Les beaux messieurs de Bois-Doré. George Sand

Les beaux messieurs de Bois-Doré - George Sand


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dit-il, à seules fins de pouvoir l'offrir aux dames de mon voisinage quand besoin est; car, pour ce qui est de moi, je préfère le cheval. On va plus vite et on fait moins d'embarras.

      —Ainsi, reprit d'Alvimar, vous m'avez traité comme une dame, en faisant venir cette voiture dans la journée? J'en suis confus, et, si j'avais pensé que vous ne craigniez point le frais du soir, je vous aurais supplié de ne rien changer à vos habitudes.

      —Moi, j'ai pensé qu'après le voyage que vous venez de faire, vous avez bien assez chevauché pour aujourd'hui et, quant au froid, à vous dire le vrai, je suis un assez grand paresseux, et je me donne bien des douceurs dont ma santé n'a nul besoin.

      Bois-Doré voulait concilier la nonchalance des jeunes courtisans avec la vigueur des jeunes campagnards, et il était quelquefois bien embarrassé d'arranger tout cela.

      En somme, il était encore solide, bon cavalier et bien portant, malgré quelques douleurs de rhumatismes qu'il n'avoua jamais, et une légère surdité dont il ne convenait pas, mettant les méprises de son oreille sur le compte de sa distraction.

      —Il faut, ajouta-t-il, que je vous demande excuse pour l'impolitesse de mon ami de Beuvre. Rien n'est plus déplacé que ces querelles de religion, lesquelles ne sont plus du tout de mode. Mais vous pardonnerez à l'entêtement d'un vieillard. Au fond, de Beuvre ne se soucie pas plus que moi de ces subtilités. C'est l'engouement pour le passé qui lui donne de temps en temps la maladie de récriminer contre les morts et d'ennuyer, par là, considérablement les vivants. Je ne vois pas pourquoi la vieillesse est pédante de ses souvenirs, comme si, à tout âge, on n'avait point vu assez de choses et assez de gens pour être autant philosophe que de besoin? Ah! parlez-moi des gens de Paris, mon cher hôte, pour savoir causer avec délicatesse et modération sur tous objets de controverse! Parlez-moi de l'hôtel de Rambouillet, par exemple! Vous n'êtes pas sans avoir fréquenté le salon bleu d'Arténice?

      D'Alvimar put répondre qu'il était reçu chez la marquise, sans manquer à la vérité. Son esprit et son savoir lui avaient ouvert les portes du Parnasse à la mode; mais il n'y avait pas pris pied, son intolérance s'étant dévoilée trop vite dans ce sanctuaire de l'urbanité française.

      D'ailleurs, il avait peu de goût pour la bergerie littéraire. L'ambition du siècle le rongeait, et la pastorale, qui est un idéal de repos et d'humble loisir, n'était point du tout son fait. Aussi se sentait-il pris de fatigue et de sommeil, lorsque Bois-Doré, enchanté d'avoir à qui parler, se mit à lui réciter des pages entières de l'Astrée.

      —Quoi de plus beau, s'écriait-il, que cette lettre de la bergère à son amant:

      «Je suis soupçonneuse, je suis jalouse, je suis difficile à gagner et facile à perdre, et plus aysée à offenser, et très-malaysée à rapaiser. Il faut que mes volontés soient des destinées, mes opinions des raisons et mes commandements des lois inviolables.»

      Voilà du style! et quelle belle peinture d'un caractère!... Et la suite, monsieur, n'est-ce point toute la sagesse, toute la philosophie et la moralité dont un homme ait besoin? Écoutez ceci, que répond Sylvie à Galatée:

      «Il ne faut point douter que ce berger ne soit amoureux, étant si honnête homme!»

      Comprenez-vous bien, monsieur, la profondeur de cette devise? Au reste, Sylvie l'explique elle-même:

      «L'amant ne désire rien tant que d'être aymé; pour être aymé, il faut qu'il se rende aimable, et ce qui rend aimable est cela même qui rend honnête homme.»

      —Quoi? qu'est-ce à dire? s'écria d'Alvimar éveillé en sursaut par le discours de la docte bergère, que Bois-Doré lui criait aux oreilles pour dominer le bruit de la carrosse sur le dur pavé de l'ancienne voie romaine de La Châtre à Château-Meillant.

      —Oui, monsieur, oui, je le soutiendrais envers et contre tous! reprit Bois-Doré sans s'apercevoir du tressaut de son hôte; et je me tue à le répéter à ce vieux radoteur, à ce vieil hérétique en matière de sentiments!

      --- Qui? demanda d'Alvimar effaré.

      —Je parle de mon voisin de Beuvre, un très-excellent homme, je vous jure, mais coiffé de l'idée que la vertu est dans les livres de théologie, qu'il ne lit pas, attendu qu'il ne les comprendrait point; et je lui soutiens, moi, qu'elle est dans les œuvres de poésie, dans les pensées agréables et bienséantes dont un chacun, pour si simple qu'il soit, peut faire son profit. Par exemple, lorsque le jeune Lycidas cède aux folles amours d'Olympe...

      Pour le coup, d'Alvimar se rendormit résolûment, et M. de Bois-Doré déclamait encore lorsque la carrosse et l'escorte firent retentir le pont-levis de Briantes d'un bruit égal au bruit qu'elles avaient fait sur celui de la Motte.

      Le temps était devenu très-sombre; d'Alvimar ne vit du château que l'intérieur, qui lui parut fort petit, et qui l'était effectivement, eu égard aux grandes dimensions des logements de cette époque.

      Aujourd'hui, les salles de ce manoir paraissent encore très-vastes; mais elles semblaient alors aussi exiguës que possible.

      La partie occupée par le marquis, et ruinée par les bandes d'aventuriers en 1594, était de construction toute récente. C'était un pavillon carré, flanqué à une tour fort ancienne et à une autre construction plus ancienne encore, le tout formant un seul massif d'architecture hétérogène, d'une étroitesse élancée et d'un aspect élégant et pittoresque.

      —Ne vous effrayez pas trop de la pauvre mine de ma maisonnette, dit le marquis à son hôte en le précédant sur l'escalier, tandis que son page et sa gouvernante Bellinde les éclairaient; ce n'est qu'un pavillon de chasse et un logis de garçon. Si jamais la fantaisie du mariage me montait à la tête, il me faudrait faire bâtir; mais, jusqu'ici, je n'y ai point encore songé, et j'espère que, garçon vous-même, vous ne trouverez point cette bicoque trop mal commode.

       Table des matières

      En effet, le logis de garçon était arrangé, tapissé et orné avec un luxe que n'annonçaient pas la petite porte basse fleuronnée et l'étroit vestibule d'où s'élançait tout à coup la spirale de l'escalier.

      Il y avait partout, sur les dalles, de bonnes revêches de Berry, et, sur les planchers, d'autres tapis plus riches de la manufacture d'Aubusson; enfin, dans le salon et dans la chambre à coucher du maître, des tapis de Perse du plus grand prix.

      Les vitres des fenêtres étaient larges et claires, c'est-à-dire qu'elles formaient des losanges de deux pouces carrés, non teintées, sur lesquelles se détachaient des médaillons armoriés en couleur. Les tentures représentaient des dames fluettes et charmantes et de jolis petits messieurs, qu'à leurs panetières et houlettes il fallait bien reconnaître pour des pastourelles et des bergers.

      Les noms des principaux personnages de l'Astrée étaient, d'ailleurs, brodés dans l'herbe sous leurs pieds, et leurs belles paroles leur sortaient de la bouche, se croisant avec les réponses non moins belles de leurs vis-à-vis.

      On y voyait, sur un panneau du salon de compagnie, l'infortuné Céladon se précipitant avec une grâce tortillée dans l'onde bleue du Lignon, qui, d'avance, se ridait en ronds, dans la prévision de sa chute. Derrière lui, l'incomparable Astrée, lâchant la bonde à ses pleurs, accourait trop tard pour le retenir, bien qu'il eût le pied levé jusque dans la main de la bergère. Au-dessus de ce groupe pathétique, un arbre, plus mouton que les moutons de ces fantastiques prairies, élevait jusqu'au plafond ses branches ouatées et crépelées.

      Mais, pour ne pas déchirer le cœur par ce lamentable spectacle du trépas de Céladon, l'artiste l'avait représenté dans le même panneau, et tout de suite, sur l'autre rive du Lignon, poussé de l'eau et couché dans les buissons entre la vie et la mort, mais recueilli par «trois belles nymphes dont les cheveux


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