Les enfants des bois. Майн Рид
Von Bloom amenèrent d'heureux résultats. Vous en jugerez par vous-même, cher lecteur, quand je vous aurai raconté les aventures du trek-boor et de sa famille.
CHAPITRE II.
LE KRAAL
L'ancien porte-drapeau était assis devant son kraal; fumeur comme tous les fermiers de l'Afrique méridionale, il tenait entre ses lèvres le long tuyau d'une pipe en écume de mer. Malgré les traverses de sa vie passée, ses traits exprimaient la joie. Il contemplait avec complaisance les grains de maïs qui étaient en lait dans leurs cornets jaunissants; il prêtait l'oreille au frôlement des feuilles qu'agitait la brise. Mais ce qui réjouissait surtout le fermier, c'était la vue de ses beaux enfants.
Hans, l'aîné, d'un caractère ferme et tranquille, travaillait au jardin; Jan, plus vif et plus alerte, aidait son frère, mais en s'interrompant souvent dans sa tâche. L'impétueux Hendrik, aux cheveux bouclés, pansait les chevaux. La jolie Gertrude prodiguait ses soins à un jeune faon d'antilope à bourse ou antilope-springbok apprivoisé, dont les yeux rivalisaient avec les siens en innocence et en douceur. C'était avec raison que Von Bloom se félicitait en portant ses regards des uns aux autres. Hans et Hendrik étaient en réalité les seuls coadjuteurs de leur père, qui n'avait qu'un seul domestique mâle, nommé Swartboy.
Pénétrez dans l'écurie et vous verrez Swartboy occupé avec son jeune maître Hendrik à seller deux chevaux. Vous remarquerez que Swartboy paraît âgé d'environ trente ans; mais si vous voulez le juger à la taille, vous ne lui trouverez guère plus de quatre pieds de haut. Néanmoins il est d'une large carrure et solidement bâti. Il a le teint jaunâtre, le nez est plat et enfoncé entre des pommettes saillantes, les lèvres épaisses, les narines larges et le menton imberbe. Il est presque chauve, car on ne peut donner la qualification de cheveux aux mèches laineuses éparses sur son crâne. Ses yeux obliques ont une expression chinoise; il a la tête d'une largeur démesurée et les oreilles à l'avenant; enfin, tous les caractères qui distinguent les Hottentots du sud de l'Afrique.
Cependant, quoique appartenant à cette race, Swartboy n'est pas un Hottentot: c'est un Bosjesman.
La peuplade des Bosjesmans ou Boschimen (hommes des bois) a été ainsi nommée par les Hollandais. Elle n'élève pas de troupeaux comme les Hottentots, auxquels elle est inférieure, quoiqu'elle ait avec eux une origine commune. Les Bosjesmans ne cultivent pas la terre; ils vivent misérablement de gibier et de fruits sauvages, de racines de graminées, de vers ou de larves d'insectes. Ils se donnent le nom de Saab. Les hommes vont entièrement nus; les femmes portent une espèce de tablier en peau grossièrement découpée.
Comment Swartboy le Bosjesman est-il entré au service de Von Bloom? Vous allez le savoir.
Les sauvages de l'Afrique méridionale ont la cruelle habitude d'abandonner dans le désert leurs vieillards, leurs infirmes, et souvent même les malades et les blessés. Les enfants n'hésitent pas à laisser leur père sans secours au milieu d'affreuses solitudes, et c'est à peine si l'on consent à donner aux blessés qui restent en arrière une tasse d'eau et des vivres pour un jour. Swartboy le Bosjesman avait été victime de cet usage barbare. Dans une partie de chasse qu'il faisait avec ses parents, il avait été grièvement mutilé par un lion. Ses camarades, le croyant perdu, l'avaient abandonné sur la plaine, où il aurait infailliblement péri sans l'assistance de notre porte-drapeau; celui-ci le rencontra, le plaça sur une charrette et le transporta dans son camp.
Quoique la reconnaissance ne soit pas la vertu particulière aux Bosjesmans, Swartboy n'oublia pas les services de l'homme qui avait pansé ses blessures. Quand tous les autres serviteurs avaient disparu, il était resté fidèle à son maître, et depuis cette époque il s'était rendu constamment utile. C'était, comme nous l'avons dit, le seul domestique mâle de la maison; mais il avait pour compagne une Hottentote du nom de Totty, qui lui ressemblait de taille, de couleur et de proportions.
Dès que Swartboy et le jeune Hendrik eurent achevé de seller leurs chevaux, ils les montèrent et galopèrent à travers la plaine, suivis de chiens aux muscles solides et à l'air rébarbatif. Ils se proposaient de ramener au logis les bœufs et les chevaux, qui paissaient assez loin du kraal. Ils avaient l'habitude de les faire rentrer tous les soirs à la même heure: précaution indispensable dans l'Afrique méridionale, où les animaux domestiques sont exposés à être dévorés pendant la nuit. Afin de les préserver, on les enferme tous les soirs dans des enclos entourés de hautes murailles, que l'on nomme kraals. Ce mot, qui n'appartient pas à la langue du pays, paraît avoir été introduit en Afrique par les Portugais; il a la même signification que le mot espagnol corral.
Ces kraals sont pour le fermier des constructions presque aussi importantes que sa propre habitation, que l'on désigne sous le même nom. Pendant que Hendrik et Swartboy couraient à la recherche des chevaux et des bestiaux, Hans, accompagné de son petit frère, rassemblait les moutons qui broutaient d'un autre côté, plus près de la maison. Gertrude, après avoir attaché son antilope à un pieu, était rentrée et préparait le souper avec le concours de Totty.
Resté seul, Von Bloom fumait tranquillement sa pipe, heureux du zèle de sa famille. Quoique satisfait de tous ses enfants, il faut avouer qu'il avait une certaine prédilection pour l'impétueux Hendrik qui portait le même prénom que lui, et qui lui rappelait plus que ses frères les beaux jours de sa jeunesse. Il était fier de la manière dont le jeune homme montait à cheval et ses yeux le suivaient dans la plaine. Au moment où il l'avait vu rejoindre le bétail, son attention fut attirée par une espèce de brume ou de fumée noirâtre qui s'élevait à l'horizon. Etait-ce un nuage de poussière? Avait-on mis le feu aux broussailles? Le sable était-il soulevé par le passage d'un troupeau d'antilopes ou de gazelles? Voilà ce que se demandait Von Bloom, sans pouvoir arriver à une solution.
L'étrange phénomène se montrait à l'ouest, et obscurcissait le soleil couchant. Il subissait des métamorphoses diverses, ressemblant tantôt à de la poussière, tantôt à la fumée d'un vaste incendie. Von Bloom se demandait si ce nuage extraordinaire présageait un ouragan ou un tremblement de terre, et il concevait de justes alarmes.
Tout à coup cette masse noire, qui s'était nuancée de teintes rougeâtres, enveloppa les bestiaux dans la plaine, et on les vit se disperser en désordre, sous l'influence d'une terreur panique. Les deux cavaliers disparurent au milieu des ombres, et Von Bloom, plein d'anxiété, se leva en poussant un cri.
A ce cri, Gertrude et Totty accoururent ainsi que Hans et Jan qui venaient de ramener les moutons et les chèvres; tous virent le singulier phénomène, mais sans pouvoir en donner l'explication.
Cependant les deux cavaliers se détachèrent du nuage et vinrent au grand galop du côté de la maison. Ils en étaient encore loin lorsqu'on entendit Swartboy crier d'une voix tonnante.
—Baas Von Bloom, voici les springaan!
CHAPITRE III.
LES SAUTERELLES
—Ah! les springaan, dit Von Bloom en employant le mot hollandais qui désigne les criquets émigrants.
Le mystère était expliqué; le sombre nuage qui s'étendait sur la plaine n'était ni plus ni moins qu'un vol de sauterelles.
C'était un spectacle que n'avait vu jusqu'alors aucun des assistants, à l'exception de Swartboy. Il y a dans le sud de l'Afrique diverses espèces de sauterelles, locustes ou criquets, mais ceux qui voyagent, et que les naturalistes nomment grylli devastatorii, y sont assez rares, et il n'est pas donné à tout le monde d'être témoin d'une de leurs grandes émigrations.
Swartboy connaissait