Mémoires de Mr. d'Artagnan. Gatien Courtilz de Sandras

Mémoires de Mr. d'Artagnan - Gatien Courtilz de Sandras


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dans la ruë Ferou, qui est au derriere de la ruë des Fossoïeurs. Je fus dès le lendemain matin au lever de Mr. de Treville, dont je trouvai l'Antichambre toute pleine de Mousquetaires. La plûpart étoient de mon Païs, ce que j'entendis bien à leur langage; ainsi me croyant plus fort de moitié que je n'étois auparavant, de me trouver ainsi en païs de connoïssance, je me mis à accoster le premier que je trouvai sous ma main. J'avois employé une partie de l'argent de Montigré à me faire propre, & je n'avois pas aussi oublié la coutume du païs, qui est, quand on n'auroit pas un sou dans sa poche, d'avoir toûjours le plumet sur l'oreille & le ruban de couleur à la cravate. Celui que j'accostai s'appelloit Porthos, & étoit voisin de mon Pére de deux ou trois lieuës. Il avoit encore deux Freres dans la Compagnie, dont l'un s'appelloit Athos, & l'autre Aramis. Mr. de Treville les avoit fait venir tous trois du païs, parce qu'ils y avoient fait quelques combats, qui leur donnoient beaucoup de reputation dans la Province. Au reste il étoit bien aise de choisir ainsi ses gens, parce qu'il y avoit une telle jalousie entre la Compagnie des Mousquetaires, & celle des Gardes du Cardinal de Richelieu, qu'ils en venoient aux mains tous les jours.

      Cela n'étoit rien, puisqu'il arrive tous les jours que des particuliers ont querelle ensemble, principalement quand il y a comme assaut de reputation entr'eux. Mais ce qui est d'assez étonnant, c'est que les maîtres se piquoient tous les premiers d'avoir des gens, dont le courage l'emportoit par dessus tous les autres. Il n'y avoit point de jour que le Cardinal ne vantât la bravoure de ses Gardes, & que le Roi ne tâchât de la diminuer, parce qu'il voyoit bien que son Eminence ne songeoit par là, qu'à élever sa Compagnie par dessus la sienne, & il est si vrai que c'étoit là le dessein de ce Ministre, qu'il avoit tout exprès dans les Provinces des gens appostez pour lui amener ceux qui s'y rendoient redoutables par quelques combats particuliers. Ainsi dans le tems qu'il y avoit des Edits rigoureux contre les Duels, & même qu'on avoit puni de mort quelques personnes de la premiere qualité, qui s'étoient batus au préjudice de la Publication qui en avoit été faite, il leur donnoit non seulement azile auprès de lui, mais encore part le plus souvent, dans ses bonnes grâces.

      Porthos me demanda depuis quand j'étois arrivé, quand il sçut qui j'étois, & à quel dessein je venois à Paris. Je le contentai sur sa curiosité, & me disant que mon nom ne lui étoit pas inconnu, & qu'il avoit ouï dire souvent à son Pére qu'il y avoit eu de braves gens de ma Maison, il me dit que je leur devois ressembler, ou m'en retourner incessamment en nôtre païs. Le compliment que mes Parens m'avoient fait devant que de partir, me rendoit si chatouilleux sur tout ce qui regardoit le point d'honneur, que je commençai non seulement à le regarder entre deux yeux; mais encore à lui demander assez brusquement, pourquoi il me tenoit ce langage, que s'il doutoit de ma bravoure, je ne serois pas long-tems sans la lui faire voir, qu'il n'avoit qu'à descendre avec moi dans la ruë, & que cela seroit bientôt terminé. Il se prit à rire, m'entendant parler de la sorte, & me dit que quoi qu'en allant vite, on fit d'ordinaire beaucoup de chemin, je ne sçavois peut-être pas encore qu'on se heurtoit aussi le pied bien souvent, à force de vouloir trop avancer: que s'il falloit être brave, il ne falloit pas être querelleur; que de se piquer mal à propos, étoit un excés qui étoit tout aussi blamable que la foiblesse qu'il vouloit me faire éviter; que puisque j'étois non seulement de son païs, mais encore son voisin, il vouloit me servir de Gouverneur, bien loin de se vouloir batre contre moi; que cependant si j'avois tant d'envie d'en decoudre il me la ferait passer avant qu'il fut peu.

      Je crus, quand je l'entendis parler de la sorte, qu'après avoir fait le modeste, il me mettoit le marché à la main. Ainsi le prenant au mot, je croyois que nous allions tirer l'épée d'abord que nous serions descendus dans la ruë, quand il me dit lorsque nous fumes à la porte, que je le suivisse à neuf ou dix pas sans m'approcher de plus près de lui. Je ne sus ce que cela vouloit dire; mais songeant que devant qu'il fut peu j'en serois éclairci, je me donnai patience jusques à ce que j'en visse l'accomplissement. Il descendit le long de la ruë de Vaugirard du côté qui va vers les carmes deschaus. Il s'arrêta à l'hotel d'Aiguillon à un nommé Jussac qui étoit sur la porte, & fut bien un demi quart d'heure à lui parler. Ce Jussac est le même que nous avons veu depuis à Mrs. de Vendôme, & à Mr. le Duc de Maine. Je crus d'abord qu'il l'aborda qu'ils étoient les meilleurs amis du monde aux embrassades qu'ils se firent, & je n'en fus desabusé que lors qu'ayant passé outre, je retournai la tête pour voir si Porthos me suivoit. Je vis en effet qu'au lieu de continuer ainsi à se caresser Jussac lui parloit avec chaleur, & comme un homme qui n'étoit pas content. Je me mis sur la Porte du Calvaire, maison Religieuse qui est tout auprès de là; j'y attendis mon homme que je voyois répondre du même air que l'autre lui parloit, car ils s'étoient mis tous deux au milieu de la ruë, afin que le Suisse de l'hôtel d'Aiguillon n'entendit pas ce qu'ils disoient: je vis de là que Porthos qui m'avoit aperçu me montroit, ce qui me donna encore plus d'inquiétude que je n'en avois, ne sçachant ce que tout cela vouloit dire.

      Enfin Porthos l'ayant quitté après ce long entretien, me vint trouver, & me dit qu'il venoit de bien disputer pour l'amour de moi, qu'ils se dévoient batre dans une heure, trois contre trois, aux près aux Clercs, qui est au bout du Fauxbourg St. Germain; & que s'étant resolu, sans m'en rien dire, à me mettre de la partie, il venoit de dire à cet homme, qu'il falloit qu'il cherchât un quatriéme pour que je me pusse éprouver contre lui; qu'il lui avoit répondu qu'il ne sçavoit où en trouver un à l'heure qu'il étoit, que chacun étoit alors hors de chez soi, & que ç'avoit été là le sujet de leur contestation; que je voyois bien par ce qu'il venoit de me dire qu'il n'avoit pas été en son pouvoir d'accepter mon deffi, que l'on ne pouvoit pas courir deux lievres à la fois, mais qu'il avoit crû me faire voir que ce n'étoit pas manque de coeur en me rendant témoin moi même des raisons qu'il avoit euës de me refuser. Je compris alors tout ce que je n'avois pû deviner auparavant, & lui ayant demandé le nom de cet homme, & si c'étoit lui qui étoit le chef de la querelle, il m'apprit tout ce que j'en voulois sçavoir, il me dit qu'il s'appelloit Jussac, qu'il commandoit dans le Havre de Grace, sous le Duc de Richelieu, qui en étoit Gouverneur en survivance du Cardinal son Oncle, qu'il étoit le chef de la querelle, qui se devoit terminer presentement, qu'il l'avoit euë avec son Frere ainé, & qu'elle ne venoit que parce que l'un avoit soutenu que les Mousquetaires batroient les Gardes du Cardinal, toutes les fois qu'ils auroient affaire à eux, & que l'autre avoit soutenu le contraire.

      Je le remerciai du mieux que je pus, lui disant qu'après être parti de chez moi dans le dessein de prendre Mr. de Treville pour mon Patron, il me faisoit plaisir de me choisir avec ses autres amis, pour soutenir une querelle en l'honneur de sa compagnie: D'ailleurs que comme je sçavois qu'il avoit toujours fait gloire de prendre le parti du Roi, au préjudice de toutes les offres avantageuses que son Eminence lui avoit faites pour embrasser ses interêts, j'étois bien aise d'avoir à combattre pour une cause qui n'étoit pas moins selon mon inclination, que selon la sienne; que je ne pouvois mieux faire pour mon coup d'essay, & que je tâcherois de ne pas dementir la bonne opinion qu'il me témoignoit par là de mon courage. Nous marchâmes dans cet entretien jusques en deça des Carmes où nous tournâmes par la ruë Cassette; nous y descendîmes tout du long, & ayant gaigné le coin de la ruë du Colombier, nous entrâmes en suite dans la ruë St. Pere, puis dans celle de l'université, au bout de laquelle étoit l'endroit où se devoit faire nôtre combat.

      Nous y trouvâmes Athos avec son Frere Aramis, qui ne surent ce que cela vouloit dire, quand ils me virent avec lui. Ils le tirerent à part pour lui en demander la raison, & leur ayant répondu qu'il n'avoit pû faire autrement pour se tirer de l'embarras, où le jettoit le marché que je lui avois mis à la main, ils lui repliquerent qu'il avoit grand tort d'en avoir usé de la sorte, que je n'étois encore qu'un enfant, & que Jussac en tireroit un avantage qui ne manqueroit pas de tourner à leur préjudice; qu'il m'opposeroit quelque homme qui m'auroit bientôt expedié, & que cet homme tombant sur eux, après cela il se trouveroit qu'ils ne seroient plus que trois contre quatre, dont il ne leur pouroit arriver que du malheur.

      J'eusse été en grande colere si j'eusse sçû ce qu'ils disoient de moi. C'étoit en effet avoir bien méchante opinion de ma personne que de me croire capable d'être battu si facilement; cependant comme c'étoit une chose faite que ce que Porthos avoit fait, & qu'il n'y avoit plus de remede,


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