LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
l’avez pas vu sortir ?
– Pour ça, non. Il n’est pas sorti ce matin.
M. Lenormand se retourna vers le commissaire de police :
– Combien avez-vous d’hommes, monsieur le commissaire ?
– Quatre.
– Ce n’est pas suffisant. Téléphonez à votre secrétaire qu’il vous expédie tous les hommes disponibles. Et veuillez organiser vous-même la surveillance la plus étroite à toutes les issues. L’état de siège, monsieur le commissaire…
– Mais enfin, protesta le directeur, mes clients…
– Je me fiche de vos clients, monsieur. Mon devoir passe avant tout et mon devoir est d’arrêter, coûte que coûte…
– Vous croyez donc ? hasarda le juge d’instruction.
– Je ne crois pas, monsieur… je suis sûr que l’auteur du double assassinat se trouve encore dans l’hôtel.
– Mais alors, Chapman…
– À l’heure qu’il est, je ne puis répondre que Chapman soit encore vivant. En tout cas, c’est une question de minutes, de secondes… Gourel, prends deux hommes et fouille toutes les chambres du quatrième étage… Monsieur le Directeur, un de vos employés les accompagnera. Pour les autres étages, je marcherai quand nous aurons du renfort. Allons, Gourel, en chasse, et ouvre l’œil… C’est du gros gibier.
Gourel et ses hommes se hâtèrent. M. Lenormand, lui, resta dans le hall et près des bureaux de l’hôtel. Cette fois, il ne pensait pas à s’asseoir, selon son habitude. Il marchait de l’entrée principale à l’entrée de la rue Orvieto, et revenait à son point de départ.
De temps à autre, il ordonnait :
– Monsieur le Directeur, qu’on surveille les cuisines, on pourrait s’échapper par là… Monsieur le Directeur, dites à votre demoiselle de téléphone qu’elle n’accorde la communication à aucune des personnes de l’hôtel qui voudraient téléphoner avec la ville. Si on lui téléphone de la ville, qu’elle mette en communication avec la personne demandée, mais alors qu’elle prenne note du nom de la personne. Monsieur le Directeur, faites dresser la liste de vos clients dont le nom commence par un L ou par un M.
Il disait tout cela à haute voix, en général d’armée qui jette à ses lieutenants des ordres dont dépendra l’issue de la bataille.
Et c’était vraiment une bataille implacable et terrible que celle qui se jouait dans le cadre élégant d’un palace parisien, entre le puissant personnage qu’est un chef de la Sûreté et ce mystérieux individu poursuivi, traqué, presque captif déjà, mais si formidable de ruse et de sauvagerie.
L’angoisse étreignait les spectateurs, tous groupés au centre du hall, silencieux et pantelants, secoués de peur au moindre bruit, obsédés par l’image infernale de l’assassin. Où se cachait-il ? Allait-il apparaître ? N’était-il point parmi eux ? Celui-ci peut-être ? Ou cet autre ?
Les nerfs étaient si tendus que, sous un coup de révolte, on eût forcé les portes et gagné la rue, si le maître n’avait pas été là, et sa présence avait quelque chose qui rassurait et qui calmait. On se sentait en sécurité, comme des passagers sur un navire que dirige un bon capitaine.
Et tous les regards se portaient vers ce vieux monsieur à lunettes et à cheveux gris, à redingote olive et à foulard marron, qui se promenait, le dos voûté, les jambes vacillantes.
Parfois accourait, envoyé par Gourel, un des garçons qui suivaient l’enquête du brigadier.
– Du nouveau ? demandait M. Lenormand.
– Rien, monsieur, on ne trouve rien.
À deux reprises, le directeur essaya de faire fléchir la consigne. La situation était intolérable. Dans les bureaux, plusieurs voyageurs, appelés par leurs affaires ou sur le point de partir, protestaient.
– Je m’en fiche, répétait M. Lenormand.
– Mais je les connais tous.
– Tant mieux pour vous.
– Vous outrepassez vos droits.
– Je le sais.
– On vous donnera tort.
– J’en suis persuadé.
– M. le juge d’instruction lui-même.
– Que M. Formerie me laisse tranquille ! Il n’a pas mieux à faire que d’interroger les domestiques comme il s’y emploie actuellement. Pour le reste, ce n’est pas de l’instruction. C’est de la police. Ça me regarde.
À ce moment une escouade d’agents fit irruption dans l’hôtel. Le chef de la Sûreté les répartit en plusieurs groupes qu’il envoya au troisième étage, puis, s’adressant au commissaire :
– Mon cher commissaire, je vous laisse la surveillance. Pas de faiblesse, je vous en conjure. Je prends la responsabilité de ce qui surviendra.
Et, se dirigeant vers l’ascenseur, il se fit conduire au second étage.
La besogne n’était pas facile. Elle fut longue, car il fallait ouvrir les portes des soixante chambres, inspecter toutes les salles de bains, toutes les alcôves, tous les placards, tous les recoins. Elle fut aussi infructueuse. Une heure après, sur le coup de midi, M. Lenormand avait tout juste fini le second étage, les autres agents n’avaient pas terminé les étages supérieurs, et nulle découverte n’avait été faite.
M. Lenormand hésita : l’assassin était-il remonté vers les mansardes ?
Il se décidait cependant à descendre, quand on l’avertit que Mme Kesselbach venait d’arriver avec sa demoiselle de compagnie. Edwards, le vieux serviteur de confiance, avait accepté la tâche de lui apprendre la mort de M. Kesselbach.
M. Lenormand la trouva dans un des salons, terrassée, sans larmes, mais le visage tordu de douleur et le corps tout tremblant, comme agité par des frissons de fièvre.
C’était une femme assez grande, brune, dont les yeux noirs, d’une grande beauté, étaient chargés d’or, de petits points d’or, pareils à des paillettes qui brillent dans l’ombre. Son mari l’avait connue en Hollande où Dolorès était née d’une vieille famille d’origine espagnole : les Amonti.
Tout de suite il l’avait aimée, et, depuis quatre ans, leur accord, fait de tendresse et de dévouement, ne s’était jamais démenti. M. Lenormand se présenta. Elle le regarda sans répondre et il se tut, car elle n’avait pas l’air, dans sa stupeur, de comprendre ce qu’il disait. Puis, tout à coup, elle se mit à pleurer abondamment et demanda qu’on la conduisît auprès de son mari.
Dans le hall, M. Lenormand trouva Gourel, qui le cherchait, et qui lui tendit précipitamment un chapeau qu’il tenait à la main.
– Patron, j’ai ramassé ça… Pas d’erreur sur la provenance, hein ?
C’était un chapeau mou, un feutre noir. À l’intérieur, il n’y avait pas de coiffe, pas d’étiquette.
– Où l’as-tu ramassé ?
– Sur le palier de l’escalier de service, au second.
– Aux autres étages, rien ?
– Rien. Nous avons tout fouillé. Il n’y a plus que le premier. Et ce chapeau prouve que l’homme est descendu jusque-là. Nous brûlons, patron.
– Je le crois.
Au bas de l’escalier, M. Lenormand s’arrêta.
– Rejoins le commissaire et donne-lui la consigne : deux hommes au bas de chacun des quatre escaliers, revolver au poing. Et qu’on tire