Les Rois Frères de Napoléon Ier. Albert Du Casse
devait pas te suivre à Madrid où elle ne serait pas convenablement, nulles raisons véritables l'y appellent; elle est veuve, elle a une fortune indépendante, elle a sa mère, je ne sais pas comment elle pourrait se plaire à Madrid où ses relations la placeraient toujours dans une fausse position. Je ne dois pas donc te dissimuler que ce sont des dispositions inébranlables, ma position est déjà assez difficile sans y ajouter d'autres embarras de tous les instants, ainsi que ceux qui me viendraient d'elle[25].
Joseph à Julie.
Madrid, le 16 mai 1810.
Ma chère amie, je n'ai pas de tes lettres depuis celle que m'a remis le courrier de Tascher, je t'ai écrit que j'approuve tout ce que tu feras, j'ai donné procuration à James, et je la lui ai donnée pour qu'il puisse s'en servir pour exécuter les ordres que tu lui donneras. Tu n'as pas oublié comment la terre de Mortefontaine fut achetée; dans ce que James fera, tu lui diras de te comprendre pour moitié, je préfère à tout que ce soit ton frère Nicolas qui s'en charge.
Tascher doit t'avoir parlé de ses affaires; je ne sais pas pourquoi tu ne m'en parles pas. Si ce jeune homme convient à ta nièce et que ta nièce convienne à ses parents, je préfère ce jeune homme à tous autres n'importe la fortune, etc.
Joseph à Julie.
Madrid, le 16 juillet 1810.
Ma chère amie, j'ai reçu la lettre dont était porteur Tascher; sa cousine[26] m'écrit que l'empereur l'autorise à lui permettre de se marier avec ta nièce Marcelle, si elle y consent. D'après ce que me disent ses frères, Tascher a aujourd'hui cinquante mille livres de rente en fonds de terre, il a un état, c'est l'honneur même, il ne faut pas hésiter à lui donner Marcelle; il est mille fois mieux que le parti que tu m'as proposé, il ne serait pas juste qu'elles fassent toutes des mariages au-dessus de leur position; j'entends donc que Mlle Marcelle épouse M. Tascher, si elle le trouve bien. Je m'engage avec lui et sa cousine à laquelle je ne veux pas manquer de parole, moins aujourd'hui que dans tout autre temps. Réponds-moi d'une manière précise. Tascher reviendra à Paris.
Avant de partir il faut que tu saches à quoi t'en tenir sur les affaires d'Espagne. Fais de tout ce que nous possédons en France une vente dont nous puissions détruire les preuves....... (quelques mots illisibles) est grand et j'en rends grâces au ciel. Je t'embrasse avec Zénaïde et Charlotte..... Je désire cependant beaucoup savoir ce que devient l'Espagne avant que tu quittes Paris; quant à moi, je suis bien décidé à ne jamais transiger avec mes devoirs. Si on veut que je gouverne l'Espagne pour le bien seulement de la France, on ne doit pas espérer cela de moi. J'ai des devoirs de cœur et de besoins de reconnaissance envers la France qui est ma famille; mais jamais, même dans la misère, je n'ai accoutumé mon âme à se dégrader pour le bien de ma famille.
J'ai des devoirs de conscience en Espagne, je ne les trahirai jamais et je me complais trop dans le souvenir de ma vie passée pour vouloir changer d'allure aujourd'hui que je redescends la montagne. Je serai et resterai donc homme de bien, homme vrai tant que mon cœur battra. Mon courage saura toujours se faire à tout, moins aux remords. Au reste je ne sais pas pourquoi je t'écris si au long. Tu me connais, crois que la royauté ne m'a pas changé, et que je suis toujours ce que tu m'as connu. Si tu n'as pas besoin de Deslandes, renvoies-le moi (Deux lignes effacées). Je suis obligé de venir au secours de tant de provinces où l'on n'envoie plus rien et où la misère est profonde, parce qu'à Avila, à Ségovie même, des généraux français administrent mes provinces, renvoyent mes employés et que Madrid est le rendez-vous où tous les malheureux aboutissent et où s'adressent tous les besoins. Je sens que cet état de choses me serait encore plus pénible toi et mes enfants étant ici, et que je n'aurai plus la ressource d'errer avec un quartier-général. Tout cela peut être réparé d'un mot de l'empereur, qu'il trouve bon que je renvoie les dilapideurs, qu'il me rende l'administration de mes provinces et qu'il croye plus à ma probité qu'à celle de Ney ou de Kellermann. Arrivé ici avec mes enfants, il faut que je m'établisse d'une façon définitive à Madrid, il faut que je sache comment je pourrai y vivre, car aujourd'hui je ne le sais pas; l'Andalousie est absorbée par l'armée, les pays épuisés par les insurgés, l'empereur ne sait rien, il faut qu'il connaisse ma position, qu'elle change sa justice ou que je la fasse changer par ma retraite des affaires; tu dois donc venir en Espagne avec la connaissance de ce que veut l'empereur avec le projet d'y rester ou résolue à la quitter pour la vie privée. Il n'y a personne à Paris à qui je puisse écrire. L'empereur a peu vu M. d'Azanza que j'avais chargé de mes affaires. Quand tu en seras partie, il n'y aura plus aucun moyen de communication. Il est donc bon que tu saches bien avant de partir ce qu'il nous importe de savoir et que nous ne pourrons plus savoir après.
Je reçois une lettre de Lucien du 15 juin[27], quelque déplorable que soit son sort, je l'envie encore et je le préfère mille fois à la figure humiliante que je fais ici. J'ai à me louer beaucoup des habitants de Madrid et de tous les Espagnols qui me connaissent. La guerre serait bientôt finie et l'Espagne pacifiée si on veut me laisser faire.
(Plusieurs lignes de cette lettre enfouie dans la terre en 1814 sont illisibles. Une minime partie seulement a été insérée dans les mémoires de Joseph.)
Joseph à Julie.
Madrid, le 29 août 1810.
Ma chère amie, je reçois tes deux premières lettres de..... Tu auras reçu mes lettres dont était porteur le marquis d'Almenara. Tu sentiras la nécessité de savoir à quoi t'en tenir sur notre sort avant de quitter Paris; je ne puis pas rester dans l'état actuel, il faut savoir ce que l'empereur veut; s'il veut que je descende du trône d'Espagne, il faut lui obéir; il faut savoir où il veut et comment il veut que nous vivions; je ne puis pas rester ici avec le nom de roi et humilié par tous ces hommes qui tyrannisent les provinces de mon royaume; je ne veux pas vivre ainsi plus longtemps, j'attends donc tes lettres pour savoir à quoi m'en tenir.
Je t'embrasse avec mes enfants. Fais partir Deslandes dont j'ai besoin.
Joseph à Julie.
Madrid, le 1er septembre 1810.
Ma chère amie, je reçois tes trois premières de Paris, tu auras reçu M. d'Almenara, j'ignore le résultat de sa commission, j'écris de nouveau la lettre ci-jointe à l'empereur, que tu remettras ou que tu ne remettras pas selon la position où se trouveront mes affaires, lorsque cette lettre arrivera dans tes mains.
Il est de fait que si l'empereur continue à me traiter comme il fait aujourd'hui, c'est qu'il ne veut pas que je reste au trône d'Espagne. Il me connaît assez pour savoir que je ne serai jamais que ce que je paraîtrai être, que roi d'Espagne, mes devoirs principaux sont ceux d'un roi d'Espagne, avant tout. Je suis homme et je mourrai comme j'ai vécu, ainsi, s'il m'impose des conditions que je ne peux pas admettre, c'est qu'il ne veut pas que je reste ici; dans ce cas, il faut se retirer le plus tôt, c'est le mieux, parce que je puis le faire sans être brouillé avec lui et que devant me retirer il faut le faire de bonne grâce et obtenir la paix intérieure puisque je ne peux pas déployer les qualités que la nature a mises en moi et qui suffiraient pour faire le bien de cette grande nation. Mais, à l'impossible nul n'est tenu et il est de fait qu'aujourd'hui je ne puis rien ici sans la volonté et la confiance entière et absolue de l'empereur; je n'entre pas dans les détails de ma retraite des affaires, tout sera bien dès que l'honneur m'en fera un devoir et que l'empereur trouvera bon que je me retire dans telle province qu'il voudra choisir. En Bourgogne et dans ce cas, j'ai en vue la terre de Morjan, près Autun; je puis la louer ou l'acquérir, si les affaires prenaient cette tournure définitive, je ne voudrais pas aller à Paris, il ne me faudrait pas beaucoup d'argent, je voudrais une retraite absolue.
Si l'empereur me voulait au delà des mers, en Corse, par exemple, cela ne pourrait être qu'autant que je conserverai une espèce de cour, une existence telle que je puisse me suffire à moi-même dans ce pays, ayant les moyens d'y faire beaucoup de bien, sans me mêler d'aucunes affaires du gouvernement; aussi, dans ce cas, il me faudrait un état bien au-dessus de celui de mon père, et même au-dessus de celui que j'avais au Luxembourg; j'approuverai tout ce que tu feras. Quant à mon état actuel, je suis disposé à tout pour en sortir; mon âme se trouve dégradée et