LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
armés, tous deux vraiment supérieurs et destinés fatalement par leurs aptitudes spéciales à se heurter comme deux forces égales que l’ordre des choses pousse l’une contre l’autre à travers l’espace.
Puis l’Anglais dit :
– Je vous remercie, monsieur.
– Tout à votre service, répondit Lupin.
Ils se quittèrent. Lupin se dirigea vers la station. Herlock Sholmès vers le château.
Le juge d’instruction et le procureur étaient partis après de vaines recherches et l’on attendait Herlock Sholmès avec une curiosité que justifiait sa grande réputation. On fut un peu déçu par son aspect de bon bourgeois, qui différait si profondément de l’image qu’on se faisait de lui. Il n’avait rien du héros de roman, du personnage énigmatique et diabolique qu’évoque en nous l’idée de Herlock Sholmès. Devanne, cependant, s’écria, plein d’exubérance :
– Enfin, Maître, c’est vous ! Quel bonheur ! Il y a si longtemps que j’espérais… Je suis presque heureux de tout ce qui s’est passé, puisque cela me vaut le plaisir de vous voir. Mais, à propos, comment êtes-vous venu ?
– Par le train.
– Quel dommage ! Je vous avais cependant envoyé mon automobile au débarcadère.
– Une arrivée officielle, n’est-ce pas ? Avec tambour et musique. Excellent moyen pour me faciliter la besogne, bougonna l’Anglais.
Ce ton peu engageant déconcerta Devanne qui, s’efforçant de plaisanter, reprit :
– La besogne, heureusement, est plus facile que je ne vous l’avais écrit.
– Et pourquoi ?
– Parce que le vol a eu lieu cette nuit.
– Si vous n’aviez pas annoncé ma visite, monsieur, il est probable que le vol n’aurait pas eu lieu cette nuit.
– Et quand donc ?
Demain, ou un autre jour.
– Et en ce cas ?
– Lupin eût été pris au piège.
– Et mes meubles ?
– N’auraient pas été enlevés.
– Mes meubles sont ici.
– Ici ?
– Ils ont été rapportés à trois heures.
– Par Lupin ?
– Par deux fourgons militaires.
Herlock Sholmès enfonça violemment son chapeau sur sa tête et rajusta son sac ; mais Devanne s’écria :
– Que faites-vous ?
– Je m’en vais.
– Et pourquoi ?
– Vos meubles sont là, Arsène Lupin est loin. Mon rôle est terminé.
– Mais j’ai absolument besoin de votre concours, cher monsieur. Ce qui s’est passé hier peut se renouveler demain, puisque nous ignorons le plus important : comment Arsène Lupin est entré, comment il est sorti, et pourquoi, quelques heures plus tard, il procédait à une restitution.
– Ah ! Vous ignorez…
L’idée d’un secret à découvrir adoucit Herlock Sholmès.
– Soit, cherchons. Mais vite, n’est-ce pas ? Et, autant que possible, seuls.
La phrase désignait clairement les assistants. Devanne comprit et introduisit l’Anglais dans le salon. D’un ton sec, en phrases qui semblaient comptées d’avance, et avec quelle parcimonie ! Sholmès lui posa des questions sur la soirée de la veille, sur les convives qui s’y trouvaient, sur les habitués du château. Puis il examina les deux volumes de la Chronique, compara les cartes du souterrain, se fit répéter les citations relevées par l’abbé Gélis, et demanda :
– C’est bien hier que, pour la première fois, vous avez parlé de ces deux citations ?
– Hier.
– Vous ne les aviez jamais communiquées à M. Horace Velmont ?
– Jamais.
– Bien. Commandez votre automobile. Je repars dans une heure.
– Dans une heure !
– Arsène Lupin n’a pas mis davantage à résoudre le problème que vous lui avez posé.
– Moi !… je lui ai posé…
– Eh ! Oui, Arsène Lupin et Velmont, c’est la même chose.
– Je m’en doutais… ah ! Le gredin !
– Or, hier soir, à dix heures, vous avez fourni à Lupin les éléments de vérité qui lui manquaient et qu’il cherchait depuis des semaines. Et, dans le courant de la nuit, Lupin a trouvé le temps de comprendre, de réunir sa bande et de vous dévaliser. J’ai la prétention d’être aussi expéditif.
Il se promena d’un bout à l’autre de la pièce en réfléchissant, puis s’assit, croisa ses longues jambes, et ferma les yeux.
Devanne attendit, assez embarrassé.
« Dort-il ? Réfléchit-il ? »
À tout hasard, il sortit pour donner des ordres. Quand il revint, il l’aperçut au bas de l’escalier de la galerie, à genoux, et scrutant le tapis.
– Qu’y a-t-il donc ?
– Regardez… là… ces taches de bougie…
– Tiens, en effet… et toutes fraîches…
– Et vous pouvez en observer également sur le haut de l’escalier, et davantage encore autour de cette vitrine qu’Arsène Lupin a fracturée, et dont il a enlevé les bibelots pour les déposer sur ce fauteuil.
– Et vous en concluez ?
– Rien. Tous ces faits expliqueraient sans aucun doute la restitution qu’il a opérée. Mais c’est un côté de la question que je n’ai pas le temps d’aborder. L’essentiel, c’est le tracé du souterrain.
– Vous espérez toujours…
– Je n’espère pas, je sais. Il existe, n’est-ce pas, une chapelle à deux ou trois cents mètres du château ?
– Une chapelle en ruines, où se trouve le tombeau du duc Rollon.
– Dites à votre chauffeur qu’il nous attende auprès de cette chapelle.
– Mon chauffeur n’est pas encore de retour… On doit me prévenir… Mais, d’après ce que je vois, vous estimez que le souterrain aboutit à la chapelle. Sur quel indice…
Herlock Sholmès l’interrompit :
– Je vous prierai, monsieur, de me procurer une échelle et une lanterne.
– Ah ! Vous avez besoin d’une lanterne et d’une échelle ?
– Apparemment, puisque je vous les demande.
Devanne, quelque peu interloqué, sonna. Les deux objets furent apportés.
Les ordres se succédèrent alors avec la rigueur et la précision des commandements militaires.
– Appliquez cette échelle contre la bibliothèque, à gauche du mot Thibermesnil…
Devanne dressa l’échelle et l’Anglais continua :
– Plus à gauche… à droite… Halte ! Montez… Bien… Toutes les lettres de ce mot sont en relief, n’est-ce pas ?
– Oui.
Occupons-nous de la lettre H. Tourne-t-elle dans un sens ou