Des homicides commis par les aliénés. Blanche Émile

Des homicides commis par les aliénés - Blanche Émile


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empêcher un attentat dont les suites pouvaient être plus graves.

      Plus nous avons examiné cette fille, plus s'est faite claire, certaine, absolue, la conviction d'une aliénation mentale déjà ancienne; et, si nous n'avions eu déjà l'examen direct pour nous éclairer, nous aurions trouvé, dans le dossier, une lettre adressée au curé de Montmartre, à la date du 7 septembre 1868, et qui ne permet aucun doute; nous en extrayons les passages suivants:

      «Monsieur, écrit-elle, je veux vous dire ce que j'ai sur le coeur. Le jour de l'Adoration vous faisiez l'innocent, vous veniez de bonne heure, comme pour me donner le change, comme pour dire, je ne vois pas le prédicateur, je ne puis donc pas lui raconter votre histoire, comme si je ne savais pas qu'avant d'arriver le prêtre me connaissait; je n'ai qu'à me présenter dans l'une des églises qui s'ouvrent à la neuvaine de Mai pour apprendre combien vous êtes habile à donner les signalements. Mais pour les deux premiers prêtres qui sont venus prêcher, c'est autre chose, vous les avez fait venir pour me montrer à eux, vous m'avez parfaitement bien fait espionner.

      «… Vous avez détruit par vos paroles le peu de confiance que l'on pouvait avoir encore en moi. Monsieur le curé, je ne mettrai plus les pieds dans votre église; vous avez comblé la mesure. Je vous ai prié, je vous ai supplié de ne pas me forcer à courir à l'autre bout de Paris pour sanctifier mon Dimanche, je n'ai pu l'obtenir.

      «Eh bien, s'il faut se tuer de fatigue, on se tuera, voilà tout. Du reste, je ne tiens pas à la vie, car vous en avez fait un long martyre; ma réputation, vous vous en êtes joué; mon existence, vous l'avez compromise; vous m'avez fait au coeur une plaie incurable, car, quand bien même je partirais, et ce ne sera pas long, je penserai toujours avec une grande douleur que ceux-là même qui devaient être bienveillants pour moi, qui auraient dû me protéger, qui auraient dû donner l'exemple et cacher ma faute, que ce sont ceux-là même qui ont été les plus pressés de la divulguer, qui ont été mes ennemis les plus acharnés… Je me dis, les prêtres voyagent, les soeurs de charité, les frères ignorantins aussi, et comme je ne suis pas pour rester à Paris, si, n'importe où j'irai, je venais à rencontrer un prêtre, soit un frère, soit une soeur, et que ces trois différentes personnes me connaissent, je serais sûre d'être trahie là où je serais rencontrée, comme je suis sûre d'être trahie dans tout Paris, car quand le curé et le clergé donnent l'exemple, les paroissiens ont carte blanche, etc.»

      En effet, elle quitte Paris, mais ses préoccupations délirantes la suivent partout. Elle se croit reconnue, espionnée, et, reprenant au loin le système organisé par elle, elle ne doute pas que les machinations odieuses dont elle était victime à Paris sont continuées en province. Il semble que ce soit à Marseille, que le projet de blesser M. le curé de Montmartre ait été conçu, et cela «parce que dans la banlieue elle a vu des gens qui chuchotaient et qui disaient: la voilà, il ne faut rien lui acheter.» Elle n'a pas plus conscience de la valeur morale de cet acte, qu'elle n'a conscience de l'état de trouble intellectuel permanent dans lequel elle vit. Elle est calme, sans inquiétude; ce qu'elle a fait, elle est prête encore à le faire; ce n'était pour elle, et ce n'est aussi pour nous, que le complément de ses conceptions délirantes.

      Ce dénouement nécessaire, malheureusement non prévu par tous ceux qui ont méconnu son état, se serait produit beaucoup plus tôt peut-être, si cette femme, au lieu de n'avoir que des illusions, eût été sollicitée par des hallucinations. Mais il ne semble pas que ce phénomène ait existé chez elle; elle parle bien des moyens à l'aide desquels on parvient à savoir la pensée, mais elle ne donne à ce sujet que des renseignements un peu vagues; elle affirme qu'elle n'a rien vu, rien entendu, rien senti d'extraordinaire dans sa chambre; seulement ses voisins, pour la taquiner, parce qu'elle est très-propre, s'amusaient à cracher devant sa porte. Pour elle, il y a toujours un fait extérieur, dénaturé, interprété dans le sens de son délire, qui sert de point de départ à ses déterminations.

      Dans la prison, son attitude n'est pas moins caractéristique; méfiante et soupçonneuse, elle est déjà convaincue que les soeurs de Saint-Lazare l'espionnent pour le compte du curé de Montmartre. Elle est en garde contre le directeur, auquel elle refuse de répondre, parce que deux religieuses l'ont conduite auprès de lui. On veut lui fermer la bouche, mais «je les tiens», nous répète-t-elle, avec cette satisfaction à la fois vaniteuse et naïve des aliénés atteints de délires systématisés.

      De tous ces faits, de l'étude attentive à laquelle nous nous sommes

       livrés, nous nous croyons autorisés à conclure:

      1° Que la nommée C… (Anne-Joséphine) est atteinte d'aliénation

       mentale.

      2° Que les troubles intellectuels qu'elle présente appartiennent au genre des délires de persécution avec illusions des sens.

      3° Que le début de cette affection remonte à plusieurs années déjà. S'il ne nous a pas été possible de préciser la date de son apparition, il est resté, du moins, évident pour nous, que le délire existait en 1868, avec les caractères que nous lui retrouvons encore aujourd'hui.

      4° Qu'à l'époque et au moment où la fille C… a commis l'acte dont elle est inculpée, elle était dominée par des conceptions délirantes qui lui étaient la conscience, et par conséquent, la responsabilité de ses actions.

      5° Que la fille C…, obéissant aux suggestions de son délire, est absolument incapable de se diriger; que, de plus, ayant perdu toute conscience de la valeur morale de ses actes, en tant qu'ils ont rapport à ses conceptions délirantes, elle est depuis longtemps et restera désormais une aliénée dangereuse.

      6° Qu'il y a lieu, au point de vue de sa propre sécurité et dans un intérêt d'ordre et de sécurité publies, de la placer et de la maintenir dans un établissement spécialement consacré aux aliénés.

      À Paris, le 27 septembre 1871.

      Signé: A. MOTET, É. BLANCHE.

      Dans ce fait significatif, deux crises plus manifestes et des accès de moindre intensité attirent l'attention. La fille C… est prise d'une impulsion au vol qui contraste avec sa conduite habituelle. Les détails de cette poussée impulsive ne nous sont pas assez connus pour que nous y insistions. La vie ultérieure de la malade se passe dans une sorte de vagabondage moral familier aux aliénés de cette catégorie, interdit aux persécutés passifs qui sont exempts d'attaques congestives et qui ne commettent pas d'actes dangereux. À en croire son récit, le découragement moral, l'impossibilité de trouver du secours, l'abandon du clergé auquel elle s'était adressée, expliquent et justifient la diversité de ses états psychologiques: si on rédige les observations des maladies mentales sous la dictée des malades raisonneurs, la formule est toujours la même; il est naturel que de telles causes provoquent de tels effets, et la folie devient la résultante logique des événements.

      En réalité, il n'en est pas ainsi, et ce qui le prouve, c'est que les impulsions violentes naissent sans provocation, lentes ou instantanées, passant ou non de la pensée à l'acte, suivant que l'excitation cérébrale varie de degré.

      Chez la fille C… aucun incident exceptionnel ne s'est produit. À ses périodes multiples d'excitations physico-morales, tantôt elle part en voyage à la recherche d'un parent, tantôt elle fuit au hasard pour se soustraire aux persécutions; plus calme, elle revient et se rassérène. Comment a-t-elle pu suffire, avec ses ressources plus que restreintes, à cette vie errante, nul ne le sait.

      Un jour, pendant la messe, ayant hésité si longtemps, elle tire deux coups de pistolet sur le curé de sa paroisse. L'accès s'épuise rapidement, comme il arrive presque toujours en pareil cas.

      La fille C…, arrêtée sans résistance, plaide les circonstances plus qu'atténuantes qui ont motivé sa violence. Elle se fait, à l'usage des juges, le roman psychologique qu'elle s'est répété tant de fois. Un élément nouveau vient cependant s'y ajouter: ce n'est pas pour elle, c'est pour le droit qu'elle a combattu. À la fois héroïne et victime, elle témoigne par le mélange des aspirations vaniteuses avec la dépression mélancolique, qu'elle appartient au type


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