Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs
quelques indications précieuses. On trouve encore, pour l'histoire de Fouquet pendant cette époque, des faits à recueillir dans les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, de madame de Motteville, de Conrart, de Montglat, de Bussy-Rabutin, de madame de la Fayette, du marquis de la Fare; mais ce sont des traits dispersés. Les Mémoires réellement importants pour cette partie de l'histoire de Fouquet sont ceux de Gourville, de l'abbé de Choisy et du jeune Brienne. Gourville, un des principaux commis de Fouquet, insiste tout spécialement sur le caractère et le rôle du surintendant. Mais il veut trop souvent se mettre en scène, et s'attribue une importance qui est démentie par des documents plus authentiques. J'ai pris soin de signaler les passages entachés de ce défaut. L'abbé de Choisy, élevé à la cour par une mère qui fut mêlée à toutes les intrigues du temps, avait dix-huit ans à l'époque de la chute de Fouquet. Il a vu et entretenu les personnages qu'il met en scène; il a beaucoup appris par les courtisans qui fréquentaient la maison de sa mère. Son oncle, l'abbé de Belesbat, passait pour un des familiers du surintendant, et la calomnie lui a attribué une des lettres les plus honteuses que l'on fit circuler comme tirées de la cassette de Fouquet. Le témoignage de l'abbé de Choisy mérite donc d'être recueilli pour tout ce qui touche au ministère et à la catastrophe de Fouquet.
Quant au jeune Brienne, il était secrétaire d'État en survivance à l'époque de la disgrâce du surintendant. Sans doute, son esprit romanesque diminue l'autorité de ses Mémoires. L'éditeur en a d'ailleurs rajeuni le style au point d'en changer la physionomie et de remplacer la marche un peu traînante de la prose du dix-septième siècle par des allures sautillantes et légères qui mettent en défiance. Cependant le fond n'a pas été altéré. J'ai eu sous les yeux le manuscrit provenant du cardinal de Brienne; il n'y a de différences, entre ce manuscrit et les Mémoires publiés, que pour le style. Toutefois le caractère du jeune Brienne, ses aventures, son goût pour les détails singuliers et pour la mise en scène, suffisent à le rendre suspect. On peut, heureusement, contrôler son témoignage par le récit officiel de l'arrestation de Fouquet, qu'a rédigé Foucault, greffier de la Chambre de justice instituée en 1661, et par la lettre même où Louis XIV retrace à sa mère toutes les circonstances de cet événement.
Les papiers trouvés dans la cassette de Fouquet et conservés à la Bibliothèque impériale fournissent aussi des renseignements précieux et authentiques pour les dernières années de son ministère. Depuis plus de dix ans, je me suis occupé de ces correspondances. J'en devais l'indication à M. Claude, dont le savoir et l'obligeance sont connus de tous ceux qui font des recherches dans les manuscrits de la Bibliothèque impériale. J'ai cité depuis longtemps les papiers de Fouquet[6] dans plusieurs articles du Journal général de l'instruction publique, dans mon Histoire de l'administration monarchique en France, et dans l'édition que j'ai donnée des Mémoires de mademoiselle de Montpensier. Postérieurement à mes recherches, l'attention de plusieurs écrivains s'est portée sur la cassette de Fouquet. M. Dreyss, dans son édition des Mémoires de Louis XIV; M. Marcou, dans son Étude sur Pellisson, et tout récemment M. Feuillet de Conches, dans ses Causeries d'un curieux, en ont tiré plusieurs documents. M. Feuillet de Conches surtout a signalé l'intérêt de cette cassette et en a déchiffré quelques énigmes. Lui-même, du reste, a reconnu, en termes obligeants, que j'avais déjà étudié ces correspondances. J'ai profité plus d'une fois de ses travaux en indiquant les emprunts que je lui ai faits. Quant à l'interprétation de quelques pièces, où je diffère d'avis avec lui, j'ai donné mes raisons, tout en rendant pleine justice à son ingénieuse sagacité.
Une des principales difficultés, lorsqu'on cherche à déchiffrer les lettres que renferme cette cassette, consiste à retrouver les noms des correspondants de Fouquet. Bien peu de lettres sont signées; souvent même les noms des personnes et des lieux sont déguisés, et quelquefois les correspondants ont poussé la précaution jusqu'à se servir d'une main étrangère. Comment s'étonner que le lecteur hésite au milieu de tant de difficultés et ne puisse reconnaître tous les auteurs de ces lettres? Pour celles mêmes où l'on met un nom, il est difficile de ne pas avouer qu'il y a toujours une part d'hypothèse dans les interprétations. Une autre difficulté résulte de l'absence de dates: tous ces papiers ont été jetés pêle-mêle dans la cassette, et jamais on n'a cherché à les soumettre à un ordre chronologique. Je l'ai tenté pour les pièces dont j'ai fait usage dans le corps de ces Mémoires, et, au lieu d'exposer dans son ensemble tout ce que contient la cassette de Fouquet, j'en ai successivement tiré les lettres qui établissaient les relations du surintendant avec les personnes influentes de la cour et de la ville. Il y a là bien des révélations honteuses sur les mœurs du temps, et l'on éprouve d'abord de la répugnance à étaler de pareils scandales. A quoi bon exhumer ces misères et ces turpitudes? Ne vaudrait-il pas mieux laisser de semblables documents dormir dans la poussière où ils sont ensevelis depuis plusieurs siècles?
Je n'aurais pas hésité à suivre ce parti, si Nicolas Fouquet n'appartenait pas à l'histoire. On ne peut connaître et apprécier la vie publique du surintendant qu'en fouillant dans sa vie privée et en y cherchant les causes secrètes de ses dilapidations. L'histoire n'instruit pas seulement en retraçant des vertus, mais en montrant les conséquences des fautes et des vices. Raconter la vie d'un homme que de rares talents, une conduite habile, le dévouement à la cause royale, avaient élevé aux plus hautes dignités, puis le montrer enivré par la grandeur et la passion, oubliant ce qu'il doit à la France et à lui-même, et précipité de vice en vice et d'abîme en abîme jusqu'à ce que la main de la justice s'appesantisse sur lui et le jette dans un cachot, où il expiera pendant dix-neuf ans ses fautes et ses crimes, n'est-ce pas là un des plus utiles enseignements de l'histoire? D'ailleurs, en insistant sur la partie réellement importante de cette correspondance, il sera facile d'éviter certains détails qui blesseraient la morale et n'auraient que peu d'intérêt pour l'étude des caractères et des événements historiques.
Relativement au procès de Fouquet, on a aussi des documents d'une authenticité incontestable. Ce procès a été retracé dans tous ses détails par le greffier de la Chambre de justice, Foucault, dont le Journal inédit fait partie des manuscrits de la Bibliothèque impériale; c'est un simple procès-verbal, mais très-complet. Le Journal d'Olivier d'Ormesson, que j'ai publié dans la collection des Documents inédite relatifs à l'histoire de France, a un autre caractère. Il peint la physionomie des séances plutôt qu'il ne raconte les incidents du procès. Olivier d'Ormesson, un des juges de Fouquet et un des magistrats les plus intègres du dix-septième siècle, a une grande autorité lorsqu'il dépose devant la postérité. Madame de Sévigné a puisé dans ses entretiens les détails qu'elle a animés et colorés de son style si vif et si brillant. Cependant il n'est pas inutile, en entendant Olivier d'Ormesson, qui est l'organe du parti de la magistrature, de comparer à son témoignage celui de Colbert. Ce ministre poursuivait Fouquet avec une passion qui a nui à sa cause; mais il avait pour lui la justice. J'ai cité quelques passages d'un Mémoire adressé au roi par Colbert, où le contrôleur général blâme le premier président, Guillaume de Lamoignon. J'ai rapproché ces autorités opposées, et, tout en signalant les dilapidations du surintendant, j'ai cherché à montrer comment l'opinion publique, touchée de ses malheurs et émue par les plaintes de la Fontaine et de Pellisson, s'était déclarée pour le ministre déchu et persécuté.
Ces Mémoires se divisent naturellement en quatre parties, comme la vie même de Nicolas Fouquet. Jusqu'au mois de janvier 1653, il fut, avec son frère, l'auxiliaire le plus actif de Mazarin. Après la Fronde, les deux frères eurent part aux récompenses: Nicolas Fouquet devint surintendant des finances avec Abel Servien. L'abbé son frère eut la direction de la police: son rôle fut alors très-important; mais son audace, son insolence et le scandale de ses mœurs, finirent par le compromettre. De son côté, le surintendant commença à abuser de son crédit et à prodiguer en plaisirs et en fêtes l'argent de l'État. Cependant la présence de son collègue Servien le contint jusqu'en 1659. Mais, après la mort de Servien (17 février), le surintendant s'abandonna sans frein à ses passions. A cette époque, il semble atteint de démence, vere lymphatus, comme dit un contemporain[7]. Bâtiments somptueux, fortifications de Belle-Île, traités scandaleux avec les fermiers de l'impôt, folles prodigalités pour les filles de la reine, tentatives pour succéder à Mazarin dans