Contes du jour et de la nuit. Guy de Maupassant
tous les calculs égoïstes des hommes en matière d'amour lui travaillaient l'esprit.
Comme il ne disait rien, elle se remit à parler d'une voix émue, avec des larmes au coin des paupières:
—Si vous ne me promettez pas de me respecter tout à fait, je m'en retourne à la maison.
Il lui serra le bras tendrement et répondit:
—Je vous le promets; vous ne ferez que ce que vous voudrez.
Elle parut soulagée et demanda en souriant:
—C'est bien vrai, ça?
Il la regarda au fond des yeux.
—Je vous le jure!
—Prenons les billets, dit-elle.
Ils ne purent guère parler en route, le wagon étant au complet.
Arrivés à Maisons-Laffitte, ils se dirigèrent vers la Seine.
L'air tiède amollissait la chair et l'âme. Le soleil tombant en plein sur le fleuve, sur les feuilles et les gazons, jetait mille reflets de gaieté dans les corps et dans les esprits. Ils allaient, la main dans la main, le long de la berge, en regardant les petits poissons qui glissaient, par troupes, entre deux eaux. Ils allaient, inondés de bonheur, comme soulevés de terre dans une félicité éperdue.
Elle dit enfin:
—Comme vous devez me trouver folle.
Il demanda:
—Pourquoi ça?
Elle reprit:
—N'est-ce pas une folie de venir comme ça toute seule avec vous?
—Mais non! c'est bien naturel.
—Non! non! ce n'est pas naturel—pour moi,—parce que je ne veux pas fauter,—et c'est comme ça qu'on faute, cependant. Mais si vous saviez! c'est si triste, tous les jours, la même chose, tous les jours du mois et tous les mois de l'année. Je suis toute seule avec maman. Et comme elle a eu bien des chagrins, elle n'est pas gaie. Moi, je fais comme je peux. Je tâche de rire quand même; mais je ne réussis pas toujours. C'est égal, c'est mal d'être venue. Vous ne m'en voudrez pas, au moins.
Pour répondre, il l'embrassa vivement dans l'oreille. Mais elle se sépara de lui, d'un mouvement brusque; et, fâchée soudain:
—Oh! monsieur François! après ce que vous m'avez juré.
Et ils revinrent vers Maisons-Laffitte.
Ils déjeunèrent au Petit-Havre, maison basse, ensevelie sous quatre peupliers énormes, au bord de l'eau.
Le grand air, la chaleur, le petit vin blanc et le trouble de se sentir l'un près de l'autre les rendaient rouges, oppressés et silencieux.
Mais après le café une joie brusque les envahit, et, ayant traversé la Seine, ils repartirent le long de la rive, vers le village de La Frette.
Tout à coup il demanda:
—Comment vous appelez-vous?
—Louise.
Il répéta: Louise; et il ne dit plus rien.
La rivière, décrivant une longue courbe, allait baigner au loin une rangée de maisons blanches qui se miraient dans l'eau, la tête en bas. La jeune fille cueillait des marguerites, faisait une grosse gerbe champêtre, et lui, il chantait à pleine bouche, gris comme un jeune cheval qu'on vient de mettre à l'herbe.
À leur gauche, un coteau planté de vignes suivait la rivière. Mais François soudain s'arrêta et demeurant immobile d'étonnement:
—Oh! regardez, dit-il.
Les vignes avaient cessé, et toute la côte maintenant était couverte de lilas en fleurs. C'était un bois violet! une sorte de grand tapis étendu sur la terre, allant jusqu'au village, là-bas, à deux ou trois kilomètres.
Elle restait aussi saisie, émue. Elle murmura:
—Oh! que c'est joli!
Et, traversant un champ, ils allèrent, en courant, vers cette étrange colline, qui fournit, chaque année, tous les lilas traînés à travers Paris, dans les petites voitures des marchandes ambulantes.
Un étroit sentier se perdait sous les arbustes. Ils le prirent et, ayant rencontré une petite clairière, ils s'assirent.
Des légions de mouches bourdonnaient au-dessus d'eux, jetaient dans l'air un ronflement doux et continu. Et le soleil, le grand soleil d'un jour sans brise, s'abattait sur le long coteau épanoui, faisait sortir de ce bois de bouquets un arôme puissant, un immense souffle de parfums, cette sueur des fleurs.
Une cloche d'église sonnait au loin.
Et, tout doucement, ils s'embrassèrent, puis s'étreignirent, étendus sur l'herbe, sans conscience de rien que de leur baiser. Elle avait fermé les yeux et le tenait à pleins bras, le serrant éperdument, sans une pensée, la raison perdue, engourdie de la tête aux pieds dans une attente passionnée. Et elle se donna tout entière sans savoir ce qu'elle faisait, sans comprendre même qu'elle s'était livrée à lui.
Elle se réveilla dans l'affolement des grands malheurs et elle se mit à pleurer, gémissant de douleur, la figure cachée sous ses mains.
Il essayait de la consoler. Mais elle voulut repartir, revenir, rentrer tout de suite. Elle répétait sans cesse, en marchant à grands pas:
—Mon Dieu! mon Dieu!
Il lui disait:
—Louise! Louise! restons, je vous en prie.
Elle avait maintenant les pommettes rouges et les yeux caves. Dès qu'ils furent dans la gare de Paris, elle le quitta sans même lui dire adieu.
Quand il la rencontra, le lendemain, dans l'omnibus, elle lui parut changée, amaigrie. Elle lui dit:
—Il faut que je vous parle; nous allons descendre au boulevard.
Dès qu'ils furent seuls, sur le trottoir:
—Il faut nous dire adieu, dit-elle. Je ne peux pas vous revoir après ce qui s'est passé.
Il balbutia:
—Mais, pourquoi?
—Parce que je ne peux pas. J'ai été coupable. Je ne le serai plus.
Alors il l'implora, la supplia, torturé de désirs, affolé du besoin de l'avoir tout entière, dans l'abandon absolu des nuits d'amour.
Elle répondait obstinément:
—Non, je ne peux pas. Non, je ne peux pas.
Mais il s'animait, s'excitait davantage. Il promit de l'épouser. Elle dit encore:
—Non.
Et le quitta.
Pendant huit jours, il ne la vit pas. Il ne la put rencontrer, et, comme il ne savait point son adresse, il la croyait perdue pour toujours.
Le neuvième, au soir, on sonna chez lui. Il alla ouvrir. C'était elle. Elle se jeta dans ses bras, et ne résista plus.
Pendant trois mois, elle fut sa maîtresse. Il commençait à se lasser d'elle, quand elle lui apprit qu'elle était grosse. Alors, il n'eut plus qu'une idée en tête: rompre à tout prix.
Comme il n'y pouvait parvenir, ne sachant s'y prendre, ne sachant que dire, affolé d'inquiétudes, avec la peur de cet enfant qui grandissait, il prit un parti suprême. Il déménagea, une nuit, et disparut.
Le coup fut si rude qu'elle ne chercha pas celui qui l'avait ainsi abandonnée. Elle se jeta aux genoux de sa mère en lui confessant son malheur; et,