Cara. Hector Malot

Cara - Hector Malot


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venait-elle?

      Ce furent les questions qu'ils agitèrent avec leurs amis et particulièrement avec le plus intime, un commerçant nommé Byasson, mais sans leur trouver une réponse satisfaisante, chacun ayant un avis différent.

      Ils s'arrêtèrent donc à cette idée, que les choses changeraient si, comme l'avait soutenu leur ami Byasson, on donnait à Léon un rôle plus important dans la direction de la maison, plus d'initiative, plus de responsabilité, et pour en arriver à cela, ils décidèrent de s'éloigner de Paris pendant quelque temps.

      Depuis plusieurs années, les médecins conseillaient à M. Haupois d'aller faire une saison aux eaux de Balaruc, dans l'Hérault. Il avait toujours résisté aux médecins. Il céda. La femme accompagna le mari.

      Léon, resté seul maître de la maison, serait bien forcé de prendre l'habitude de diriger tout et de commander à tous; même aux vieux employés, qui jusqu'à ce jour l'avaient traité un peu en petit garçon.

      Cependant il ne dirigea rien et ne commanda à personne, ni aux jeunes ni aux vieux employés.

       Table des matières

      Le départ de son père et de sa mère lui avait imposé une obligation qu'il avait dû accepter, si désagréable qu'elle fût: c'était d'abandonner son appartement de la rue de Rivoli pour coucher rue Royale.

      Lorsque le dernier des Daguillon, qui était le père de madame Haupois, avait quitté le quartier du Louvre, où sa maison avait été fondée, pour la transférer rue Royale, il avait installé son appartement à côté de ses magasins; mais plus tard lorsque, sous la direction de M. Haupois, les affaires de la maison s'étaient développées et avaient atteint leur apogée, il avait fallu prendre cet appartement pour le transformer en salons d'exposition, en bureaux, en magasins. De ce qui jusqu'à ce jour avait servi à l'habitation particulière on n'avait conservé qu'une chambre avec une cuisine. Et pour loger la famille on avait dû louer un appartement rue de Rivoli, entre la rue de Luxembourg et la rue Saint-Florentin. C'était là que les enfants avaient grandi, en bon air, au soleil, les yeux égayés par la verdure des Tuileries. Mais cet appartement confortable, madame Haupois-Daguillon ne l'avait guère habité, car obligée de rester rue Royale, où l'oeil du maître était nécessaire, elle avait conservé sa chambre auprès de ses magasins, la première levée, la dernière couchée, ne vivant de la vie de famille que le dimanche seulement.

      Tant que durerait l'absence de ses parents, Léon devait habiter cette chambre, remplacer ainsi sa mère, et comme elle faire bonne garde sur toutes choses.

      Mais pour coucher rue Royale Léon ne s'était pas trouvé obligé à s'occuper plus attentivement des affaires de la maison: il avait rempli le rôle de gardien, voilà tout, et encore en dormant sur les deux oreilles.

      Pour le reste, il avait laissé les choses suivre leur cours, et quand le vieux caissier, le vénérable Savourdin, bonhomme à lunettes d'or et à cravate blanche le priait chaque soir de vérifier la caisse, il s'acquittait de cette besogne avec une nonchalance véritablement inexplicable. Quelle différence entre la mère et le fils! et le bonhomme Savourdin, qui avait des lettres, s'écriait de temps en temps: O tempora, o mores! en se demandant avec angoisse à quels abîmes courait la société.

      Il y avait déjà douze jours que M. et madame Haupois-Daguillon étaient partis pour les eaux de Balaruc, lorsqu'un jeudi matin, en classant le courrier que le facteur venait d'apporter, le bonhomme Savourdin trouva une lettre adressée à M. Léon Haupois, avec la mention «personnelle et pressée» écrite au haut de sa large enveloppe.

      Aussitôt il appela un garçon de bureau:

      —Portez cette lettre à M. Léon.

      —M. Léon n'est pas levé.

      —Eh bien, remettez-la à son domestique en lui faisant remarquer qu'elle est pressée.

      —Ce ne sera pas une raison pour que M. Joseph prenne sur lui d'éveiller son maître.

      —Vous lui direz, ajouta le caissier en haussant doucement les épaules par un geste de pitié, que ce n'est pas une lettre d'affaires; l'écriture de l'adresse est de la main de M. Armand Haupois, l'oncle de M. Léon, et le timbre est celui de Lion-sur-Mer, village auprès duquel M. l'avocat général habite ordinairement avec sa fille pendant les vacances pour prendre les bains. Cela décidera sans doute Joseph, ou comme vous dites «M. Joseph», à réveiller son maître.

      Le garçon de bureau prit la lettre et, secouant la tête en homme bien convaincu qu'on lui fait faire une course inutile, il sortit du magasin et alla frapper à une petite porte bâtarde,—celle de la cuisine,—qui ouvrait directement sur l'escalier.

      Une voix lui ayant répondu de l'intérieur, il entra: deux hommes se trouvaient dans cette cuisine; l'un d'eux, en veste de velours bleu, évidemment un commissionnaire, était en train de cirer des bottines; l'autre, en gilet à manches, assis sur deux chaises, les pieds en l'air, était occupé à lire le journal.

      —Tiens! monsieur Pierre, dit ce dernier en abandonnant sa lecture.

      —Moi-même, monsieur Joseph, qui me fais le plaisir de vous apporter une lettre pour M. Léon.

      —Monsieur n'est pas éveillé.

      Et comme le commissionnaire qui cirait les bottines avait ralenti le mouvement de son bras droit:

      —Frottez donc, père Manhac; vous avez déjà batté les vêtements tout à l'heure, n'ayez pas peur d'appuyer sur le cuir, vous savez: ce n'est pas monsieur qui paye, c'est moi, donnez-m'en pour mon argent.

      Puis se tournant vers le garçon de bureau:

      —Ma parole d'honneur, c'est agaçant de ne pouvoir pas avoir une minute de tranquillité; si vous vous relâchez de votre surveillance, rien ne va plus.

      Pendant cette observation faite d'un ton rogue, le père Manhac avait achevé de cirer les bottines; les ayant posées délicatement sur une table, il sortit le dos tendu en homme qui trouve plus sage de fuir les observations que de les affronter.

      —Ne portez-vous pas ma lettre à M. Léon? demanda le garçon de bureau.

      —Non, bien sûr.

      —Ce n'est pas une lettre d'affaires.

      —Quand même ce serait une lettre d'amour, je ne le réveillerais pas.

      —C'est une lettre de famille, le bonhomme Savourdin a reconnu l'écriture; il dit qu'elle est de M. Armand Haupois, l'avocat général de Rouen, l'oncle de M. Léon; ce qui est assez étonnant, car les deux frères ne se voient plus; mais ils veulent peut-être se réconcilier; M. Armand Haupois a une fille très jolie, mademoiselle Madeleine, que M. Léon aimait beaucoup.

      —Elle n'a pas le sou, votre fille très-jolie; cela m'est donc bien égal que M. Léon l'ait aimée, car l'héritier de la maison Haupois-Daguillon n'épousera jamais une femme pauvre; je suis tranquille de ce côté, les parents feront bonne garde, ils ont d'autres idées, que je partage d'ailleurs jusqu'à un certain point.

      —Oh! alors....

      —Est-ce que vous vous imaginez, mon cher, qu'un homme comme moi aurait accepté M. Léon Haupois si j'avais admis la probabilité, la possibilité d'un mariage prochain? Allons donc! Ce qu'il me faut, c'est un garçon qui mène la vie de garçon; c'est une règle de conduite. Voilà pourquoi je suis entré chez M. Léon; c'était un fils de bourgeois enrichi et je m'étais imaginé qu'il irait bien: mais il m'a trompé.

      —Il ne va donc pas?

      Joseph haussa les épaules.

      —Pas de femmes, hein? insista le garçon de bureau en clignant de l'oeil.

      —Mon cher, les hommes ne sont pas ruinés


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