Les Rois Frères de Napoléon Ier. Albert Du Casse

Les Rois Frères de Napoléon Ier - Albert Du Casse


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le décret daté de Milan le 17 décembre. La conduite récente des Anglais envers le Danemark, les instances de la France avaient aussi déterminé la Russie à se déclarer, en sorte que le tableau de l'Europe à cette époque était des plus singuliers. Les puissances continentales d'un côté, l'Angleterre de l'autre, s'acharnaient à porter la ruine et la désolation dans le monde entier.

      Au commencement de 1808, l'empereur Napoléon en était venu au point de déclarer coupable de haute trahison tout fonctionnaire qui favoriserait les contraventions au décret du blocus. Les 18 et 23 janvier, Louis, cédant aux injonctions de son frère, prit encore de nouvelles dispositions plus rigides. Peu de temps après l'arrivée en Hollande de M. de Larochefoucauld, qui vint remplacer Dupont-Chaumont, le bruit se répandit de la cession du Brabant et de la Zélande en échange des villes anséatiques. Offensé de cette nouvelle, que la diplomatie française semblait prendre plaisir à accréditer dans l'ombre, le roi s'en expliqua nettement avec Napoléon, qui répondit d'une manière ironique et évasive, terminant sa courte lettre par cette phrase: «Encore une fois, puisque cet arrangement ne vous convient pas, c'est une affaire finie. Il était inutile même de m'en parler, puisque le sieur de la Rochefoucauld n'a eu l'ordre que de sonder le terrain.»

      Louis fût peut-être parvenu à assurer la prospérité de son royaume s'il n'eût été contrecarré dans ses projets par les vastes desseins de son frère, ou s'il eût voulu suivre aveuglément la politique du grand homme, car les mesures qu'il avait prises l'année précédente, surtout les mesures financières, avaient eu un succès inespéré. Utrecht ne devait pas être longtemps la résidence du roi. Ce prince, soit qu'il se fût vite dégoûté de ce séjour, soit qu'il pensât qu'Amsterdam, grand centre de population, remplît mieux les conditions d'une capitale, y transporta le siège du gouvernement. À cette même époque, les affaires d'Espagne avaient pris un nouvel aspect. Napoléon songeait à placer un membre de sa famille sur le trône de ce pays. Soit qu'il fût ennuyé de la lutte du roi de Hollande avec lui, soit qu'il eût l'espoir que Louis suivrait mieux la politique française à Madrid, soit qu'il fût bien aise d'avoir un prétexte pour annexer la Hollande à ses États, peut-être aussi dans le but d'arracher son frère à un climat contraire à sa santé, l'empereur lui proposa la couronne d'Espagne. Le 27 mars 1808 il lui écrivit:

      «Mon frère, le roi d'Espagne vient d'abdiquer. Le prince de la Paix a été mis en prison. Un commencement d'insurrection a éclaté à Madrid. Dans cette circonstance, mes troupes étaient éloignées de 40 lieues de Madrid; le grand-duc de Berg a dû y entrer le 23 avec 40,000 hommes. Jusqu'à cette heure le peuple m'appelle à grands cris. Certain que je n'aurai de paix solide avec l'Angleterre qu'en donnant un grand mouvement au continent, j'ai résolu de mettre un prince français sur le trône d'Espagne. Le climat de la Hollande ne vous convient pas. D'ailleurs la Hollande ne saurait sortir de ses ruines. Dans le tourbillon du monde, que la paix ait lieu ou non, il n'y a pas de moyen pour qu'elle se soutienne. Dans cette situation des choses, je pense à vous pour le trône d'Espagne. Vous serez souverain d'une nation généreuse, de 11 millions d'hommes et de colonies importantes. Avec de l'économie et de l'activité, l'Espagne peut avoir 60,000 hommes sous les armes et 50 vaisseaux dans ses ports. Répondez-moi catégoriquement quelle est votre opinion sur ce projet. Vous sentez que ceci n'est encore qu'un projet, et que, quoique j'aie 100,000 hommes en Espagne, il est possible, par les circonstances qui peuvent survenir, ou que je marche directement et que tout soit fait dans quinze jours, ou que je marche plus lentement et que cela soit le secret de plusieurs mois d'opérations. Répondez-moi catégoriquement: Si je vous nomme roi d'Espagne, l'agréez-vous? puis-je compter sur vous? Comme il serait possible que votre courrier ne me trouvât plus à Paris, et qu'alors il faudrait qu'il traversât l'Espagne au milieu des chances que l'on ne peut prévoir, répondez-moi seulement ces deux mots: J'ai reçu votre lettre de tel jour, je réponds oui, et alors je compterai que vous ferez ce que je voudrai; ou bien non, ce qui voudra dire que vous n'agréez pas ma proposition. Vous pourrez ensuite écrire une lettre où vous développerez vos idées en détail sur ce que vous voulez, et vous l'adresserez sous l'enveloppe de votre femme à Paris. Si j'y suis, elle me la remettra, sinon elle vous la renverra.

      «Ne mettez personne dans votre confidence et ne parlez, je vous prie, à qui que ce soit de l'objet de cette lettre; car il faut qu'une chose soit faite pour qu'on avoue d'y avoir pensé, etc., etc.[60]»

      Le roi refusa, indigné de ce qu'il considérait comme une spoliation envers le malheureux Charles IV. «Je ne suis pas un gouverneur de province, disait-il à ce sujet, il n'y a d'autre promotion pour un roi que celle du ciel, ils sont tous égaux. De quel droit pourrais-je aller demander un serment de fidélité à un autre peuple, si je ne restais pas fidèle à celui que j'ai prêté à la Hollande en montant sur le trône?»

      L'empereur, mécontent de ce refus, donna la couronne d'Espagne à Joseph; il continua à se plaindre de la Hollande, «nation souple et fallacieuse, dit-il dans un moment d'humeur, et chez laquelle se fabriquent toutes les nouvelles qui peuvent être défavorables à la France.» Ses agents de police secrète, et ils étaient nombreux, même à la cour du roi Louis, lui affirmaient que les Hollandais faisaient avec l'Angleterre des affaires importantes par la contrebande. Il en était bien quelque chose, et le contraire eût été difficile. En vain les principaux organes de la presse criaient à la calomnie, en déclarant faux tout ce qu'on rapportait à Napoléon. Ce dernier savait très bien à quoi s'en tenir et répétait à qui voulait l'entendre «que tout le pays de Hollande était entaché d'anglomanie et que le roi en était le premier smogleur.» Tous les rapports affectueux entre les deux frères avaient cessé, l'horizon politique entre les deux pays s'obscurcissait, il était impossible que la Hollande ne reconnût pas qu'elle courait à une crise dangereuse pour elle. Louis, pressé par une puissance formidable à laquelle il ne pouvait opposer qu'une bien faible résistance, fut obligé de se résigner. Une circonstance se présenta de prouver à l'empereur qu'il n'était pas aussi dévoué à l'Angleterre que Napoléon voulait bien le dire, il la saisit avec empressement.

      Le roi était allé à Aix-la-Chapelle pour y voir Madame mère; là il apprit que les Anglais occupaient l'île de Walcheren et qu'ils cherchaient à s'emparer de la flotte française en station sur l'Escaut. Il n'hésita pas un instant et expédia sur-le-champ l'ordre à ses généraux de se rapprocher avec leurs forces de la ville d'Anvers, pour protéger la flotte contre les entreprises des Anglais; toutes les tentatives des Anglais eussent été vaines, si le général Bruce, officier hollandais qui commandait le fort de Batz, n'eût trahi ses devoirs en secondant les vues de l'ennemi et en laissant sans défense ce fort où il pouvait longtemps se maintenir. Les troupes hollandaises, furieuses d'une trahison à laquelle elles n'avaient eu aucune part, reprirent le fort. Le général Bruce fut destitué et jeté en prison.

      D'Aix-la-Chapelle, en passant par Amsterdam, le roi rejoignit ses généraux dans les environs d'Anvers, où il forma un corps d'armée. Des troupes françaises se réunirent aux hollandaises, et quoiqu'il s'y refusât de bonne foi vis-à-vis des généraux français, le roi fut obligé de prendre le commandement des troupes rassemblées sur ce point. Il se rendit à la déférence qu'on lui marquait, mais avec la crainte qu'elle ne fût point approuvée par l'empereur. Il ne s'était point trompé, le prince de Ponte-Corvo vint bientôt prendre ce même commandement au nom de Napoléon. Louis quitta aussitôt Anvers, emmenant sa garde et laissant le commandement de ses propres troupes au général Dumonceau. Cette conduite de l'empereur était mortifiante pour le roi. Il pensa qu'on se méfiait de lui, et ses conjectures sur des événements qu'il pressentait depuis longtemps ne tardèrent pas à prendre de la consistance par la quantité de troupes françaises que l'on rassemblait dans le Brabant.

      La ville de Flessingue, bien défendue, pouvait opposer une longue résistance et peut-être même en faire abandonner le siège; mais après une défense très faible, le général Monnet, avec 4,000 hommes de garnison, se rendit aux Anglais. Il fut mis en jugement.

      Comme l'occupation de la Zélande par les Anglais n'avait pas altéré l'amour des Hollandais pour leur souverain, on célébra la fête du roi Louis à Amsterdam et dans toute la Hollande avec les démonstrations de la joie, jamais la cour n'avait été plus brillante que pendant ces trois jours de fêtes.


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