LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
jours.
– Moi non plus.
– Ah les belles batailles !
– Superbes.
– À peine, çà et là, quelques petits ennuis…
– Bien petits.
– Et finalement, le triomphe sur toute la ligne. Lupin arrêté ! Le diamant bleu reconquis !
– Mon bras cassé.
– Quand il s’agit de pareilles satisfactions, qu’importe un bras cassé !
– Surtout le mien.
– Eh oui ! Rappelez-vous, Wilson, c’est au moment même où vous étiez chez le pharmacien, en train de souffrir comme un héros, que j’ai découvert le fil qui m’a conduit dans les ténèbres.
– Quelle heureuse chance !
Des portières se fermaient.
– En voiture, s’il vous plaît. Pressons-nous, Messieurs.
L’homme d’équipe escalada les marches d’un compartiment vide et disposa les valises dans le filet, tandis que Sholmès hissait l’infortuné Wilson.
– Mais qu’avez-vous, Wilson ? Vous n’en finissez pas !… Du nerf, vieux camarade…
– Ce n’est pas le nerf qui me manque.
– Mais quoi ?
– Je n’ai qu’une main de disponible.
– Et après ! s’exclama joyeusement Sholmès… en voilà des histoires. On croirait qu’il n’y a que vous dans cet état ! Et les manchots ? Les vrais manchots ? Allons, ça y est-il, ce n’est pas dommage.
Il tendit à l’homme d’équipe une pièce de cinquante centimes.
– Bien, mon ami. Voici pour vous.
– Merci, Monsieur Sholmès.
L’Anglais leva les yeux : Arsène Lupin.
– Vous !… vous ! balbutia-t-il, ahuri.
Et Wilson bégaya, en brandissant son unique main avec des gestes de quelqu’un qui démontre un fait :
– Vous ! Vous ! Mais vous êtes arrêté ! Sholmès me l’a dit. Quand il vous a quitté, Ganimard et ses trente agents vous entouraient…
Lupin croisa ses bras et, d’un air indigné :
– Alors vous avez supposé que je vous laisserais partir sans vous dire adieu ? Après les excellents rapports d’amitié que nous n’avons jamais cessé d’avoir les uns avec les autres ! Mais ce serait de la dernière incorrection. Pour qui me prenez-vous ?
Le train sifflait.
– Enfin, je vous pardonne… mais avez-vous ce qu’il vous faut ? Du tabac, des allumettes… oui… et les journaux du soir ? Vous y trouverez des détails sur mon arrestation, votre dernier exploit, maître. Et maintenant, au revoir, et enchanté d’avoir fait votre connaissance… enchanté vraiment !… Et si vous avez besoin de moi, je serai trop heureux…
Il sauta sur le quai et referma la portière.
– Adieu, fit-il encore, en agitant son mouchoir. Adieu… je vous écrirai… vous aussi, n’est-ce pas ? Et votre bras cassé, Monsieur Wilson ? J’attends de vos nouvelles à tous deux… une carte postale de temps à autre… comme adresse : Lupin, Paris… c’est suffisant… inutile d’affranchir… adieu… à bientôt…
Deuxième épisode
LA LAMPE JUIVE
1
Herlock Sholmès et Wilson étaient assis à droite et à gauche de la grande cheminée, les pieds allongés vers un confortable feu de coke.
La pipe de Sholmès, une courte bruyère à virole d’argent, s’éteignit. Il en vida les cendres, la bourra de nouveau, l’alluma, ramena sur ses genoux les pans de sa robe de chambre, et sortit de sa pipe de longues bouffées qu’il s’ingéniait à lancer au plafond en petits anneaux de fumée.
Wilson le regardait. Il le regardait, comme le chien couché en cercle sur le tapis du foyer regarde son maître, avec des yeux ronds, sans battements de paupières, des yeux qui n’ont d’autre espoir que de refléter le geste attendu. Le maître allait-il rompre le silence ? Allait-il lui révéler le secret de sa songerie actuelle et l’admettre dans le royaume de la méditation dont il semblait à Wilson que l’entrée lui était interdite ?
Sholmès se taisait.
Wilson risqua :
– Les temps sont calmes. Pas une affaire à nous mettre sous la dent.
Sholmès se tut de plus en plus violemment, mais ses anneaux de fumée étaient de mieux en mieux réussis, et tout autre que Wilson eût observé qu’il en tirait cette profonde satisfaction que nous donnent ces menus succès d’amour-propre, aux heures où le cerveau est complètement vide de pensées.
Wilson, découragé, se leva et s’approcha de la fenêtre.
La triste rue s’étendait entre les façades mornes des maisons, sous un ciel noir d’où tombait une pluie méchante et rageuse. Un cab passa, un autre cab. Wilson en inscrivit les numéros sur son calepin. Sait-on jamais ?
– Tiens, s’écria-t-il, le facteur.
L’homme entra, conduit par le domestique.
– Deux lettres recommandées, Monsieur… si vous voulez signer ?
Sholmès signa le registre, accompagna l’homme jusqu’à la porte et revint tout en décachetant l’une des lettres.
– Vous avez l’air tout heureux, nota Wilson au bout d’un instant.
– Cette lettre contient une proposition fort intéressante. Vous qui réclamiez une affaire, en voici une. Lisez…
Wilson lut :
« Monsieur,
« Je viens vous demander le secours de votre expérience. J’ai été victime d’un vol important, et les recherches effectuées jusqu’ici ne semblent pas devoir aboutir.
« Je vous envoie par ce courrier un certain nombre de journaux qui vous renseigneront sur cette affaire, et, s’il vous agrée de la poursuivre, je mets mon hôtel à votre disposition et vous prie d’inscrire sur le chèque ci-inclus, signé de moi, la somme qu’il vous plaira de fixer pour vos frais de déplacement.
« Veuillez avoir l’obligeance de me télégraphier votre réponse, et croyez, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments de haute considération.
« Baron Victor d’Imblevalle, 18, rue Murillo. »
– Hé ! Hé ! fit Sholmès, voilà qui s’annonce à merveille… un petit voyage à Paris, ma foi pourquoi pas ? Depuis mon fameux duel avec Arsène Lupin, je n’ai pas eu l’occasion d’y retourner. Je ne serais pas fâché de voir la capitale du monde dans des conditions un peu plus tranquilles.
Il déchira le chèque en quatre morceaux, et tandis que Wilson, dont le bras n’avait pas recouvré son ancienne souplesse, prononçait contre Paris des mots amers, il ouvrit la seconde enveloppe.
Tout de suite, un mouvement d’irritation lui échappa, un pli barra son front pendant toute la lecture, et, froissant le papier, il en fit une boule qu’il jeta violemment