux des chanoines qui s'occupaient du temporel de Notre-Dame explique aisément pourquoi l'auteur du Journal, qui était, ne l'oublions pas, du corps de Notre-Dame, attache une si grande importance à toutes ces particularités relatives au prix du vin et du blé, à l'abondance ou à la rareté des biens de la terre, céréales, fruits et légumes; on comprend mieux le soin avec lequel le chroniqueur note les accidents de la température, tels que les gelées de mai, les pluies excessives, les chaleurs prolongées, les dégâts des hannetons, tout ce qui en un mot pouvait compromettre les récoltes. L'auteur du Journal, quoique s'intéressant d'une façon toute spéciale aux vignes, ne néglige point les autres cultures; aussi le voit-on s'apitoyer sur les malheurs des habitants des campagnes ruinés par les incursions des gens de guerre qui prenaient tout ce qui pouvait s'emporter et détruisaient le reste. Cette sollicitude n'est point une simple question d'humanité: Jean Chuffart faisait valoir des terres de labour aux environs de Paris, notamment à l'Hay et à Chevilly, au Bourget et à Blanc-Mesnil, il est tout naturel qu'il s'inquiète du sort des laboureurs.
i. L'AUTEUR DU JOURNAL APPARTIENT A PLUSIEURS CONFRÉRIES PARISIENNES.
Dans maintes occasions, l'auteur du Journal témoigne d'un certain intérêt pour les confréries parisiennes, il connaît leur situation morale et pécuniaire; il éprouve un réel chagrin lorsqu'il nous montre les confréries épuisant leurs ressources pour acquitter leur part des lourdes contributions imposées aux Parisiens. Ainsi, au mois de septembre 1437, notre chroniqueur ne manque pas de nous dire que les conseillers de Charles VII firent main basse sur l'argent monnayé «qui estoit ou tresor des confreries». En 1441, lors du siège de Pontoise et de la venue du roi à Saint-Denis, notre Journal nous apprend que les confréries parisiennes furent menacées dans leur existence. «Les faulx conseilliers» du roi projetèrent non seulement de s'emparer de tout l'argent possédé par les confréries, mais encore d'en réduire le nombre; ils réussirent à les diminuer de moitié et portèrent un coup funeste au service religieux. Notre chroniqueur ne se borne pas à nous entretenir des confréries à un point de vue général, il laisse parfois deviner ses préférences personnelles pour telle ou telle confrérie dont il devait être membre; on remarque notamment que dans la relation fort succincte des obsèques de la duchesse de Bedford, il consacre une mention spéciale à la Grande Confrérie aux Bourgeois. Or nous savons par le testament de Jean Chuffart que ce chanoine était membre de la Grande Confrérie aux Bourgeois et de la confrérie de Saint-Augustin qui avaient leur siège à Notre-Dame, et qu'il faisait également partie de celle des merciers en l'église des Innocents. En pensant à cette dernière confrérie, il est difficile de ne point se reporter au long paragraphe de notre journal relatif à la mise en interdit de l'église des Innocents en 1437; pendant vingt-deux jours, dit le chroniqueur, le service divin fut interrompu, et les confréries qui avaient leurs services assignés dans cette église se transportèrent en la chapelle Saint-Josse.
Voici, pour nous résumer, les résultats que nous avons obtenus par l'étude attentive du Journal parisien.
En premier lieu, l'auteur du Journal se désigne au nombre des prêtres qui participèrent à une procession du clergé de Notre-Dame, circonstance qui permet au président Fauchet d'émettre cette opinion que notre chroniqueur devait appartenir «au corps de Notre-Dame»; or, Jean Chuffart nous apparaît dès 1420 comme chanoine de cette église.
2o L'auteur du Journal, sympathique d'abord à la cause anglo-bourguignonne, abandonne cette cause et embrasse le parti de Charles VII après 1436; or nous voyons Jean Chuffart prêter serment aux Anglais en 1429, et se rallier ensuite au gouvernement français en acceptant dès 1437 un poste de conseiller au Parlement de Paris.
3o L'auteur du Journal s'occupe des moindres incidents du siège de Meaux et rapporte des particularités inconnues de tout autre chroniqueur; or Jean Chuffart se rendit, en janvier 1422, auprès du roi d'Angleterre, avec une mission officielle du chapitre de Notre-Dame.
4o L'auteur du Journal se met en scène parmi les plus parfaits clercs de l'Université et montre par là qu'il devait occuper dans le monde universitaire une situation importante; or nous constatons que Jean Chuffart fut recteur de l'Université en 1422 et qu'il fit partie du corps enseignant en qualité de docteur régent de la faculté de décret.
5o L'auteur du Journal se révèle dans plusieurs passages de sa chronique comme l'un des clercs attachés à la maison d'Isabeau de Bavière; or, Jean Chuffart remplit pendant nombre d'années les fonctions de chancelier de cette reine.
6o L'auteur du Journal témoigne à une certaine époque d'un intérêt particulier pour l'église et le cimetière des Innocents; or, à cette même époque, Jean Chuffart, soit comme chanoine de Sainte-Opportune, soit comme chanoine et doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, eut journellement à s'occuper de l'église et du cimetière des Innocents.
7o, 8o L'auteur du Journal parle souvent de Saint-Marcel et de la récolte des vins faite sur le territoire de Saint-Marcel; or, Jean Chuffart, chanoine et doyen de la collégiale de ce nom, possédait et exploitait dans ce bourg des vignes d'une certaine importance.
Enfin l'auteur note dans son Journal le prix des denrées, les variations atmosphériques de toute nature, les dégâts causés aux récoltes; or, Jean Chuffart, comme chambrier clerc de Notre-Dame, fut constamment chargé de veiller au temporel du chapitre et dut se préoccuper de tous ces accidents, de tous ces détails relatifs aux biens de la terre auxquels s'intéresse tout particulièrement l'auteur du Journal.
On voit que l'attribution du Journal parisien au chanoine Jean Chuffart peut se défendre par de nombreux et sérieux arguments.
Nous espérons donc que le public voudra bien accueillir nos conjectures sans défaveur, et que M. Longnon lui-même, si nous ne réussissons pas à le convaincre, reconnaîtra que ces conjectures s'appuient sur un ensemble de faits à tout le moins digne d'attention.
JOURNAL D'UN BOURGEOIS
DE PARIS
DE 1405 A 1449.
[1405]. [83]
1. ..... Et environ dix ou doze jours après, furent changées les serreures et clefs des portes de Paris, et furent faiz monseigneur de Berry et monseigneur de Bourbon cappitaines de la ville de Paris, et vint si grant foueson de gens d'armes à Paris que aux villaiges d'entour ne demeurerent aussi comme nulles gens; toutesvoies les gens du dessusdit duc de Bourgongne ne prenoient riens sans paier, et comptoient tous les soirs à leurs hostes et poioient tout sec en la ville de Paris [84]. Et estoient, ce temps durant, les portes de Paris fermées, ce non IIII, c'est assavoir la porte Sainct-Denis, Sainct-Anthoine, Sainct-Jacque et Sainct-Honoré. Et le dixiesme jour de septembre ensuivant furent murées de plastre la porte du Temple, la porte Sainct-Martin et celle de Montmartre [85].
2. Et le vendredi ensuivant, XIIe jour dudit moy, aryva à Paris l'evesque du Liege [86], et lui fist faire serement le prevost de Paris et autres, à l'entrée de la porte Sainct-Denis, que il ne seroit contre le roy, n'encontre la ville, ne lui, ne les siens, mais leur seroit garant de trestout son povair, et ainsi le promist-il par la foy de son corps et par son signeur, et après entra à Paris et fut logé en l'ostel de la Trimoullie [87]. Et icellui jour après sa venue, fut crié ce, que on mist des lanternes à bas les rues et de l'eaue aux huis, et aussi le fist-on. Et le XIXe