Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан
– En voilà une question ! Comme si je pouvais savoir ce qu’il est devenu !
– Vous le savez ! Vous le savez ! Votre frère et vous, vous étiez attachés à ses pas, vous viviez presque chez lui, dans la maison même où nous sommes. Vous étiez au courant de tous ses travaux, de tous ses projets. Et le dernier soir, Varin, quand j’ai reconduit Louis Lacombe jusqu’à ma porte, j’ai vu deux silhouettes qui se dérobaient dans l’ombre. Cela, je suis prêt à le jurer.
– Et après, quand vous l’aurez juré ?
– C’était votre frère et vous, Varin.
– Prouvez-le.
– Mais la meilleure preuve, c’est que, deux jours plus tard, vous me montriez vous-même les papiers et les plans que vous aviez recueillis dans la serviette de Lacombe, et que vous me proposiez de me les vendre. Comment ces papiers étaient-ils en votre possession ?
– Je vous l’ai dit, monsieur Andermatt, nous les avons trouvés sur la table même de Louis Lacombe, le lendemain matin, après sa disparition.
– Ce n’est pas vrai.
– Prouvez-le.
– La justice aurait pu le prouver.
– Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressé à la justice ?
– Pourquoi ? Ah ! Pourquoi…
Il se tut, le visage sombre. Et l’autre reprit :
– Voyez-vous, monsieur Andermatt, si vous aviez eu la moindre certitude, ce n’est pas la petite menace que nous vous avons faite qui eût empêché…
– Quelle menace ? Ces lettres ? Est-ce que vous vous imaginez que j’aie jamais cru un instant ?…
– Si vous n’avez pas cru à ces lettres, pourquoi m’avez-vous offert des mille et des cents pour les ravoir ? Et pourquoi, depuis, nous avez-vous fait traquer comme des bêtes, mon frère et moi ?
– Pour reprendre des plans auxquels je tenais.
– Allons donc ! C’était pour les lettres. Une fois en possession des lettres, vous nous dénonciez. Plus souvent que je m’en serais dessaisi !
Il eut un éclat de rire qu’il interrompit tout d’un coup.
– Mais en voilà assez. Nous aurons beau répéter les mêmes paroles, que nous n’en serons pas plus avancés. Par conséquent, nous en resterons là.
– Nous n’en resterons pas là, dit le banquier, et puisque vous avez parlé des lettres, vous ne sortirez pas d’ici avant de me les avoir rendues.
– Je sortirai.
– Non, non.
– Écoutez, monsieur Andermatt, je vous conseille…
– Vous ne sortirez pas.
– C’est ce que nous verrons, dit Varin avec un tel accent de rage que Mme Andermatt étouffa un faible cri.
Il dut l’entendre, car il voulut passer de force. M. Andermatt le repoussa violemment. Alors je le vis qui glissait sa main dans la poche de son veston.
– Une dernière fois !
– Les lettres d’abord.
Varin tira un revolver et, visant M. Andermatt :
– Oui ou non ?
Le banquier se baissa vivement.
Un coup de feu jaillit. L’arme tomba.
Je fus stupéfait. C’était près de moi que le coup de feu avait jailli ! Et c’était Daspry qui, d’une balle de pistolet, avait fait sauter l’arme de la main d’Alfred Varin !
Et dressé subitement entre les deux adversaires, face à Varin, il ricanait :
– Vous avez de la veine, mon ami, une rude veine. C’est la main que je visais, et c’est le revolver que j’atteins.
Tous deux le contemplaient, immobiles et confondus. Il dit au banquier :
– Vous m’excuserez, monsieur, de me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mais vraiment vous jouez votre partie avec trop de maladresse. Permettez-moi de tenir les cartes.
Se tournant vers l’autre :
– À nous deux, camarade. Et rondement, je t’en prie. L’atout est cœur, et je joue le sept.
Et, à trois pouces du nez, il lui colla la plaque de fer où les sept points rouges étaient marqués.
Jamais il ne m’a été donné de voir un tel bouleversement. Livide, les yeux écarquillés, les traits tordus d’angoisse, l’homme semblait hypnotisé par l’image qui s’offrait à lui.
– Qui êtes-vous ? balbutia-t-il.
– Je l’ai déjà dit, un monsieur qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas… mais qui s’en occupe à fond.
– Que voulezvous ?
– Tout ce que tu as apporté.
– Je n’ai rien apporté.
– Si, sans quoi, tu ne serais pas venu. Tu as reçu ce matin un mot te convoquant ici pour neuf heures, et t’enjoignant d’apporter tous les papiers que tu avais. Or te voici. Où sont les papiers ?
Il y avait dans la voix de Daspry, il y avait dans son attitude, une autorité qui me déconcertait, une façon d’agir toute nouvelle chez cet homme plutôt nonchalant d’ordinaire et doux. Absolument dompté, Varin désigna l’une de ses poches.
– Les papiers sont là.
– Ils y sont tous ?
– Oui.
– Tous ceux que tu as trouvés dans la serviette de Louis Lacombe et que tu as vendus au major von Lieben ?
– Oui.
– Est-ce la copie ou l’original ?
– L’original.
– Combien en veux-tu ?
– Cent mille.
Daspry s’esclaffa.
– Tu es fou. Le major ne t’en a donné que vingt mille. Vingt mille jetés à l’eau, puisque les essais ont manqué.
– On n’a pas su se servir des plans.
– Les plans sont incomplets.
– Alors, pourquoi me les demandez-vous ?
– J’en ai besoin. Je t’en offre cinq mille francs. Pas un sou de plus.
– Dix mille. Pas un sou de moins.
– Accordé.
Daspry revint à M. Andermatt.
– Veuillez signer un chèque, monsieur.
– Mais c’est que je n’ai pas…
– Votre carnet ? Le voici.
Ahuri, M. Andermatt palpa le carnet que lui tendait Daspry.
– C’est bien à moi… Comment se fait-il ?
– Pas de vaines paroles, je vous en prie, cher monsieur, vous n’avez qu’à signer.
Le banquier tira son stylographe et signa. Varin avança la main.
– Bas les pattes, fit Daspry, tout n’est pas fini.
Et s’adressant au banquier :
– Il était question aussi de lettres que vous réclamez ?
– Oui, un paquet de lettres.
– Où sont-elles, Varin ?
– Je ne