LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
pas.
Elle tourna les yeux vers lui, l’observa, et, comme si elle n’eût pu se soustraire à cette volonté adverse, elle articula :
– Que savez-vous au juste ? Que savez-vous de moi ?
– J’ignore bien des choses. J’ignore votre nom : mais je sais…
Elle l’interrompit d’un geste et, avec une décision brusque, dominant à son tour celui qui l’obligeait à parler :
– Inutile, s’écria-t-elle, ce que vous pouvez savoir, après tout, est peu de chose, et n’a aucune importance. Mais quels sont vos projets, à vous ? Vous m’offrez votre concours… en vue de quoi ? Si vous vous êtes jeté à corps perdu dans cette affaire, si je n’ai rien pu entreprendre sans vous rencontrer sur mon chemin, c’est que vous voulez atteindre un but… Lequel ?
– Lequel ? Mon Dieu, il me semble que ma conduite…
– Non, fit-elle énergiquement, pas de mots. Il faut entre nous des certitudes, et, pour y arriver, une franchise absolue. Je vais vous donner l’exemple. M. Daubrecq possède un objet d’une valeur inouïe, non par lui-même, mais par ce qu’il représente. Cet objet, vous le connaissez. Deux fois, vous l’avez eu en mains. Deux fois je vous l’ai repris. Eh bien, je suis en droit de croire que si vous avez voulu vous l’approprier, c’est pour user du pouvoir que vous lui attribuez, et pour en user à votre bénéfice…
– Comment cela ?
– Oui, pour en user selon vos desseins, dans l’intérêt de vos affaires personnelles, conformément à vos habitudes de…
– De cambrioleur et d’escroc, acheva Lupin.
Elle ne protesta pas. Il tâcha de lire, au fond de ses yeux, sa pensée secrète. Que voulait-elle de lui ? Que craignait-elle ? Si elle se méfiait, ne pouvait-il, lui aussi, se méfier de cette femme qui, deux fois, lui avait repris le bouchon de cristal pour le rendre à Daubrecq ? Si mortellement ennemie qu’elle fût de Daubrecq, jusqu’à quel point demeurait-elle soumise à la volonté de cet homme ? En se livrant à elle, ne risquait-on pas de se livrer à Daubrecq ?… Cependant, il n’avait jamais contemplé des yeux plus graves et un visage plus sincère.
Sans plus hésiter il déclara :
– Mon but est simple : la délivrance de Gilbert et Vaucheray.
– Est-ce vrai ?… Est-ce vrai ?… cria-t-elle, toute frémissante, et en l’interrogeant d’un regard anxieux.
– Si vous me connaissiez…
– Je vous connais… Je sais qui vous êtes… Voilà des mois que je suis mêlée à votre vie, sans que vous le soupçonniez… et cependant, pour certaines raisons, je doute encore…
Il prononça plus fortement :
– Vous ne me connaissez pas. Si vous me connaissiez, vous sauriez qu’il ne peut y avoir de répit pour moi avant que mes deux compagnons… ou tout au moins Gilbert, car Vaucheray est une canaille… avant que Gilbert ait échappé au sort affreux qui l’attend.
Elle se précipita sur lui et le saisit aux épaules avec un véritable affolement :
– Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? Le sort affreux ?… Alors vous croyez… vous croyez…
– Je crois réellement, dit Lupin, qui sentit combien cette menace la bouleversait, je crois réellement que si je n’arrive pas à temps, Gilbert est perdu.
– Taisez-vous… taisez-vous… cria-t-elle en l’étreignant brutalement. Taisez-vous… je vous défends de dire cela… il n’y a aucune raison… C’est vous qui supposez…
– Ce n’est pas seulement moi, c’est aussi Gilbert…
Hein ? Gilbert ! Comment le savez-vous ?
– Par lui-même.
– Par lui ?
– Oui, par lui, il n’espère plus qu’en moi, par lui qui sait qu’un seul homme au monde peut le sauver, et qui m’a appelé désespérément, il y a quelques jours, du fond de sa prison. Voici sa lettre.
Elle saisit avidement le papier et lut en bégayant :
« Au secours, patron… je suis perdu… J’ai peur… au secours… »
Elle lâcha le papier. Ses mains s’agitèrent dans le vide. On eût dit que ses yeux hagards voyaient la sinistre vision qui, tant de fois déjà, avait épouvanté Lupin. Elle poussa un cri d’horreur, tenta de se lever et tomba évanouie.
5
Les vingt-sept
L’enfant dormait paisiblement sur le lit. La mère ne remuait pas de la chaise longue où Lupin l’avait étendue, mais sa respiration plus calme, le sang qui revenait à sa figure, annonçaient un réveil prochain.
Il remarqua qu’elle portait une alliance. Voyant un médaillon qui pendait au corsage, il s’inclina et aperçut, après l’avoir retourné, une photographie très réduite qui représentait un homme d’une quarantaine d’années et un enfant, un adolescent plutôt, en costume de collégien, dont il étudia le frais visage encadré de cheveux bouclés.
– C’est bien cela, dit-il… Ah ! La pauvre femme !
La main qu’il prit entre les siennes se réchauffait peu à peu. Les yeux s’ouvrirent, puis se refermèrent. Elle murmura :
– Jacques…
– Ne vous inquiétez pas… il dort… tout va bien.
Elle reprenait son entière connaissance. Mais, comme elle se taisait, Lupin lui posa des questions pour amener chez elle peu à peu le besoin de s’épancher. Et il lui dit en désignant le médaillon aux portraits :
– Le collégien, c’est Gilbert, n’est-ce pas ?
– Oui, dit-elle.
– Et Gilbert est votre fils ?
Elle eut un frisson et chuchota :
– Oui, Gilbert est mon fils, mon fils aîné.
Ainsi, elle était la mère de Gilbert, de Gilbert, le détenu de la Santé, accusé d’assassinat, et que la justice poursuivait avec tant d’âpreté !
Lupin continua :
– Et l’autre portrait ?
– C’est celui de mon mari.
– Votre mari ?
– Oui, il est mort voici trois ans.
Elle s’était assise. La vie tressaillait en elle, de nouveau, ainsi que l’effroi de vivre, et que l’effroi de toutes les choses terrifiantes qui la menaçaient. Lupin lui dit encore :
– Votre mari s’appelait ?
Elle hésita un moment et répondit :
– Mergy.
Il s’écria :
– Victorien Mergy, le député ?
– Oui.
Il y eut un long silence. Lupin n’avait pas oublié l’événement, et le bruit que cette mort avait fait. Trois ans auparavant, dans les couloirs de la Chambre, le député Mergy se brûlait la cervelle, sans laisser un mot d’explication, sans qu’on pût, par la suite, trouver à ce suicide la moindre raison.
– La raison, dit Lupin, achevant sa pensée à haute voix, vous ne l’ignorez pas ?
– Je ne l’ignore pas.
– Gilbert, peut-être