Le sorcier de Meudon. Eliphas Levi

Le sorcier de Meudon - Eliphas Levi


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mon Dieu, elle aurait bien tort de croire que je la contrarierais si elle avait une inclination, et son père veut tout ce que je veux. Nous lui donnons peu de chose, mais c'est notre fille unique, et la closerie est à nous: elle restera avec nous tant qu'elle voudra, et nous la croirons toujours assez richement mariée si elle l'est selon ses désirs.

      —Voilà qui est bien et sagement pensé. En effet, une fille vendue ne sera jamais une femme honnête, et celle qui se marie pour un écu trompera son mari pour une pistole, en cas qu'elle soit vertueuse, autrement ce sera pour rien.

      —C'est bien aussi ce que je dis toujours à Guillaume, et il me comprend bien; car lui, ce n'était pas pour ma dot qu'il m'a prise; son père voulait l'empêcher de se marier avec moi et lui avait défendu de me parler; le pauvre garçon avait tant de chagrin qu'il voulait s'enrôler dans les francs taupins ou ailleurs. La veille de son départ, du moins à ce qu'il pensait, j'étais seule dans ma petite chambre, justement comme Marjolaine est seule dans ce moment-ci; j'avais laissé ma fenêtre entr'ouverte; tout à coup voilà un jeune gars qui saute dans la chambre et qui se jette à deux genoux en pleurant: je viens vous faire mes adieux, me disait il d'un ton de voix à me navrer le coeur. J'étais toute saisie; mais enfin ne pouvant plus y tenir, je lui ai tendu les bras… et… que voulez-vous que je vous dise?… il a bien fallu après cela nous marier, car tout le monde aurait jeté la pierre aux parents de Guillaume.

      —Eh! qu'auriez-vous fait si le père de Guillaume avait fait comme Jean

       Lubin, par exemple, s'il eût voué son fils à saint François?

      —Ah! oui, j'aurais dit que Guillaume s'était voué à moi, et que saint François, étant le plus raisonnable et surtout le moins compromis dans l'affaire, c'était lui qui devait céder. Et tenez, vous parlez de Jean Lubin; mais croyez-vous qu'il ne se repente pas à l'heure qu'il est d'avoir mis son fils au couvent, un si bel enfant, et qui promettait d'être à la fois si doux et si malin!

      —M'est avis, dit maître François, que pour changer la résolution de Jean Lubin, il suffirait que son fils fût surpris comme Guillaume dans la chambrette d'une jouvencelle; mais le moyen? Le portier du couvent ne laisse pas sortir les novices, et il ne leur est pas même permis de venir au prieuré, le seul endroit où il soit possible de sortir en descendant par la fenêtre.

      En achevant cette phrase, frère François regarda dans le clos par-dessus son épaule et se mit malicieusement à rire: Frère Lubin avait disparu.

      —Allez, bonne femme, allez, dit le frère médecin, l'indisposition de Marjolaine n'aura pas de suites fâcheuses, mais ne la laissez pas seule plus longtemps, et souvenez-vous de la jeunesse de Guillaume. Où travaille-t-il en ce moment?

      —Il est justement occupé à la vigne de Jean Lubin qui l'a prié de lui aider comme son ami et son compère, je viens de les voir de loin en passant près des grands poiriers.

      —Eh bien! allez vite les rejoindre et menez-les avec vous à la chambre de Marjolaine; vous approcherez tout doucement, et si les oiseaux sont au nid vous les prendrez sans les effaroucher. A revoir, mère Guillemette!

      —Oh! mon Dieu! vous me faites peur. Mais ce n'est pas possible, et d'ailleurs comment sauriez-vous?…

      —Tenez, mère Guillemette, dit frère François en faisant approcher la bonne femme de la fenêtre, n'est-ce pas là-bas, au bout de la maisonnette qu'on voit d'ici, qu'est la chambre de la petite Marjolaine?…

      —Mais oui… mais oui. Ah! mais, qu'est-ce que c'est donc que cela? On dirait qu'il y a quelqu'un qui lui parle par la fenêtre… Je ne distingue pas très-bien… mais je crois voir une robe brune; c'est sans doute la mère Barbe ou la vieille Marguerite… mais elles ont donc sauté par-dessus la haie, puisque j'ai fermé la porte à la clef… Bon! la voilà qui entre et la fenêtre qu'on referme. Qu'est-ce que c'est donc? qu'est-ce que c'est donc que cela?

      —Décidément, il faut que frère Lubin ait pris la fuite par-dessus les murs! s'écria en même temps la voix de frère Paphnuce qui revenait tout essoufflé, on ne le trouve nulle part.

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