Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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rappelez-vous… la vérité on la connut tout d’un coup, par celui-là même qui la détenait, Germineaux, l’ancien Garde des Sceaux, et le cousin du Président de la Compagnie du Canal. Malade, phtisique, de son lit d’agonisant, il écrivit au Préfet de Police, lui léguant cette liste que, disait-il, l’on trouverait, après sa mort, dans un coffre de fer, au fond de sa chambre. La maison fut entourée d’agents. Le Préfet s’établit à demeure auprès du malade. Germineaux mourut. On ouvrit le coffre. Il était vide.

      – Daubrecq, cette fois, affirma Lupin.

      – Oui, Daubrecq, proféra Mme Mergy, dont l’agitation croissait de minute en minute, Alexis Daubrecq, qui, depuis six mois, déguisé, méconnaissable, servait de secrétaire à Germineaux. Comment avait-il appris que Germineaux était le possesseur du fameux papier ? Il importe peu. Toujours est-il qu’il avait fracturé le coffre la nuit même qui précéda la mort. L’enquête le prouva et l’identité de Daubrecq fut établie.

      – Mais on ne l’arrêta pas ?

      – À quoi bon ! On supposait bien qu’il avait mis la liste en lieu sûr. L’arrêter, c’était l’esclandre, l’affaire qui recommençait, cette vilaine affaire dont tout le monde est las et que l’on veut étouffer à tout prix.

      – Alors ?

      – On négocia.

      Lupin se mit à rire.

      – Négocier avec Daubrecq, c’est drôle !

      – Oui, très drôle, scanda Mme Mergy, d’un ton âpre. Pendant ce temps, il agissait, lui, et tout de suite, sans vergogne, allant droit au but. Huit jours après son vol il se rendait à la Chambre des Députés, demandait mon mari, et, brutalement, exigeait de lui trente mille francs dans les vingt-quatre heures. Sinon, le scandale, le déshonneur. Mon mari connaissait l’individu, il le savait implacable, plein de rancune et de férocité. Il perdit la tête et se tua.

      – Absurde ne put s’empêcher de dire Lupin. Daubrecq possède une liste de vingt-sept noms. Pour livrer l’un de ces noms, il est obligé, s’il veut qu’on attache du crédit à son accusation, de publier la liste même, c’est-à-dire de se dessaisir du document, ou du moins de la photographie de ce document, et en faisant cela il provoque le scandale, mais se prive désormais de tout moyen d’action et de chantage.

      – Oui et non, dit-elle.

      – Comment le savez-vous ?

      – Par Daubrecq, par Daubrecq qui est venu me voir, le misérable, et qui m’a raconté cyniquement son entrevue avec mon mari et les paroles échangées. Or, il n’y a pas que cette liste, il n’y a pas que ce fameux bout de papier sur lequel le caissier notait les noms et les sommes touchées, et sur lequel, rappelez-vous, le Président de la Compagnie, avant de mourir, a mis sa signature en lettres de sang. Il n’y a pas que cela. Il y a certaines preuves plus vagues que les intéressés ne connaissent pas : correspondance entre le Président de la Compagnie et son caissier, entre le Président et ses avocats-conseils, etc. Seule compte, évidemment, la liste griffonnée sur le morceau de papier ; celle-là est la preuve unique, irrécusable, qu’il ne servirait de rien de copier ou de photographier, car son authenticité peut être contrôlée, dit-on, de la façon la plus rigoureuse. Mais, tout de même, les autres indices sont dangereux. Ils ont suffi à démolir déjà deux députés. Et de cela Daubrecq sait jouer à merveille. Il effraye la victime choisie, il l’affole, il lui montre le scandale inévitable, et l’on verse la somme exigée, ou bien l’on se tue comme mon mari. Comprenez-vous, maintenant ?

      – Oui, dit Lupin.

      Et, dans le silence qui suivit, il reconstitua la vie de Daubrecq. Il le voyait maître de cette liste, usant de son pouvoir, sortant peu à peu de l’ombre, jetant à pleines mains l’argent qu’il extorquait à ses victimes, se faisant nommer conseiller général, député, régnant par la menace et par la terreur, impuni, inaccessible, inattaquable, redouté du gouvernement qui aime mieux se soumettre à ses ordres que de lui déclarer la guerre, respecté par les pouvoirs publics, si puissant enfin qu’on avait nommé secrétaire général de la Préfecture de Police, contre tous droits acquis, Prasville, pour ce seul motif qu’il haïssait Daubrecq d’une haine personnelle.

      – Et vous l’avez revu ? dit-il.

      – Je l’ai revu. Il le fallait. Mon mari était mort, mais son honneur demeurait intact. Nul n’avait soupçonné la vérité. Pour défendre tout au moins le nom qu’il me laissait, j’ai accepté une première entrevue avec Daubrecq.

      – Une première, en effet, car il y en a eu d’autres ?…

      – Beaucoup d’autres, prononça-t-elle, d’une voix altérée, oui, beaucoup d’autres… au théâtre… ou certains soirs à Enghien… ou bien à Paris, la nuit… car j’avais honte de le voir, cet homme, et je ne veux pas qu’on sache… Mais il le fallait… un devoir plus impérieux que tout me le commandait… le devoir de venger mon mari…

      Elle se pencha sur Lupin, et ardemment :

      – Oui, la vengeance ce fut la raison de ma conduite et le souci de toute ma vie. Venger mon mari, venger mon fils perdu, me venger moi, de tout le mal qu’il m’a fait… Je n’avais plus d’autre rêve, d’autre but. Je voulais cela, l’écrasement de cet homme, sa misère, ses larmes – comme s’il pouvait encore pleurer ! – ses sanglots, son désespoir…

      – Sa mort, interrompit Lupin, qui se souvenait de la scène entre eux dans le bureau de Daubrecq.

      – Non, pas sa mort. J’y ai pensé souvent… J’ai même levé le bras sur lui… Mais à quoi bon ! Il a dû prendre ses précautions. Le papier subsisterait. Et puis, ce n’est pas se venger que de tuer… Ma haine allait plus loin… Elle voulait sa perte et sa déchéance, et, pour cela, un seul moyen : lui arracher ses griffes. Daubrecq privé de ce document qui le rend si fort, Daubrecq n’existe plus. C’est la ruine immédiate, le naufrage, et dans quelles conditions lamentables ! Voilà ce que j’ai cherché.

      – Mais Daubrecq ne pouvait se méprendre sur vos intentions ?

      – Certes non. Et ce fut, je vous le jure, d’étranges rendez-vous que les nôtres, moi le surveillant, tâchant de deviner derrière ses paroles le secret qu’il cache… et lui… lui…

      – Et lui, dit Lupin, achevant la pensée de Clarisse Mergy… lui, guettant la proie qu’il désire… la femme qu’il n’a jamais cessé d’aimer… et qu’il aime… et qu’il veut de toutes ses forces, et de toute sa rage…

      Elle baissa la tête et dit simplement :

      – Oui.

      Duel étrange, en effet, qui opposait l’un à l’autre ces deux êtres que séparaient tant de choses implacables. Comme il fallait que la passion de Daubrecq fût effrénée pour qu’il risquât ainsi cette menace perpétuelle de la mort, et qu’il introduisît auprès de lui, dans son intimité, cette femme dont il avait dévasté l’existence ! Mais comme il fallait également qu’il se sentît en pleine sécurité !

      – Et vos recherches aboutirent… à quoi ? demanda Lupin.

      – Mes recherches, dit-elle, furent longtemps infructueuses. Les procédés d’investigation que vous avez suivis, ceux que la police a suivis de son côté, moi, des années avant vous, je les ai employés, et vainement. Je commençais à désespérer quand, un jour, en allant chez Daubrecq, dans sa villa d’Enghien, je ramassai sous sa table de travail le début d’une lettre chiffonnée et jetée parmi les paperasses d’une corbeille. Ces quelques lignes étaient écrites de sa main en mauvais anglais. Je pus lire :

      « Évidez le cristal à l’intérieur de manière à laisser un vide qu’il soit impossible de soupçonner. »

      « Peut-être n’aurais-je pas attaché à cette phrase toute l’importance qu’elle méritait, si Daubrecq, qui se trouvait alors dans le jardin, n’était survenu en courant et ne


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