Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre. Edmond Lepelletier

Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre - Edmond Lepelletier


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postérieure à l'aventure d'Afrique et à la démission. Elle était adressée à l'ingénieur civil François Zola, par le maréchal Soult. Cette lettre, conservée aux archives du génie du ministère, est ainsi libellée:

      Monsieur François Zola, vous aviez adressé à Sa Majesté, qui en a ordonné le renvoi à mon ministère, un mémoire sur le projet de fortifier Paris, dans lequel, critiquant les dispositions qu'on veut suivre, vous proposiez de substituer à ces dispositions un système de tours qui, sous le rapport de la défense, de l'économie, du temps nécessaire à l'exécution, etc., etc., présenterait, disiez-vous, un avantage incontestable.

      J'ai chargé M. le président du comité des fortifications d'examiner attentivement votre mémoire, et j'ai reconnu, d'après le rapport détaillé qu'il m'a soumis à cet égard, que vos idées sur la manière de fortifier Paris n'étaient pas susceptibles d'être accueillies.

      Je me plais, néanmoins, à rendre justice aux louables intentions qui ont dicté votre démarche, et je ne puis que vous remercier de la communication que vous avez bien voulu faire au gouvernement, de vos études sur cet objet.

      Recevez, Monsieur, l'assurance de ma parfaite considération.

      Le ministre de la Guerre,

      SOULT.

      C'était ce même ministre, Soult, qui avait été saisi, quelques mois auparavant, par le duc de Rovigo, de toute l'affaire du lieutenant magasinier François Zola. Le ministre, ou, tout au moins, ses secrétaires et les attachés à son cabinet, avaient connaissance du dossier Zola. Une correspondance s'était engagée, à ce sujet, entre le ministère et le duc de Rovigo. Les faits qui motivèrent l'enquête, à raison de la galanterie qui s'y mêlait, étaient de ceux qui restent dans le souvenir de jeunes officiers. Personne n'y fit allusion, lors de la requête de l'ingénieur. Les formules de politesse, au bas d'une lettre, et la façon courtoise d'évincer un solliciteur ne sont pas généralement significatives. On en use envers tout le monde. Ici, exceptionnellement, la réponse du ministre et les formules protocolaires prennent une valeur particulière. Se fût-on donné la peine de répondre, avec des compliments sur le mérite de son projet, écarté pour des raisons techniques, à un ingénieur s'offrant pour un travail considérable d'intérêt public, et pour le compte du gouvernement, si ce même homme avait dû quitter honteusement l'armée, comme les adversaires politiques de son fils plus tard l'affirmèrent? On eût jeté son plan et ses devis au panier, et le maréchal, qui venait d'avoir connaissance des circonstances ayant amené ce François Zola à démissionner, eût-il poussé l'urbanité épistolaire jusqu'à «le remercier de la communication qu'il avait bien voulu faire au gouvernement»? On l'eût, en même temps, consigné à la porte des antichambres officielles.

      En rapports avec la municipalité marseillaise, pour un projet de docks et d'un port nouveau qu'il présentait, les autorités départementales, toujours défiantes vis-à-vis des étrangers, et s'informant de la réputation, des antécédents d'un nouvel hôte, renseignées souvent par la malignité provinciale et la curiosité du voisinage, ne témoignèrent nullement qu'elles considéraient l'ingénieur François Zola comme un malhonnête homme. Non seulement le bruit des histoires fâcheuses du ménage Fischer ne l'empêcha pas d'être fort bien accueilli à Marseille, mais, toujours à propos de ces docks et de la création du port des Catalans, dont il avait eu l'idée, l'officier démissionnaire fut présenté, par le général d'Houdetot, au prince de Joinville, que les choses maritimes intéressaient. Il fut ensuite reçu, en audience particulière, par Louis-Philippe. Bien que le roi bourgeois fût d'un abord relativement facile, on doit présumer que les personnes admises auprès de lui étaient l'objet, sinon d'une enquête à fond, du moins d'une information préalable. Le voleur, le déserteur, que la triste polémique de 1898 a voulu montrer, eût-il pu être reçu aux Tuileries par le roi et par l'un des princes d'Orléans?

      Il ne reste donc rien, ou pas grand chose, de sérieux, de ce scandale, d'ailleurs inutile. L'arme était mauvaise. Elle n'a pas atteint celui qu'elle visait. Plusieurs journalistes, il faut le constater à l'honneur de la presse, parmi ceux qui se montraient les plus ardents dans la défense de l'armée, mise en cause sous le prétexte de faire reconnaître l'innocence du capitaine Dreyfus, désapprouvèrent cette attaque contre un défunt, qui n'avait pas songé, avant de mourir, à préparer sa justification. Il ne pouvait prévoir qu'il y aurait, un jour, près de cinquante ans après lui, une formidable affaire politico-judiciaire, à laquelle on le mêlerait pour accabler son fils. L'Éclair, entre autres, un des organes les plus anti-dreyfusards, dit notamment: «On aurait pu mener le bon combat contre le dreyfusisme sans reprocher à M. Zola son père.» Ce fut l'opinion des braves gens des deux camps.

      Arracher à la tombe le cadavre d'un père, et s'en servir pour assommer le fils, ce n'est ni très humain, ni très beau; c'est, en même temps, tout ce qu'il y a de plus contraire à l'esprit républicain, à la justice démocratique. Est-ce que les fautes, si fautes il y a, ne doivent pas demeurer personnelles? Quand bien même on eût prouvé qu'Émile Zola était le fils d'un homme qui avait mangé la grenouille et passé à l'étranger ensuite, cela aurait-il prouvé quelque chose pour ou contre la culpabilité d'un militaire accusé de trahison? Si Zola père eût été un mauvais soldat et un malhonnête homme, cela eût-il empêché Zola fils d'être l'un des premiers écrivains de son temps?

      On pourrait concevoir la haine des partis, fouillant les antécédents et recherchant les tares des parents ou des alliés d'un homme occupant les plus hautes situations politiques. Cela s'est vu, au détriment d'un président de la République. Pour atteindre la République elle-même, avec une aveugle méchanceté, on a publié des faits peu avantageux pour la mémoire d'un membre de la famille de ce chef d'État. On pensait ainsi l'obliger à se retirer. Mais un romancier, mais un pamphlétaire, en quoi l'indignité, alléguée ou prouvée, d'un parent, peut-elle lui ôter son talent ou affaiblir les virulences de sa plume? Les calomnieuses révélations faite sur le père de Zola n'ont, d'ailleurs, eu aucune influence pour ou contre la défense de Dreyfus. On eût été tout aussi armé, dans le bon combat, comme disait l'Eclair, contre le Dreyfusisme, si, en 1898, on eût laissé à François Zola, mort et inhumé en 1847, le triple bénéfice de l'abstention de la justice, de la prescription du temps et de l'amnistie de la mort.

      À la suite de l'enquête faite au régiment, et dont il sortit indemne, François Zola, ses comptes réglés, ayant donné sa démission, quitta l'Algérie et revint en France.

      Ce fut à Marseille qu'il débarqua.

      Cette ville remuante et affairée lui plut. Il est des villes qui captivent comme une maîtresse. Séduit par Marseille, Zola père s'y installa et ouvrit un cabinet d'ingénieur civil. Il avait alors quarante ans. Il était temps de faire choix définitivement d'une carrière, de s'établir, de ne plus être le nomade d'antan. Son esprit, actif comme son corps, trouvait-il enfin un milieu favorable, un terrain propice à fonder une fortune, une famille? L'ingénieur mobile et vagabond parut se plaire tout de suite parmi la pétulante population marseillaise. Cette cité maritime et commerçante l'intéressait. Il résolut d'y jouer un rôle. Il portait en lui de vastes plans, des rêves de grands travaux. Négligeant les petites affaires, les entreprises mesquines, il tenta de frapper un coup décisif en soumettant aux autorités compétentes un projet de nouveau port. Le vieux et célèbre port de Marseille ne répondait plus à l'importance du commerce et de la navigation. On réclamait un havre neuf, vaste et sûr. Diverses propositions étaient en l'air. François Zola prépara un projet complet. L'emplacement qu'il proposait était la baie des Catalans, abritée du mistral. La Joliette l'emporta, comme étant plus proche du centre de la ville. De l'avis de tout le monde, aujourd'hui, l'endroit désigné par l'ingénieur vénitien était préférable: la Joliette est exposée aux coups de vent du Nord-Ouest, et le mouillage y est hasardeux.

      Voyages à Paris, démarches dans les bureaux, pourparlers avec les sociétés financières, les administrations maritimes, les entrepreneurs, puis confection et dépôt d'esquisses, de plans, de dessins, de cartons, tout ce difficile et consciencieux travail demeura donc inutile. L'ingénieur, déçu, mais non abattu, se rejeta sur un autre


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