Les beaux messieurs de Bois-Doré. George Sand

Les beaux messieurs de Bois-Doré - George Sand


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votre femme, mais d'avoir la liberté de vous absenter d'elle pour tes besoins de votre condition. Si elle devenait acariâtre ou récalcitrante, on pourrait la mater par son hérésie. La liberté de conscience accordée à ces gens-là est subordonnée à des restrictions qu'ils enfreignent souvent. Nous les tenons donc toujours, à preuve que cette petite veuve ne trouve pas à se remarier. Les jeunes gens du pays, qui sont las de la guerre de châteaux, craignent d'épouser la guerre. Vous n'auriez donc pour concurrent, en ce moment-ci, que, peut-être, M. Guillaume d'Ars, qui est un modéré et qui est assidu à la Motte; mais, à Bourges, on saura le retenir dans d'autres liens. C'est un jeune beau-fils facile à distraire. D'ailleurs, avec une veuve qui doit s'ennuyer de la solitude, il faudrait, fait comme vous l'êtes, n'avoir pas grande habileté pour échouer. Je vois, à votre sourire, que vous n'êtes pas inquiet du succès.

      —Eh bien, j'avoue que vous dites la vérité, répondit d'Alvimar, qui se rappela vivement, tout à coup, l'émotion que la jeune dame n'avait pas réussi à lui cacher, et sur laquelle il avait bien pu se méprendre. Je crois que, si je le voulais...

      —Il faut le vouloir... Pensez-y, répondit M. Poulain en se levant. Si vous êtes décidé, j'en écrirai confidentiellement à des gens qui peuvent beaucoup.

      Il voulait parler des jésuites, qui avaient déjà ébranlé M. de Beuvre en le menaçant d'empêcher sa fille de se remarier. On pouvait rendre à ce gentilhomme sa propre tranquillité, au prix de ce mariage. D'Alvimar comprit à demi-mot, promit au recteur d'y penser sérieusement et de lui rendre réponse le surlendemain, puisque, précisément, il devait passer la journée du lendemain chez madame de Beuvre.

      La cloche du château annonçait le repas du marquis. M. d'Alvimar prit congé du prestolet qui lui faisait augurer de meilleures destinées, et il reprit le chemin du manoir.

      Il se sentait plus fort et plus gai qu'il lui l'avait été depuis bien des jours, parce qu'il se sentait en communication avec un esprit actif, capable de le soutenir au besoin. Le courage lui revenait. Cette fuite en Berry, cet asile inquiétant chez des ennemis de sa croyance et de ses opinions, et cette sorte d'isolement, qui, deux heures auparavant, se présentaient à sa pensée sous des couleurs sombres, lui souriaient maintenant comme une heureuse aventure.

      —Oui, oui, cet homme a raison, pensait-il. Ce mariage me sauvera. Je n'ai qu'à vouloir. Que je tourne la tête à cette petite provinciale, et je pourrai lui avouer ma disgrâce à la cour. Elle se fera un point d'honneur de m'en dédommager. D'ailleurs, s'il faut faire le modéré pendant quelques jours... eh bien, j'essayerai! Allons, courage! mon horizon s'éclaircit, et peut-être que l'astre de ma fortune va enfin sortir de la nuée.

      Il leva la tête en se parlant ainsi, et vit, devant lui, sur le pont du préau, l'enfant de la Morisque montant hardiment un des chevaux de la carroche du marquis.

      Mercédès avait demandé à Adamas la permission de passer la journée au château, et le bonhomme la lui avait accordée au nom de son maître, à qui il voulait la présenter dès qu'il serait visible.

      En jouant dans la cour, l'enfant avait plu au cocher (carrossier ou carrosseur, comme on disait alors; carrosseux, comme on disait en Berry) et celui-ci avait consenti à le percher sur Squilindre, tandis que lui-même, monté sur Pimante (l'autre cheval de carrosse), tenait le bridon et menait l'attelage prendre, dans le ruisseau, son bain de jambes quotidien.

      D'Alvimar fut frappé de la figure de cet enfant, qu'il avait vu, la veille, se jeter en mendiant dans les jambes de son cheval et fuir devant son fouet, et qui, à cette heure, perché sur le monumental destrier Squilindre, le regardait de haut en bas, d'un air de triomphe bénévole.

      Il était impossible de voir une figure plus intéressante et plus touchante que celle de ce petit vagabond. C'était pourtant une beauté sans éclat; il était pâle, brûlé du soleil et paraissait frêle. Ses traits n'étaient peut-être pas irréprochables; mais il y avait dans l'expression de ses yeux d'un noir doux, et dans le tendre et fin sourire de sa bouche délicate, quelque chose d'irrésistible pour quiconque n'avait pas le cœur fermé au divin charme de l'enfance.

      Adamas avait subi instinctivement cette douce puissance, et déjà les plus grossiers valets de la basse-cour la subissaient aussi. Ces rudes natures sont parfois si bonnes! N'est-ce pas de celles-là que madame de Sévigné a dit qu'on trouvait «des âmes de paysans plus droites que des lignes, aimant la vertu comme naturellement les chevaux trottent?»

      Mais d'Alvimar, n'aimant pas la candeur, n'aimait pas les enfants, et celui-ci, en particulier, lui causa un déplaisir dont il ne put se rendre compte.

      Il eut donc une sensation de vertige et de froid, comme si, au moment de rentrer plus calme et moins triste dans ce manoir de Briantes, la herse lui fût tombée sur la tête.

      Il était sujet, depuis quelques années, à ces vertiges subits, et il mettait volontiers sur le compte des visages qui le frappaient dans ces moments-là un phénomène qui se passait en lui-même. Il croyait à des influences mystérieuses, et, pour les détourner, il s'empressait, à tout hasard, de renier et de maudire intérieurement les êtres qui lui semblaient investis de cette puissance occulte.

      —Puisse ce gros cheval le casser le cou! murmura-t-il en lui-même en relevant, sous son manteau, deux doigts de sa main gauche pour conjurer le mauvais œil.

      Il recommença ce geste cabalistique en voyant la Morisque venir vers lui dans le préau.

      Elle s'arrêta un moment, et, comme la veille, elle le regarda avec une attention qui l'irrita.

      —Que me voulez-vous? lui dit-il brusquement en marchant à elle.

      Elle ne répondit rien, et, le saluant, elle courut pour rejoindre son enfant, qu'elle s'inquiétait de voir à cheval.

      Le marquis venait au-devant de son hôte avec Lucilio Giovellino.

      —Venez donc manger, lui dit-il; vous devez être mort de faim! La Bellinde se désole de ne vous avoir pas vu sortir ce matin, et, conséquemment, de vous avoir laissé partir à jeun pour la promenade.

      M. d'Alvimar ne crut pas devoir parler de sa visite et de son repas au presbytère. Il parla de la beauté agreste des environs et du temps doux et riant de cette matinée d'automne.

      —Oui, dit Bois-Doré, nous en avons pour plusieurs jours encore, car le soleil...

      Il fut interrompu par un cri perçant qui partait du dehors, et, courant le plus vite qu'il put, pour savoir ce que c'était, il se trouva sur le pont avec d'Alvimar et Lucilio; l'un, qui l'avait précédé, l'autre, qui le suivait machinalement.

      Ils virent alors la Morisque au bord du fossé, étendant les bras avec angoisse vers son enfant, que le gros cheval emmenait dans l'eau, et prête à s'y jeter, du point assez escarpé où elle se trouvait.

       Table des matières

      Voici ce qui était arrivé.

      Le petit bohème, heureux et fier d'équiter à lui tout seul un si grand dada, avait gentiment persuadé au carrosseux de lui laisser tenir le bridon. Le bon Squilindre, se sentant livré à cette petite main, et, d'ailleurs, excité par les joyeux petits talons qui tabourinaient sur ses flancs, s'était aventure trop avant sur la droite, avait perdu le gué et passé sous le pont à la nage. Le carrosseux essayait d'aller à son secours; mais Pimante, plus méfiant que son camarade, refusait de perdre pied; et l'enfant, se tenant aux crins, était enchanté de cette circonstance.

      Pourtant les cris de sa mère l'arrachèrent à son ivresse, et il lui cria: dans une langue qui ne fut comprise que de Lucilio:

      —N'aie pas peur, mère, je me tiens bien.

      Mais il était entré dans le courant de la petite rivière qui alimentait le fossé. Le lourd et flegmatique Squilindre en avait déjà


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