Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

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Frappe ! Frappe toi-même ! Un coup de poing et c’est tout ! Il lui avait pris la main droite et cherchait à l’abattre sur l’autre comme un marteau. Gérard se tordit, convulsé d’horreur. Il comprenait.

      – Jamais ! bégaya-t-il, jamais !

      – Frappe ! Un seul coup et c’est fait, un seul coup, et tu seras pareil à cet homme, nul ne te reconnaîtra.

      – Son nom…

      – Frappe d’abord…

      – Jamais ! Oh ! Quel supplice… Je vous en prie plus tard…

      – Maintenant… je le veux… il le faut…

      – Non… non… je ne peux pas…

      – Mais frappe donc, imbécile, c’est la fortune, la gloire, l’amour.

      Gérard leva le poing, dans un élan…

      – L’amour, dit-il… oui… pour cela, oui…

      – Tu aimeras et tu seras aimé, proféra Sernine. Ta fiancée t’attend. C’est moi qui l’ai choisie. Elle est plus pure que les plus pures, plus belle que les plus belles. Mais il faut la conquérir. Frappe !

      Le bras se raidit pour le mouvement fatal, mais l’instinct fut plus fort.

      Une énergie surhumaine convulsa le jeune homme. Brusquement il rompit l’étreinte de Sernine et s’enfuit.

      Il courut comme un fou vers l’autre pièce. Un hurlement de terreur lui échappa, à la vue de l’abominable spectacle, et il revint tomber auprès de la table, à genoux devant Sernine.

      – Frappe ! dit celui-ci en étalant de nouveau les cinq doigts et en disposant la lame du couteau.

      Ce fut mécanique. D’un geste d’automate, les yeux hagards, la face livide, le jeune homme leva son poing et frappa.

      – Ah ! fit-il, dans un gémissement de douleur. Le petit bout de chair avait sauté. Du sang coulait. Pour la troisième fois, il s’était évanoui.

      Sernine le regarda quelques secondes et prononça doucement :

      – Pauvre gosse !… Va, je te revaudrai ça, et au centuple. Je paie toujours royalement.

      Il descendit et retrouva le docteur en bas :

      – C’est fini. À ton tour… Monte et fais-lui une incision dans la joue droite, pareille à celle de Pierre Leduc. Il faut que les deux cicatrices soient identiques. Dans une heure, je viens le rechercher.

      – Où allez-vous ?

      – Prendre l’air. J’ai le cœur qui chavire.

      Dehors il respira longuement, puis il alluma une autre cigarette.

      – Bonne journée, murmura-t-il. Un peu chargée, un peu fatigante, mais féconde, vraiment féconde. Me voici l’ami de Dolorès Kesselbach. Me voici l’ami de Geneviève. Je me suis confectionné un nouveau Pierre Leduc fort présentable et entièrement à ma dévotion. Et enfin, j’ai trouvé pour Geneviève un mari comme on n’en trouve pas à la douzaine. Maintenant, ma tâche est finie. Je n’ai plus qu’à recueillir le fruit de mes efforts. À vous de travailler, monsieur Lenormand. Moi, je suis prêt.

      Et il ajouta, en songeant au malheureux mutilé qu’il avait ébloui de ses promesses :

      – Seulement, il y a un seulement, j’ignore tout à fait ce qu’était ce Pierre Leduc dont j’ai octroyé généreusement la place à ce bon jeune homme. Et ça, c’est embêtant… Car, enfin, rien ne me prouve que Pierre Leduc n’était pas le fils d’un charcutier !

       M. Lenormand à l’ouvrage

      Table des matières

      – 1 –

      Le 31 mai, au matin, tous les journaux rappelaient que Lupin, dans une lettre écrite à M. Lenormand, avait annoncé pour cette date l’évasion de l’huissier Jérôme.

      Et l’un d’eux résumait fort bien la situation à ce jour :

      « L’affreux carnage du Palace-Hôtel remonte au 17 avril. Qu’a-t-on découvert depuis ? Rien.

      « On avait trois indices : l’étui à cigarettes, les lettres L et M, le paquet de vêtements oublié dans le bureau de l’hôtel. Quel profit en a-t-on tiré ? Aucun.

      « On soupçonne, paraît-il, un des voyageurs qui habitaient le premier étage, et dont la disparition semble suspecte. L’a-t-on retrouvé ? A-t-on établi son identité ? Non.

      « Donc, le drame est aussi mystérieux qu’à la première heure, les ténèbres aussi épaisses.

      « Pour compléter ce tableau, on nous assure qu’il y aurait désaccord entre le préfet de Police et son subordonné M. Lenormand, et que celui-ci, moins vigoureusement soutenu par le président du Conseil, aurait virtuellement donné sa démission depuis plusieurs jours. L’affaire Kesselbach serait poursuivie par le sous-chef de la Sûreté, M. Weber, l’ennemi personnel de M. Lenormand.

      « Bref, c’est le désordre, l’anarchie.

      « En face, Lupin, c’est-à-dire la méthode, l’énergie, l’esprit de suite.

      « Notre conclusion ? Elle sera brève. Lupin enlèvera son complice aujourd’hui, 31 mai, ainsi qu’il l’a prédit. »

      Cette conclusion, que l’on retrouvait dans toutes les autres feuilles, c’était celle également que le public avait adoptée. Et il faut croire que la menace n’avait pas été non plus sans porter en haut lieu, car le préfet de Police, et, en l’absence de M. Lenormand, soi-disant malade, le sous-chef de la Sûreté, M. Weber, avaient pris les mesures les plus rigoureuses, tant au Palais de Justice qu’à la prison de la Santé où se trouvait le prévenu.

      Par pudeur on n’osa point suspendre, ce jour-là, les interrogatoires quotidiens de M. Formerie, mais, de la prison au boulevard du Palais, une véritable mobilisation de forces de police gardait les rues du parcours.

      Au grand étonnement de tous, le 31 mai se passa et l’évasion annoncée n’eut pas lieu.

      Il y eut bien quelque chose, un commencement d’exécution qui se traduisit par un embarras de tramways, d’omnibus et de camions au passage de la voiture cellulaire, et le bris inexplicable d’une des roues de cette voiture. Mais la tentative ne se précisa point davantage.

      C’était donc l’échec. Le public en fut presque déçu, et la police triompha bruyamment.

      Or, le lendemain, samedi, un bruit incroyable se répandit dans le Palais, courut dans les bureaux de rédaction : l’huissier Jérôme avait disparu.

      était-ce possible ?

      Bien que les éditions spéciales confirmassent la nouvelle, on se refusait à l’admettre. Mais, à six heures, une note publiée par la Dépêche du Soir la rendit officielle :

       Nous recevons la communication suivante signée d’Arsène Lupin. Le timbre spécial qui s’y trouve apposé, conformément à la circulaire que Lupin adressait dernièrement à la presse, nous certifie l’authenticité du document.

      « Monsieur le Directeur,

      « Veuillez m’excuser auprès du public de n’avoir point tenu ma parole hier. Au dernier moment, je me suis aperçu que le 31 mai tombait un vendredi ! Pouvais-je, un vendredi, rendre la liberté à mon ami ? Je n’ai pas cru devoir assumer une telle responsabilité.

      « Je m’excuse aussi de ne point donner ici, avec ma franchise habituelle, des


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