Un Misanthrope à la Cour de Louis XIV: Montausier, sa vie et son temps. Amédée Roux
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Amédée Roux
Un Misanthrope à la Cour de Louis XIV: Montausier, sa vie et son temps
Publié par Good Press, 2020
EAN 4064066080181
Table des matières
I. Anecdotes sur le duc de Montausier.
III. Déclaration du marquis de Montausier au sujet de sa conversion.
IV. Épître de M. le Prince à M me de Montausier.
VI. Apologie du duc de Montausier.
VII. Fragment du Livre des Maximes chrétiennes et politiques.
VIII. Extrait des Mémoires de Jean Rou.
IX. Lettres inédites du duc de Montausier.
AVANT-PROPOS.
Au moment de présenter au public une nouvelle étude sur le XVIIe siècle, j'éprouve le besoin d'expliquer mon dessein, et de justifier ce qui dans le titre même de cet ouvrage pourrait paraître ambitieux ou inexact. Il semble exorbitant sans doute, de faire d'un personnage qui ne s'appelait ni Richelieu ni Louis XIV le point central où viennent converger les événements d'une époque immortelle, et cependant, plus j'ai étudié la vie du duc de Montausier, plus elle m'est apparue comme une magnifique synthèse du grand siècle pris dans son ensemble, et considéré sous ses aspects les plus saillants: la guerre de Trente ans, la Fronde, l'épanouissement littéraire et la persécution religieuse.
Soldat à dix-huit ans, maréchal de camp dix ans plus tard, Montausier prit part à tous les combats qui ont signalé cette époque agitée de notre histoire depuis le siége de Casal jusqu'à la conquête de la Franche-Comté et, mérite plus rare, resta toujours fidèle à son prince au sein des tempêtes civiles, alors peut-être qu'il eût dépendu de lui seul de transformer la vieille monarchie française en république aristocratique [1].
Si maintenant, quittant le champ de bataille, bruyant théâtre où par sa valeur indomptable il étonnait des juges tels que Rantzau, Weymar, Bussy, Turenne et Condé, nous suivons le duc dans sa studieuse retraite de l'Angoumois ou dans le salon bleu de l'hôtel de Rambouillet, le spectacle change sans devenir moins curieux ou moins intéressant. Montausier se présente aux regards de la postérité escorté de ces écrivains célèbres qui furent ses protégés ou ses amis: Balzac, Chapelain, Conrart, Gombauld, Ménage, Godeau, au milieu desquels ressort la physionomie sympathique de Madelaine de Scudéry. Poëte lui-même à ses heures, et trop modeste pour livrer à la publicité des œuvres indignes de voir le jour, il n'use de sa qualité d'homme de lettres que pour traiter ses confrères sur le pied de l'égalité, sauf à leur prouver en secret par une assistance délicate et généreuse, la distance immense qu'établissait entre eux l'inégalité de la fortune plus encore que celle du rang.
Lorsqu'on arrive enfin à ces jours néfastes où l'on vit le souverain refuser à une partie de son peuple la liberté de la pensée et celle de la prière, c'est encore chez le vieux Montausier, converti pourtant depuis près d'un demi-siècle, qu'il faut aller chercher un reste de tolérance pour ces huguenots persécutés [2], que la force contraignait d'aller apporter à l'étranger un riche contingent de cœurs intrépides et d'intelligences supérieures, dont le noble héritage s'est perpétué sans interruption parmi les descendants des bannis de 1685.
En la considérant à ces divers points de vue, il était possible de trouver dans la vie de Montausier un sujet d'études intéressantes et neuves, car le seul côté de ce caractère qui ait été convenablement apprécié, c'est celui que rappelle un type bien connu du théâtre de Goldoni: le Bourru bienfaisant. Cet homme dont les mœurs austères et la rude franchise contrastaient vivement avec la duplicité et les basses inclinations des courtisans du grand roi; cet homme que Molière dans le Misanthrope a peint au naturel et qui se reconnaissait avec plaisir sous le masque d'Alceste, cet homme, dis-je, sut en effet se faire une place à part au sein d'un monde corrompu, et digne gendre d'Arthénice, parvint à élever entre lui et ses contemporains comme une barrière toute hérissée de vertu, et qui, après deux cents ans, semble encore tenir en respect les innombrables érudits qu'on a vus de nos jours tirer de l'oubli les personnages les plus effacés, pour ne pas dire les moins estimables du siècle de Louis XIV.
Montausier jusqu'ici n'a donc été l'objet que d'éloges déclamatoires tels que ceux de Lacretelle et de Garat, que l'Académie française couronnait vers la fin du règne de Louis XVI, et le sujet de deux biographies fort courtes: celle du Père Petit, qui est assez répandue, et celle de Puget de Saint-Pierre, laquelle imprimée à Genève en 1784, est devenue presque introuvable [3]. C'est en conséquence l'œuvre du Père Nicolas Petit qui seule est en possession d'être citée et consultée, et c'est sur elle uniquement que porteront les quelques observations que j'ai à présenter sur les travaux de mes devanciers.
Cette biographie ou plutôt ce panégyrique, qui ne fut publié qu'en 1729, paraît avoir été composé de 1690 à 1695 [4], c'est-à-dire peu de temps après la mort du duc de Montausier et sur les mémoires que la duchesse d'Uzès, sa fille, avait confiés à l'estimable jésuite. C'est à cette circonstance que l'œuvre du Père Petit doit une partie de son mérite, mais aussi la plus grande partie de ses défauts, vu l'intérêt immense que la famille d'Uzès avait à altérer ou du moins à dissimuler la vérité au sujet de certains faits fâcheux, tels que les brouilleries de Montausier et de son gendre et l'imprudente conduite de Julie d'Angennes lorsqu'elle eut accepté la délicate succession de Mme de Navailles. Les mémoires que la duchesse d'Uzès avait fournis au panégyriste de sa famille étaient d'ailleurs, ainsi qu'il l'avoue lui-même, «peu exacts pour les circonstances et les dates,» et si, comme il l'assure, il a cherché à y mettre de l'ordre en les confrontant avec d'autres témoignages dignes de foi, il faut convenir qu'il n'a pas été heureux dans cette tentative, bien différent en cela d'un autre membre de la compagnie de Jésus, le Père Griffet, dont les ouvrages sont enfin sortis de l'oubli où