Les beaux messieurs de Bois-Doré. George Sand

Les beaux messieurs de Bois-Doré - George Sand


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d'Ars en était là de son récit, qui l'avait conduit jusqu'en vue de Briantes, lorsqu'une espèce de demoiselle bourgeoise, vêtue de noir, de rouge et de gris, portant la robe troussée et le collet monté, se trouva venir à sa rencontre et approcha de sa botte pour lui faire force révérences.

      —Hélas! monsieur, dit-elle, vous alliez peut-être demander à dîner à mon honoré maître, le marquis de Bois-Doré? Mais vous ne le trouverez point: il est à la Motte-Seuilly pour la journée, nous ayant donné congé jusqu'à la nuit.

      Cette nouvelle contraria beaucoup le jeune d'Ars; mais il était trop bien élevé pour en laisser rien paraître et, prenant son parti tout de suite:

      —C'est bien, demoiselle Bellinde, dit-il en se découvrant courtoisement; nous irons jusqu'à la Motte-Seuilly. Bonne promenade et bonjour!

      Puis, pour ravaler sa contrariété, il dit à d'Alvimar, en l'invitant à tourner bride avec lui:

      —N'est-ce pas que voilà une gouvernante très-ragoûtante et dont la bonne mine donne une savoureuse idée du logis de ce cher Bois-Doré?

      Bellinde, qui entendit cette réflexion faite à voix haute et d'un ton jovial, se rengorgea, sourit, et, appelant un petit valet d'écurie dont elle se faisait escorter comme d'un page, elle tira de ses larges manches deux petits chiens blancs qu'elle lui fit poser doucement sur le gazon comme pour les faire promener, mais, en réalité, pour se tenir tournée vers les cavaliers et faire apprécier plus longtemps son habillement de belle sergette neuve et sa taille rondelette.

      C'était une fille de trente-cinq ans, haute en couleur, et dont les cheveux tiraient sur le rouge, ce qui n'était pas désagréable à voir; car elle en avait une quantité et les portait crépés sous son toquet, au grand déplaisir des dames du pays, qui lui reprochaient de vouloir outre-passer sa condition. Mais elle avait l'air méchant, même en faisant l'agréable.

      —Pourquoi l'appelez-vous Bellinde? demanda d'Alvimar à Guillaume. Est-ce un nom de ce pays?

      —Oh! nullement; son nom est Guillette Carcat; mais M. de Bois-Doré l'a baptisée, suivant sa coutume: c'est une manie que je vous expliquerai tantôt. J'ai à vous raconter d'abord la suite de son histoire.

      —C'est inutile, reprit d'Alvimar en arrêtant son cheval; malgré votre bonne grâce et votre courtoisie, je vois bien que je vous suis un embarras considérable. Poussons jusqu'à ce château de Briantes, et vous m'y laisserez avec une lettre que vous écrirez à M. de Bois-Doré pour me recommander à lui. Puisqu'il doit revenir à la nuit, je l'attendrai en me reposant.

      —Non pas, non pas! s'écria Guillaume; j'aimerais mieux renoncer aux réjouissances de Bourges, et je l'eusse déjà fait, n'était la parole que j'ai donnée à quelques amis de m'y trouver ce soir. Mais, certes, je ne vous quitterai pas sans vous avoir recommandé moi-même à un ami agréable et fidèle. La Motte-Seuilly n'est pas à une lieue d'ici, et il n'est pas besoin de fatiguer nos chevaux. Prenons le temps, j'arriverai à Bourges une heure ou deux plus tard, et, en ce moment de fêtes, je trouverai encore les portes ouvertes.

      Et il reprit l'histoire de Bois-Doré, que d'Alvimar écouta fort peu.

      Celui-ci était préoccupé de sa sûreté et ne trouvait pas le pays qu'il parcourait bien propre a son dessein de se tenir caché.

      C'était un pays plat et ouvert, où, en cas de fâcheuse rencontre, il n'était guère possible de se mettre à l'abri d'un bois ou seulement d'un bouquet d'arbres. La terre fromentale est trop bonne par là pour qu'on y ait jamais souffert d'ombrage. Fine et rouge, elle s'étend au soleil sur les larges ondulations d'une plaine immense, triste à la vue, quoique bornée de belles collines et semée d'élégants castels.

      Pourtant Briantes, dont nos voyageurs s'étaient fort approchés, avait présenté à d'Alvimar un aspect plus rassurant.

      À dix minutes de chemin du château, la plaine s'abaisse tout d'un coup et vous conduit, en pentes adoucies, vers un étroit vallon bien ombragé.

      Le castel lui-même ne se voit que quand on est dessus, comme on dit dans le pays, et le mot est juste, car le clocheton ardoisé de sa plus haute tour s'élève fort peu au-dessus du plateau, et, quand, de la plaine, on le voit briller au soleil couchant, on dirait d'une mince lanterne dorée posée sur le bord du ravin.

      Il en est à peu près de même du château de la Motte-Seuilly[5], situé plus bas que la plaine du Chaumois, mais non pas aussi agréablement que Briantes, car, au lieu d'un joli vallon, il est tristement planté dans une région plate et sans étendue.

      Avant d'arriver au chemin de traverse qui y conduit, Guillaume avait raconté succinctement à son compagnon les autres vicissitudes de la vie de M. Sylvain de Bois-Doré: comme quoi son père avait voulu l'enfermer dans sa tour pour l'empêcher de retourner avec les huguenots; comme quoi le jeune homme s'était sauvé par-dessus les murs et avait été rejoindre son cher Henri de Navarre, avec lequel, après le trépassement du roi Henri III, il avait guerroyé neuf ans; comme quoi, enfin, ayant de son mieux contribué à le mettre sur le trône, il était revenu vivre dans ses terres, où son tyran de père avait cessé de vivre et de faire enrager un chacun.

      —Et de son jeune frère, qu'est-il advenu? dit d'Alvimar, qui faisait effort pour s'intéresser à ce récit.

      —Ce jeune frère n'est plus, répondit d'Ars. Bois-Doré l'a peu connu, car son père l'avait engagé de bonne heure au service du duc de Savoie, où il est mort d'une façon...

      Ici, Guillaume fut encore interrompu par un incident qui parut contrarier beaucoup d'Alvimar, soit qu'il commençât à prendre intérêt aux renseignements de son compagnon, soit qu'il eût, en qualité d'Espagnol, une répugnance marquée pour les interrupteurs.

       Table des matières

      C'était une bande de bohémiens, qui, couchée tout à plat dans un fossé, se releva comme une volée de moineaux à l'approche des cavaliers et fit faire un écart au cheval de M. d'Alvimar. Mais c'étaient des moineaux trop bien apprivoisés; car, au lieu de s'envoler au loin, ils se jetèrent presque dans les jambes des chevaux, sautant, criant et tendant la main d'une façon piteuse et grimacière.

      Guillaume ne songea qu'à rire de leurs manières étranges, et, très-généreusement, leur fit l'aumône; mais d'Alvimar se montra singulièrement bourru et ne fit que leur dire en les menaçant de son fouet:

      —Loin, loin! loin de moi, canaille!

      Il alla même jusqu'à vouloir frapper un garçonnet qui s'attachait à sa botte avec cet air à la fois moqueur et suppliant des enfants dressés au métier de quémandeux sur les chemins. Celui-ci évita le fouet, et Guillaume, qui se trouvait en arrière, le vit ramasser une pierre qu'il eût lancée à d'Alvimar, si un autre gars plus âgé, de la bande, ne l'eût retenu en le grondant et en le menaçant.

      Mais l'incident ne finit pas là: une petite femme assez belle, quoique bien flétrie et mal accoutrée, prit l'enfant et, lui parlant comme si elle eût été sa mère, le poussa du côté de Guillaume, puis se mit à courir aussi après d'Alvimar, en lui tendant la main, mais en le regardant, comme si elle eût voulu ne jamais oublier sa figure.

      D'Alvimar, irrité de plus en plus, poussa son cheval du côté de cette femme, et l'eût renversée si elle ne se fût garée vivement; et même il porta la main sur la crosse d'un de ses pistolets de selle, comme s'il ne lui eût rien coûté de tirer sur ces mauvaises bêtes d'idolâtres.

      Les bohémiens se regardèrent alors entre eux et se serrèrent comme pour se consulter.

      —Avanti! avanti! s'écria Guillaume à d'Alvimar.

      Il aimait à dire des mots italiens pour faire voir qu'il était allé à la cour de la reine mère, ou bien peut-être s'imaginait-il qu'un i


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