Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris - Eugène François Vidocq


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tranquillisa la jeune beauté qui venait de s'adresser à lui, et empocha une somme de 1,500 francs; cela fait, l'avocat député ne s'occupa pas plus de son client que s'il n'avait jamais existé; il avait vraiment bien d'autres choses à faire en ce moment; mais la jeune femme, qui ne voulait pas supporter plus longtemps les cruels tourments de l'absence, se plaignit à la chambre des avocats; des explications furent demandées par le bâtonnier de l'ordre. Le député légitimiste, ne pouvant pas, à ce qu'il faut croire, les donner satisfaisantes, pria ses collègues de l'une et de l'autre chambre de vouloir bien accepter sa démission pure et simple.

      Il cause en ce moment avec un de ces littérateurs auxquels on peut appliquer les vers de Voltaire contre l'abbé Desfontaines:

      Au peu d'esprit que le bonhomme avait,

       L'esprit d'autrui par complément servait.

       Il compilait, compilait, compilait.

      Voulez-vous l'histoire de n'importe quelle nation ou de n'importe quel grand homme; voulez-vous un roman de mœurs, un roman maritime ou un roman intime, des contes bruns, roses, noirs, de toutes les couleurs; la physiologie de n'importe quoi, la biographie de n'importe qui, un traité de physique, d'histoire naturelle ou de métaphysique, demandez et vous serez servis, cet illustre inconnu s'armera des grands ciseaux qui sont en permanence sur son bureau, et au jour et à l'heure indiqués, il vous livrera ce que vous lui aurez commandé, à moins cependant que vous ne l'ayez payé d'avance.

      —Je vois que nous allons dîner avec tout ce que Paris renferme d'hommes tarés, ajouta Salvador.

      —Détrompez-vous, mon cher compatriote; à part quelques rares exceptions, tous les hommes qui sont ici sont des personnages très-recommandables; les uns sont riches ou paraissent l'être, les autres exercent des professions honorables, quelques-uns occupent des places qui ne sont ordinairement accordées qu'à des hommes vertueux, ce n'est que tout bas que l'on dit ce que je viens de raconter et lorsque l'on rencontre ces gens-là dans un salon, on leur fait bon visage.

      —Eh! bonjour donc, monsieur de Courtivon, dit un beau jeune homme qui tendait à de Pourrières une main parfaitement gantée que celui-ci serra dans la sienne. Le jeune homme, après avoir échangé quelques paroles avec l'Amphytrion, alla se mêler aux groupes déjà nombreux qui se formaient dans la salle.

      —Est-il possible de refuser la main qui vous est tendue lorsqu'elle est aussi bien gantée que celle de ce beau jeune homme? dit de Pourrières en souriant.

      —Cela serait en effet difficile, lui répondit Salvador, si surtout cet individu est un peu moins coquin que tous ceux dont vous venez de nous raconter l'histoire.

      —Ce jeune homme est un assez habile médecin, mais quelle que soit la science qu'il ait acquise sur les bancs de l'école, son savoir sera toujours au-dessous de son savoir-faire, aussi sa clientèle est-elle une des plus distinguées et des plus lucratives.

      Une femme dont le mari est absent, et qui redoute les suites d'une conversation quelque peu criminelle avec le neveu, le caissier ou l'intendant de son mari, fait venir le docteur Delamarre, qui se charge de dissiper ses craintes. Les jeunes personnes de nobles familles qui ne veulent pas que leur écusson soit taché; les lorettes, qui veulent esquiver les conséquences d'un souper à la Maison-d'Or, les grisettes qui ne veulent pas laisser de traces d'une soirée orageuse à l'Ile d'Amour, trouvent chez lui assistance et délivrance lorsqu'elles ont de l'argent.

      Voulez-vous un héritier, cet habile docteur saura vous en procurer un; si vous en avez un de trop il vous en débarrassera; en un mot ce galant homme est la providence de toutes les vertus douteuses et de toutes les ambitions. Pour achever de vous faire connaître ce personnage, je vais vous raconter un des traits les moins saillants de sa vie.

      Un septuagénaire de ses amis, qui voulait mystifier ses neveux et qui probablement avait oublié le refrain de la romance populaire,

      Jeunes femmes et vieux maris,

       Feront toujours mauvais ménage.

      se leva un matin avec l'idée de prendre femme. Il jeta alors les yeux sur une jeune fille aussi belle qu'elle était innocente, et ce n'est pas peu dire, car elle est bien belle; jugez-en, sa taille est svelte et bien prise, ses yeux bleus fendus en amande et ombragés de longs cils promettaient de lancer des éclairs, ses cheveux, du plus beau blond cendré et légèrement ondulés, rappellent les vierges de Léonard de Vinci; sa peau, légèrement rosée, est d'une blancheur éblouissante; sa bouche est peut-être un peu grande, mais lorsqu'elle s'ouvre pour sourire, elle laisse apercevoir trente-deux petites dents bien rangées, qui font naître l'envie de se laisser mordre par elles.

      Cette jeune fille avait été élevée par des religieuses, et depuis six mois elle avait quitté le village pour venir habiter près d'une tante qui cachait sous les apparences d'une sévérité exagérée, l'espérance qu'elle avait conçue depuis longtemps d'exploiter à son profit les attraits de sa nièce; aussi lorsque le vieux podagre demanda la main de la jeune houri en question, elle lui répondit que sa recherche lui faisait beaucoup d'honneur, et que sa nièce serait charmée d'épouser un aussi galant homme.

      Le mariage fut conclu, mais il ne fut pas consommé. Le lendemain des noces, le malheureux septuagénaire vint trouver son ami; sa mine allongée et son regard terne annonçaient un homme dont les espérances ont été déçues.

      —Eh bien? lui dit le docteur.

      —Impossible! mon cher, impossible!

      —Diable! mais je ne puis augmenter la dose sans risquer de vous envoyer dans l'autre monde.

      —Mais je ne veux pas laisser ma fortune à mes neveux, s'écria le vieillard.

      —Il y a bien un moyen, répondit le complaisant docteur.

      Il dit quelques mots à l'oreille du vieillard.

      —Cela me va, et vous aurez les 5,000 fr. que vous me demandez si la chose réussit, mais vous m'assurez qu'après ce sera plus facile.

      —Sans doute.

      —Eh bien, mon cher, essayez.

      —Donnez-moi carte blanche et tout ira bien, je vous réponds du succès.

      Le médecin communiqua son plan à la vieille tante, qui, moyennant finance, voulut bien prêter les mains à la plus infâme de toutes les immoralités; elle fit croire à sa nièce que dans le cas où elle se trouvait, le médecin avait mission de consommer le mariage par procuration.

      La jeune fille, il est permis de le croire, trouva le fondé de pouvoir plus agréable que son mari, le docteur, de son côté, était charmé d'avoir rencontré une aussi bonne aubaine; enfin il est né de ce joli commerce deux beaux enfants, qui font la joie du bonhomme en question et le désespoir de ses neveux.

      L'air respectable et les manières distinguées quoique sans prétentions de ce monsieur, vous l'ont sans doute fait prendre pour un négociant de premier ordre, c'est un faiseur. Savez-vous ce que c'est qu'un faiseur?

      —Non, répondirent en même temps Salvador et Roman.

      Eh bien! les faiseurs sont des individus qui se donnent la qualité de banquiers, de négociants ou de commissionnaires en marchandises, pour usurper la confiance des véritables commerçants.

      Les faiseurs peuvent être divisés en deux classes: la première n'est composée que des hommes capables de la corporation, de ceux qui opèrent en grand; ces pauvres diables que vous pourrez voir dans l'allée du Palais-Royal qui fait face au café de Foi composent la seconde. A chaque renouvellement d'année, on les voit reparaître sur l'horizon, pâles et décharnés, les yeux mornes et vitreux; cassés quoique jeunes encore, toujours vêtus du même costume, toujours tristes et soucieux, ils ne font que peu ou point d'affaires; leur unique métier est de vendre leur signature à leurs confrères du grand genre.

      Ceux-là, et monsieur Roulin est un des plus distingués de la corporation, procèdent à peu près de cette manière:

      Ils louent dans un beau quartier un vaste local qu'ils ont soin de meubler


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